Ankara, 27 août 1942.
Ambassade d'Allemagne, n° A 524-42 Secr., au Ministère des Affaires Étrangères, Berlin.
RAPPORT POLITIQUE
Objet : Propos du nouveau Président du Conseil turc sur la question des minorités turco-mongoles et sur l'avenir de la Russie.
J'ai fait ce jour ma première visite au nouveau Président du Conseil : M. Saradjoglou.
Au cours de l'entretien dans lequel a été abordée la situation générale de la Turquie, je lui ai demandé, comme je l'ai fait hier avec Nouman, quel était son point de vue sur la question russe.
Le Président du Conseil m'a déclaré qu'à ce sujet il voulait me donner sa réponse, d'une part, en tant que Turc, d'autre part en tant que Président du Conseil.
En tant que Turc, il désire passionnément l'anéantissement de la Russie. L'anéantissement de la Russie est un exploit du Führer, et de tels exploits, ne peuvent être accomplis qu'une fois par siècle.
L'anéantissement de la Russie est le rêve éternel du peuple turc. Chaque Turc, même Yaltchin, dont les écrits sont en faveur des Anglais, ne saurait penser autrement.
Dans un récent discours, M. Saradjoglou, tout en exprimant sa fidélité à l'idée turco-mongole, s'est efforcé de laisser indirectement transparaître ce sentiment.
Le problème russe peut être résolu par l'Allemagne, uniquement à la condition, d'une part, qu'au moins la moitié des Russes habitant la Russie soit anéantie et que, d'autre part, les provinces russifiées peuplées par les minorités nationales soient, une fois pour toutes, soustraites à l'influence russe, rendues à leur caractère propre, invitées à une collaboration bénévole avec les États de l'Axe, et éduquées dans un esprit antislave.
En ce qui concerne l'anéantissement d'une importante partie du potentiel humain russe, les alliés suivent une voie juste. M. Saradjoglou n'est pas au courant de la décision du Führer, en ce qui concerne la future structure des provinces peuplées par les minorités nationales ; la majeure partie des populations de ces provinces est composée de peuples turco-mongols, ce qui fait que la Turquie a un intérêt naturel à prendre part à la solution de cette question.
Il m'a rappelé que, il y a quelque temps, j'avais déclaré au Président, ainsi que le Führer m'en avait donné mission, que la Turquie devait établir, dans la nouvelle Europe, un avant-poste puissant au sud-est.
En conséquence, la question des peuples turco-mongols dans les pays actuellement russifiés, doit être prise en considération.
Il est évident, que la classe intellectuelle, dans la mesure où elle existe encore là-bas, est, ou bien convertie au bolchevisme, ou bien anéantie par lui. Pour cette raison, il faudra envoyer une certaine partie de la jeune génération de ces pays dans les Universités turques ; ainsi seulement, cette nouvelle génération pourra garantir dans l'avenir, la pleine collaboration des deux protagonistes.
L'Allemagne a appelé dans son Empire un certain nombre d'émigrés originaires de ces pays, pour connaître leur opinion ou pour utiliser leurs services. Une partie de ces derniers, est rentrée d'Allemagne avec la conviction que celle-ci n'avait pas l'intention de donner l'autonomie aux pays de minorité turco-mongole, mais désirerait en faire des États qui se trouveraient sous la direction administrative et policière allemande.
Saradjoglou ne croit pas, que ce soit là l'intention du Führer.
Au cas où les Russes, dans un avenir proche, seraient complètement mis en déroute, nous devons savoir que ces États, avec leurs minorités allogènes, attendent de nous leur liberté et la restauration. Nous ne devons pas les décevoir ; les minorités ne nous décevront pas non plus. Ainsi s'exprima, en tant que Turc, M. Saradjoglou.
En tant que Président du Conseil, il doit veiller à ce qu'actuellement rien ne se produise qui puisse fournir aux Russes le moindre prétexte pour anéantir les minorités turco-mongoles.
La crainte qu'éprouvent les Russes, vis-à-vis des autres nations, est bien connue ; c'est la raison qui leur fait refuser d'admettre sur leur sol les combattants polonais, anglais et américains.
Les Turco-Mongols azerbaïdjanais qui, en Iran, ont exprimé leur sympathie pour la Turquie, ont été récemment entièrement anéantis, avec leurs villages.
De là, découle la nécessité d'une position absolument neutre.
Toujours en tant que Président du Conseil, il croit indispensable de garder la neutralité absolue, également afin de ne pas compromettre la position de la Turquie car, d'après lui, la défaite de la Russie qui, indiscutablement est proche, poussera les Anglais à conclure la paix.
Il ne faut pas laisser échapper celte possibilité, de rendre la paix à l'Europe.
J'ai remercié le Président du Conseil pour ses déclarations, et lui ai demandé dans quel sens, pratiquement, nous pourrions compter sur une certaine collaboration de la Turquie, et comment nous pourrions envisager les intérêts turcs dans l'Administration et la reconstruction des provinces conquises.
Ainsi que Nouman hier, Saradjoglou m'a affirmé qu'il était tout prêt, si nécessaire, à avoir avec moi des entretiens confidentiels sur ces questions pratiques, ou bien à nommer une tierce personne pour la discussion de celles-ci.
Le Président du Conseil part aujourd'hui en voyage d'inspection sur la frontière russe car, m'a-t-il dit, il ne connaît pas ces provinces et veut s'en faire une impression personnelle. Il retournera à Ankara par Samsoun.
J'ai retiré de cet entretien l'impression que le Président du Conseil suivait avec un vif intérêt le développement des événements de Russie, particulièrement au Caucase, et que, sur cette question, il tenait à rester en contact étroit avec moi.
Ces questions ont été étudiées également avec le Professeur Von Mende, représentant du Ministère pour les Affaires des Provinces Occupées de l'Est. À cet entretien, assistait le Führer de brigade SS Zimmermann, lequel a établi le contact avec un autre milieu d'émigrés.
De tous ces entretiens, j'ai pu déduire ce qui suit :
Les Turcs conservent l'opinion – et je m'y rallie entièrement – que la solution du problème russe, pour un laps de temps prolongé, serait possible seulement, si les minorités qui se trouvent dans diverses provinces étaient éduquées dans l'esprit d'une collaboration active, et si leur était inculqué le sentiment de l'indépendance, évidemment dans le cadre d'une direction spirituelle, économique et militaire allemande. En nous inspirant de bons modèles (par exemple celui du japon en Birmanie) nous devons essayer de trouver, dans chacun des pays caucasiens et transcaspiens, une personne d'origine locale qui convienne et qui, mise à la tête du Gouvernement, représente, pour la forme, l'autorité administrative.
Pour doubler cette personnalité, doit être nommé un dirigeant responsable allemand qui, en apparence, se tiendra au deuxième plan comme conseiller, mais qui, en fait, sera la personne gouvernante, dirigeante et responsable.
Ces deux personnalités doivent disposer d'un nombre suffisant d'administrations comptant une participation importante d'éléments locaux.
Les légions formées dès maintenant de minorités nationales apparaissent comme un excellent noyau propre à la création d'unités militaires, dans les régions isolées.
Extérieurement, l'organisation des forces armées et de police doit être représentée, autant que possible, par une personne d'origine locale.
En ce qui concerne le choix d'une personnalité dirigeante, d'origine locale, qui convienne pour chaque région, je pourrais, comme il découle de mes entretiens avec Nouman et Saradjoglou, consulter à n'importe quel moment les milieux dirigeants turcs, et ainsi les amener à s'intéresser aux nouvelles formations politiques.
Cette proposition évidemment, diffère totalement de la forme de Gouvernement et d'Administration purement allemand introduite en Ukraine et dans les autres provinces occupées de la Russie ; mais, en ce qui concerne ma proposition pour les États transcaucasiens et transcaspiens, la question de politique extérieure est ici d'une importance primordiale.
Si nous n'intéressons pas la Turquie et si nous n'utilisons pas les facteurs déterminés par la religion commune musulmane, l'occupation et l'administration de ces pays devront être réalisées par nous uniquement sur la base d'un régime policier purement allemand.
La Turquie, inévitablement, se trouverait donc en dehors de la structure de cette nouvelle Europe, et les conséquences d'une telle construction erronée, se feraient sentir très vite.
Étant donné que, simultanément à l'avance des armées victorieuses allemandes qui descendent du Caucase, il faut créer dans ces pays les premiers éléments de la nouvelle administration, il apparaît tout à fait urgent que le Führer décide de cette question, dans l'esprit du plan de politique générale qu'il a tracé précédemment.
Papen
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