Quelques jours d'escapade londonienne ont conduit son rédacteur à interrompre cette chronique. Elle vaudront à son lecteur l'arrivée impunie de quelques notes en vrac, y compris à propos de l'actualité politique d'outre-Manche et de ses affrontements. Je sollicite donc son indulgence, reprenant un brouillon entrepris avant ce minuscule voyage.
Mais commençons par l'Histoire : sans elle on ne comprend jamais les événements du présent, et encore moins les perspectives de l'avenir.
Le joli livre d'Edmond Sayous répondait, en 1891, aux travaux de Guizot qui avaient fait autorité pendant plusieurs décennies. À plus d'un siècle de distance, sa réédition vient à point nommé. Elle corrige en effet une impression fausse, fort répandue de nos jours, à propos des institutions britanniques. Même sous la plume des plus sérieux, ou des moins frivoles, parmi les politologues français, l'erreur commune consiste à croire que la Grande Bretagne a trouvé dans son berceau les libertés démocratiques dont elle bénéficie. En réalité, le peuple anglais les a conquises de haute lutte au cours de ses Deux Révolutions qui se sont échelonnées au cours du XVIIe siècle.
La première, violente, ressemblait à celle de nos horribles jacobins. Cromwell, sa religiosité en plus, préfigurait Robespierre.
La seconde leur apporta la liberté que le peuple français n'a hélas jamais su stabiliser depuis 1848, et qui, depuis l'avènement la Ve république, d'essence bonapartiste, n'a cessé de lui faire défaut.
Au début du XVIIe siècle, en 1603, meurt la dernière héritière des Tudors, Élizabeth Ire. Elle laisse le trône à son neveu, fils de Marie Stuart.
Or, à cette époque, le gouvernement de Londres fonctionne en fait d'une manière plus autoritaire que celui de Henri IV à Paris, ou des empereurs en Allemagne.
En germe existe certes depuis la Grande Charte du XIIIe siècle une forme de système représentatif. Il est incarné par le parlement de Westminster. Mais on peut encore considérer celui-ci comme une continuation de l'ordre féodal, tels les États généraux de France ou des Pays-Bas ou la Diète du Saint Empire. De plus tout au long du XVIe siècle, les Tudors en avaient abaissé l'institution. Et, sous l'angle judiciaire, ils avaient opposé au nom de l'Équité leur arbitraire à l'héritage jurisprudentiel coutumier de la Loi commune.
Avant même qu'il devînt Jacques Ier d'Angleterre, Jacques VI d'Écosse avait par ailleurs manifesté son penchant pour l'absolutisme. Rappelons que l'on désigne pour tel le régime que la France a effectivement connu, mais plus tard, sous l'influence de Richelieu, entre l'avant dernière réunion des États généraux à Blois en 1614 et la dernière à Versailles en 1789.
Or, en Grande Bretagne, un certain nombre de forces vont militer contre cette tentation du nouveau souverain. Dès 1604 cette lutte de l'Angleterre va commencer. Elle aboutira au régime du Bill of Rights de 1689. À cette date seulement, s'instaure vraiment outre-Manche ce que nous appelons le parlementarisme. Au fil des trois siècles qui ont suivi, ce système n'a cessé de se démocratiser. Cette évolution s'est accomplie sans que l'on touche, depuis lors, à partir de l'arrivée de la dynastie d'Orange, en 1688, ni à la royauté, ni à l'existence, non moins essentielle, de la Chambre des lords. Lentement se sont transformées leurs prérogatives.
Tout cela en général le public français l'ignore.
Il ne dispose en effet sur l'Histoire de nos voisins d'outre-Manche que d'informations le plus souvent parcellaires, schématiquement fausses et caricaturales.
Le livre très vivant d'Edmond Sayous restitue le XVIIe siècle anglais dans toute sa richesse fondatrice.
Il met l'accent sur les questions et les doctrines religieuses et politiques, mais aussi sur l'essor scientifique, les mathématiques, la physique, la pensée expérimentale. Les noms de Hobbes et Milton d'un côté, de Bacon, de Halley ou de Newton de l'autre ne restent pas isolés.
Parmi les violences et les contradictions de cette époque s'est forgée la Grande-Bretagne, car simultanément aussi c'est durant la même période que les trois royaumes vont aboutir à n'en faire qu'un. L'Écosse va passer sous le contrôle de l'Angleterre par l'effet d'un paradoxe qui fit son roi souverain des deux États. Un siècle plus tard l'Acte d'Union scellera cette réalité en 1707 au profit de la famille d'Orange. Au même moment l'île voisine d'Irlande connaîtra un sort plus tragique. Le nom de la ville martyre de Drogheda à l'époque de Cromwell (1649) en symbolise les stigmates.
Au cours de ce XVIIe siècle, et du fait de ces "Deux Révolutions", se jettent ainsi les bases de l'État britannique contemporain.
Or, cette fondation s'accomplit au gré d'une contradiction religieuse intense entre les divers cultes. L'Église établie d'Angleterre, et le roi lui-même s'oppose aux puritains, telle paraît la cause d'une révolution dont la dimension fiscale ne doit pas non plus être oubliée. Les diverses sectes indépendantes mèneront une lutte farouche. Ceci se traduira par une guerre civile, une république, une dictature puis une restauration suivie, enfin, d'un changement de dynastie.
Tous ces épisodes ont engendré aussi des répercussions de la plus haute importance parmi les colonies. Au départ très diverses, elles se sont établies elles-mêmes en Amérique du Nord, en contrepoint des aléas de la Vieille Europe. De la sorte, les puritains, vaincus dans l'île d'Albion, l'emporteront outre Atlantique.
Aujourd'hui encore les États-Unis demeurent tributaires de telles influences remontant aux fameux Pilgrim Fathers. Presbytériens héritiers de leur Écosse originelle, méthodistes, baptistes, épiscopaliens, etc. : autant de sphères religieuses du Nouveau Monde nées en Europe. On redécouvre ainsi une profondeur de l'histoire de la nation américaine qui chagrine nos bons esprits. On voudrait tant la réduire au même rétrécissement qu'ils assignent à celle de la France, prétendument fondée en 1789.
On assiste donc, en quelque sorte, à la lecture d'un seul livre, à l'Histoire de l'émergence de deux pays, le Royaume-Uni et l'Amérique, issus l'un comme l'autre du même rameau européen.
JG Malliarakis
L'Angleterre a son histoire… qui mérite plus qu'une visite !
- celle du XVIIe siècle avec les "Deux Révolutions d'Angleterre" par Edmond Sayous
- celle de l'apparition du parti conservateur au XIXe siècle, à découvrir avec le roman à clef "Coningsby" par Benjamin Disraëli
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