[Je change le titre de cette chronique. Car si les grands habiles ont sauvé une fois de plus le parti communiste, c'est, comme dans Le Guépard, comme aux origines de la Mafia sicilienne, "tout change pour que rien ne change".] Le 25 juin à l'Assemblée nationale, les médiats se sont surtout intéressés à l'accession au perchoir du président du conseil général de Seine-Saint-Denis, le camarade Claude Bartolone à la place naguère promise à Mme Royal.
Mais la question des groupes, quoique plus discrète revêt au moins autant d'importance. Ainsi les deux familles du radicalisme, l'une alliée à la droite, l'autre à la gauche, vont chacune disposer des moyens, tant parlementaires que strictement matériels, attachés à ce statut.
Plus sensible encore, une sixième formation, le fameux "front de gauche" pouvait annoncer la récupération aux côtés de ses membres, de 5 élus d'outre-mer. Additionnés aux 10 députés élus le 17 juin sur son étiquette, ils constitueront au sein du Palais-Bourbon la "gauche démocrate et républicaine". Voilà donc le nouveau cache-nez du parti communiste. Celui-ci ne disposait plus des 15 élus nécessaires pour agir seul. La nouvelle formation sera dirigée par son député du Puy-de-Dôme, le camarade Chassaigne. Ce dernier, le 19 juin, avait utilisé une expression qui nous ramène à la grande époque du stalinisme et de ses compagnons de route. Il avait en effet qualifié d'élus "progressistes" ses futurs auxiliaires.
Penchons-nous quelque peu sur la composition de cet assemblage.
D'abord, on nous avertit aimablement qu'il s'agit d'un groupe "technique". (1)⇓ Il mutualisera et redistribuera les moyens des 10 élus front de gauche et des 5 ultramarins.
Au sein du premier groupe citons les noms des représentants du noyau dur. Il s'agit bien du dernier carré des suivistes du PCF, les camarades :
- Alain Bocquet (Nord) qui présida le groupe communiste de 1993 à 2007,
- Marie-Jo Buffet (Seine-Saint-Denis) qu'on ne présente plus,
- Jean-Jacques Candelier (Nord) membre du Parti,
- Patrice Carvalho (Oise) adhérent depuis l'âge de 15 ans alors qu'il était mécano chez Saint-Gobain – il y a 45 ans.
- Nicolas Sansu représentant du vieux fief ferroviaire de Vierzon (Cher)
- Quant au chef de file Chassaigne, il exerça jadis, il y a plus de 30 ans, le métier d'enseignant professeur de lettres et d'histoire-géographie. Il incarne de la sorte cette estimable corporation, désormais dominante au sein de la gauche de la gauche. Il peut cependant se prévaloir, lui aussi, d'une origine ouvrière puisque son père travaillait chez Michelin. Il a su s'emparer en 2002, malgré la déroute générale de ses amis politiques, du siège détenu jusque-là par un socialiste. À ce double titre, pendant la précampagne de 2010-2011, il servit de postulant comme éventuel candidat à l'investiture au nom des purs et durs de son obédience, la plupart réticents, à l'avance, vis-à-vis du vedettariat de Mélenchon. (2)⇓
- Mentionnons enfin le dernier (?) coco provençal Gaby Charroux, maire de Martigues. Eh oui la Venise provençale, la patrie de Charles Maurras élit de longue date une municipalité stalinienne. Cependant la 13e circonscription des Bouches-du-Rhône, avec Istres, Port-de-Bouc, Fos-sur-Mer, etc. où il succède à un autre représentant PCF s'est abstenue à 49,8 %. En l'occurrence il semble bien que le réveil présidentiel, loin de représenter un échec, a permis de survivre. Voila ce qu'il déclare :
"Permettez-moi ensuite de souligner l’excellent score obtenu par Jean-Luc Mélenchon. Dans notre commune, avec près de 6 000 voix, le front de gauche multiplie par trois son résultat par rapport à la présidentielle de 2007. Cela démontre que l’aspiration à une véritable alternative, portée aujourd’hui par 4 millions de citoyens au plan national est une exigence qui s’inscrit dans la réalité politique de notre société."
Pierre Laurent, secrétaire général du parti, dit la même chose à sa manière : "La campagne d'Hénin-Beaumont était utile et a fait progresser le front de gauche". (3)⇓
Après avoir pressé le citron, on le jette discrètement.
Car, à côté de tels inconditionnels, le "parti de gauche" n'aura enregistré qu'un élu : Marc Dolez, dans le département du Nord, ancien membre du PS, secrétaire national et cofondateur du mouvement. Sept chevaux et une alouette : comment s'appelle le pâté. Notons aussi que les bon vieux "stals" ont admis la présence de deux oppositionnels. Il s'agit d'abord de Jacqueline Fraysse (Hauts-de-Seine) en rupture de parti depuis mars 2010, et se réclame d'une "alternative sociale et écologique" et de la "gauche citoyenne".
Enfin, François Assensi (un des deux derniers élus du 93), avait été exclu de la direction nationale en 1984. Son parcours le classe parmi les "refondateurs". Il exprime la prétention de rénover les structures du parti afin de "l’ouvrir à la modernité et à la construction d'un grand mouvement de gauche."
"Lorsqu’en 1984 je suis entré en conflit ouvert, dit-il, avec Georges Marchais, en proposant la transformation du PC en 'parti révolutionnaire de type nouveau', j’ai pu m’appuyer sur de nombreux maires de Seine-Saint-Denis. Ensemble nous avons marqué notre désaccord de fond avec le langage identitaire ouvriériste de la direction." (4)⇓ Autrefois ce genre de propos n'était jamais pardonné.
La composante des 5 ultramarins paraît plus hétéroclite.
L'affiliation de Huguette Bello, membre du parti communiste réunionnais n'étonnera personne.
Le Mouvement indépendantiste martiniquais, avait été créé en 1978 avec pour objectif "la décolonisation et l'indépendance de la Martinique". Mais le MIM en 2008 a voté à l'unanimité pour une évolution statutaire de l'île fondée sur l'article 74 de la Constitution, trouve logiquement sa place aux côtés des communistes avec ses deux élus Alfred Marie-Jeanne et Jean-Philippe Nilor.
Reste deux cas plus surprenants.
On évoquera d'abord celui de Bruno Nestor Azerot divers gauche, proche du Rassemblement démocratique martiniquais, donc rival du Mouvement indépendantiste aux côtés duquel il siégera cependantt.
On s'étonnera plus encore de celui de Gabriel Serville du parti socialiste guyanais. Apparenté au PS, ce mouvement remontant à 1956, est considéré très proche idéologiquement du Parti socialiste métropolitain. L'une des principales divergences se fait sur la question de l'immigration sur laquelle son dirigeant a marqué un soutien appuyé aux politiques de François Baroin et Nicolas Sarkozy.
De là à penser que ces 2 renforts ont été imaginés par le pouvoir afin d'éviter à son vieil allié de faire baisser la barre réglementaire pour la constitution d'un groupe, on ne mesure qu'un petit pas.
Chassaigne indiquait d'ailleurs le 19 juin qu'il se considérait "clairement dans le cadre de la majorité de gauche".
Président du "parti de gauche", le camarade Mélenchon déplore désormais ouvertement ce qu'il appelle la "carence de direction politique" durant les législatives. Et il déclare : "Il faut tirer la leçon de tout cela et comprendre où sont passées les deux millions de voix qui manquent", entre les scrutins présidentiel et législatif.
Tirons la leçon en effet. Les grands habiles ont sauvé une fois de plus le parti communiste. Comme dans Le Guépard, comme aux origines de la Mafia sicilienne, "tout change pour que rien ne change".
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. L'Humanité du 26 juin 2012.⇑
- On revisionnera avec plaisir leurs embrassades de 2010 à Clermont-Ferrand.⇑
- sur RTL, le 15 juin.⇑
- cf. Mediapart 20 mars 2008.⇑
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