Faut-il coller sur les opinions de droite de conviction l'étiquette supposée infamante "d'extrême droite" ? Les politologues, les observateurs agréés, les psycho-sociologues et les politiciens de gauche voient, de toute évidence, dans les amalgames qu'ils cultivent, un instrument dialectique leur permettant d'éliminer leurs concurrents.
De même s'apprêtent-ils à utiliser, savamment, pour le même usage des mots de rechange qui, en français, ne veulent rien dire comme "illibéralisme". À Moscou, aujourd'hui, on fait encore plus fort : "l'extrémisme" en lui-même tombe sous le coup du Code Pénal, le crime même pour lequel fut condamné Navalny.
Clarifions le débat : on qualifie "d'extrême droite" un homme politique ayant fait campagne sur un programme de droite qui, une fois élu applique, en partie du moins, son programme.
Donc, pour la gauche, "l'extrême droite" c'est mal, c'est même très mal. S'en réclamer de près ou de loin vous expose à être privé de dessert, et plus encore vous écarte de l'assiette au beurre.
Il faut se méfier, cependant, de l'éphémère efficacité attribuée à de telles labellisations péjoratives. Ainsi, dans l'Angleterre du début du XVIIIe siècle, après la défaite des stuartistes et la victoire des orangistes, leur parti devint dominant sous le nom de "whigs", parmi les Lords plus encore qu'à la Chambre des Communes. Ils imaginèrent de stigmatiser du surnom de "tories" leurs adversaires, pourtant anglicans, assimilés ainsi aux rebelles catholiques irlandais.
Or, au bout d'un certain temps, ces opposants, qui n'adopteront le nom de "parti conservateur" que beaucoup plus tard, se revendiquèrent fièrement à leur tour de l'étiquette supposée injurieuse. Ils n'étaient pourtant spécialement favorables ni au papisme alors proscrit, ni, encore moins à l'indépendance de la "deuxième île de John Bull".
Un jour ou l'autre en France un phénomène analogue pourrait bien se produire. On verra donc par exemple se qualifier eux-mêmes de "chouans" les plus authentiques de nos républicains nationaux.
On doit relever à cet égard une contre-vérité répandue ces temps-ci par nos marchands de prêt-à-penser à propos de la dite "extrême droite". On la dit écartée du pouvoir depuis la Libération. On entend répéter à l'envi, en effet, que "l'extrême droite" aurait exercé le pouvoir sous le gouvernement de Vichy entre 1940 et 1944 ; puis, c'est, tout naturellement, à son règne impopulaire et nauséabond que la Libération aurait mis un point final.
Cette affirmation se révèle dénuée de tout rapport avec la réalité historique. Il semble donc indispensable de rappeler les faits et de corriger ce discours conventionnel récurrent.
C'est en tant que dernier président du Conseil de la IIIe République investi en juin que le chef de l'État, reçut un mois plus tard les pleins pouvoirs constituants en juillet. Le texte avait voté le 10 juillet 1940 par la chambre du front populaire par 569 parlementaires parmi lesquels 286 appartenaient aux partis de gauche ; seuls 80 s'y opposèrent.
Les 72 staliniens élus en 1936 n'eurent pas l'occasion de se prononcer. Quelques mois plus tôt, en effet, le parti qui s'appelait alors SFIC, section française de l'Internationale communiste et pas encore PCF, avait été dissout du fait d'un décret signé par Édouard Daladier le 26 septembre 1939, au lendemain du pacte Staline-Ribbentrop. Les députés du Parti qui n'avaient pas condamné le Pacte germano-soviétique furent ainsi déchus de leur mandat le 21 janvier 1940 et condamnés, le 3 avril 1940, à des peines de prison et à la privation de leurs droits civiques.
Mais, Thorez s'étant enfui en URSS, la direction du Parti, assumée par Duclos, tenta dès juin 1940 d'obtenir de l'occupant la levée de l'interdiction de "L'Humanité", maintenue par les seules autorités françaises. Le journal fut donc publié clandestinement. Il dénonçait systématiquement le chef de la France libre comme un réactionnaire et un agent stipendié de la "City" et du gouvernement Churchill, ceci jusqu'au 22 juin 1941.(1)⇓..
Léon Blum avait qualifié Philippe Pétain de seul maréchal républicain de l'Armée française, ni les chefs de gouvernement successifs, ni Pierre Laval, ni l'amiral Darlan encore moins l'éphémère Pierre-Étienne Flandin ne s'étaient mêlé avant-guerre aux ligues antiparlementaires ou nationalistes.
L'apogée du régime vit en 1941 la mise en place de la Charte du travail, matrice de notre actuelle sécurité sociale monopoliste, couronnée par l'institution du Premier Mai comme fête nationale. Tout cela était dominé par des gens que nous appellerions aujourd’hui technocrates, et que l'on soupçonnait alors d'être affiliés à une mystérieuse synarchie laquelle attendait l'intervention américaine.
En quoi ces gens étaient-ils "d'extrême droite" ? Celle-ci était beaucoup mieux représentée dans les rangs combattants de la France libre, dans l'entourage des généraux Giraud ou De Gaulle ou parmi les manifestants parisiens, jeunes militants d'Action française, du 11 novembre 1940.
L'épuration aveugle et sanglante de 1944-1945, conduite par les staliniens, s'efforça de créer, par l'effet d'un amalgame indécent et systématique, une catégorie nouvelle d'exclus.
Analogue à ce que le communisme chinois appelle les cinq catégories noires, elle recouvre en France les opinions et les historiques les plus disparates. L'historien est toujours étonné d'en redécouvrir aujourd'hui l'inventaire.
En Chine communiste, on se trouve suspect et discriminé si son grand-père a été fiché comma droitier lors de la campagne des Cent fleurs de 1957. Une même logique d'exclusion a, elle aussi, perduré en France. Avez-vous, de près ou de loin, cru en l'Algérie française ? Vous êtes excommunié. Avez-vous au contraire, porté les valises du FLN comme le camarade Jospin, avez vous applaudi Ho Chi Minh, Mao Tsé Toung, Fidel Castro, Che Guevara ? Vous êtes une belle âme, vous êtes politiquement correct.
Il est cependant mensonger de soutenir que, depuis la Libération aucune formation apparentée au RN actuel n'aurait approché du pouvoir.
Dès 1945, le premier parti défenseur de la réintégration des "épurés" de l'après-guerre s'appelait "parti républicain de la liberté". Et sur une liste soutenue par le PRL qu'en 1947, un certain François Mitterrand, ancien titulaire de la Francisque à lui décernée en 1943 par le Maréchal Pétain, fit sa première apparition dans la Nièvre.
En 1951, le Centre national des indépendants absorba le PRL et assura le retour en force d'une droite assumée, réconciliant authentiques résistants et victimes de l'épuration.
À l'époque la pierre d'achoppement du conformisme de gauche n'était pas encore l'immigration et le droit du sol, mais l'interprétation la plus sectaire de la loi de séparation de 1905. Ce fut donc un texte d'aide aux familles scolarisant leurs enfants dans le privé qui mit le feu aux poudres et fit éclater le "bloc central" de l'époque qu'on appelait "troisième force". La disposition fut votée par toutes les droites, avec le soutien des gaullistes du RPF, en décembre 1951. Dès septembre, lors du dépôt du projet par Charles Barangé, élu MRP du Maine et Loire, et Armand de Baudry d'Asson, député CNI de la Vendée, le Comite national d'action laïque affirmera dans un communiqué que "Dès à présent l'article premier de la Constitution, qui déclare que la République est 'indivisible et laïque', se trouve illégalement abrogé : la République n'est plus laïque, et elle est irrémédiablement divisée."(2)⇓.
À partir de cette date aucun socialiste SFIO n'acceptera de cohabiter au gouvernement avec un démocrate-chrétien du MRP. Et la Quatrième république ne s'en releva pas.
En 1952, Antoine Pinay, CNI, ancien titulaire de la Francisque devint président du Conseil. Il rétablit les finances de l'État et l'économie du pays. Dans son Histoire de la IVe république, Jacques Fauvet peut ainsi consacrer un chapitre à ce qu'il appelle à ce qu'il appelle "le miracle Pinay"(3)⇓.
En 1953, ce fut au tour de Joseph Laniel, lui aussi CNI, de former deux gouvernements successifs. Ancien du PRL, après avoir voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940, puis il avait participé à la fondation du Conseil national de la Résistance.
En 1954, René Coty, CNI, devint le dernier président de la Quatrième république. Son élection n'intervint qu'en décembre 1953, au 14e tour de scrutin. La raison de ce choix tint en partie au fait que, contrairement au premier candidat du CNI, Joseph Laniel qui caracola en tête pendant plusieurs tours, il n'avait pu participer au débat pour ou contre la Communauté Européenne de Défense.
C'est sous l'étiquette du CNI que Jean-Marie Le Pen, – ancien dirigeant des Jeunesses indépendantes de Paris et de la Corporation des Étudiants en Droit, siègera comme député de la 3e circonscription de Paris de 1958 à 1962. On notera que les oppositionnels au sein du Front National reprocheront longtemps à leur président de vouloir reconstituer le CNI. (4)⇓.
En 1958, quand le général De Gaulle revient au pouvoir, il appelle Antoine Pinay, CNI, au ministère des Finances. A nouveau celui-ci rétablit l'ordre monétaire, budgétaire et financier avec le concours de l'économiste Jacques Rueff et il ne quitte le gouvernement Debré qu'en 1960 au moment de la rupture entre les "inconditionnels" du gaullisme et les fidèles de l'Algérie française.
Là encore il est historiquement absurde et mensonger d'identifier cette dernière cause à celle d'une fantomatique et unique "extrême droite". En vertu de la déclaration de Mitterrand ministre de l'Intérieur en 1954 sur "la France une et indivisible de Dunkerque à Tamanrasset", c'est le socialistes Guy Mollet qui envoie le contingent en Algérie en 1956 et les gouverneurs et ministres résidents les plus engagés dans la défense de l'intégrité du territoire viennent de la gauche, Jacques Soustelle comme Robert Lacoste, etc.
Tout ceci ridiculise la volonté de présenter le fantôme mythique de "l'extrême droite" comme un croquemitaine.
JG Malliarakis
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Apostilles
- La collection de l'Huma clandestine, sous une reliure toile, fut rééditée en 1979, préfacée par Duclos⇑
- cf. Le Monde du 12 septembre 1951⇑
- cf. "La IVe république" Fayard, 1960, 396 pages, pp. 193 sq.⇑
- Il avait été d'abord élu en 1956 au scrutin de liste sous l'étiquette "Union et fraternité française", attachée à la défense du commerce et de l'artisanat, dans le contexte du poujadisme]⇑
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