Après avoir copieusement tiré parti de la guerre d’Ukraine, et des sanctions qu’elle contourne, la Turquie d’Erdogan traverse ces temps-ci une mauvaise passe à l’international.
Le plus récent a été connu ce 24 avril. Il s’agit de la réponse de la vice-présidente de la Commission européenne, Kaja Kallas dans le cadre des travaux du parlement européen. Au sein de celui-ci la Commission UE-Turquie est plus ou moins le dernier reliquat de la candidature turque enlisée depuis l’accord d’Ankara de 1963 et son dépôt officiel par le gouvernement de Turgut Ozal en 1987. À vrai dire depuis 2018, les négociations d’adhésion sont officiellement au point mort. La raison invoquée constate les défaillances démocratiques fondamentales dans le pays. Néanmoins lors de la réélection d’Erdogan dont le régime islamo-conservateur dure depuis plus de 20 ans, les institutions européennes ont cru devoir adresser leurs félicitations à ce vainqueur de justesse. Il avait obtenu, après une campagne trafiquée, 52 % des voix au second tour, dont 5 % apportées par le ralliement du troisième candidat, issu des Loups Gris, Sinan Oğan.
À Paris, un Hubert Védrine pour qui l'Occident n'existe pas, semble toujours le maître à penser de la politique internationale. On ne s’étonnera donc pas si une Kaja Kallas, militante de l'Europe libre, ancienne Première ministre d'Estonie, est systématiquement dénigrée dans ses fonctions de représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Or, c’est sur ce dernier terrain, celui de la défense, régi par l’article 42-7 du traité de l’Union, que Kaja Kallas a lancé un solennel avertissement à Erdogan. Cette clause de défense mutuelle dispose en effet que « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ». Sur cette base elle a donc averti que « la Turquie doit respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de tous les États membres, ainsi que tous leurs droits souverains », dont Ankara se refuse, hélas impunément jusqu'ici, à tenir compte. Il semble clair que la concrétisation d’une telle doctrine européenne heureusement réaffirmée entraînera des conséquences, y compris dans un dossier comme celui du Groenland.
Une deuxième déconvenue, plus inattendue, s’est concrétisée en Asie centrale. Depuis 1991, Ankara considère les anciennes républiques musulmanes de l’Union soviétique comme son terrain de jeu naturel. Ce pays avait été le premier à reconnaître l'indépendance de l'Asie centrale. Sous la présidence de Turgut Özal, trois dirigeants de la région avaient effectué en Turquie leur première visite à l'étranger. Des hauts fonctionnaires avaient étudié en Turquie bénéficiant d’une bourse d'État turque, et Ankara les avait aidés non seulement à rétablir la religion et mais aussi à gérer les groupes radicaux infiltrés. L’ancienne métropole des Ottomans se positionnait ainsi comme « grand frère » des républiques d'Asie centrale. Il a même été créé pour cela une Organisation des États turciques. Celle-ci comprend 5 membres à part entière : l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Turquie et l'Ouzbékistan. Le Turkménistan et même la Hongrie y ont le statut d'observateurs. Et l’entité étatique créée en 1983 dans la zone d’occupation d’Ankara, sous le nom de République de Chypre du Nord (RTCN, sigle turc : KKTC), reconnue exclusivement par la Turquie cherchait, jusqu’ici, à s’y faire admettre.
Or, le sommet UE-Asie centrale du 4 avril à Samarcande aura marqué à cet égard un tournant diplomatique majeur, se soldant par une défaite et une déception pour la diplomatie d’Erdogan. Cette rencontre rassemblait António Costa, président du Conseil européen, Ursula von der Leyen, et les présidents respectifs de l’Ouzbékistan, Chavkat Mirziyoïev organisateur de la réunion, Kassym-Jomart Tokayev du Kazakhstan, Sadyr Japarov du Kirghizstan, Emomali Rahmon du Tadjikistan, et Serdar Berdimuhamedov du Turkménistan. Une déclaration commune a été publiée. Elle réitère l'engagement de se conformer aux résolutions 541 et 550 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui, depuis plus de 40 ans, rejettent explicitement la légitimité de la KKTC et réaffirme l'intégrité territoriale de la République de Chypre. Ceci conditionnait un accord substantiel et détaillé de coopération économique et de connectivité avec l’Europe.
Enfin un troisième avertissement au régime d’Erdogan a été donné par le gouvernement allemand, en tant que partenaire du consortium Eurofighter. Révélé le 18 avril par le journal financier Handelsblatt, qui cite des sources informées de discussions secrètes au sein du gouvernement sortant, le blocage allemand se fonde sur des raisons clairement politiques. L’arrestation, le 19 mars du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, figure de proue de l’opposition laïque et libérale, rassemblée autour du vieux parti kémaliste en vue de l’élection présidentielle de 2028, est en effet tenue par Berlin comme signifiant la rupture d’Ankara avec les normes démocratiques. Dans un tel contexte le gouvernement allemand s’oppose désormais aux licences d'exportation d'avions.
Europe : 3 ; Erdogan : 0. Un bon score pour ce printemps
JG Malliarakis
Pour recevoir les liens du jour de L'Insolent,
il suffit de le demander en adressant un message à
[email protected]
Il me semble que l'Europe démocratique commence à se réveiller face aux dictatures et les dangers qu'elles représentent pour la paix sur le vieux continent. Donc moins d'échanges économiques avec elles. Espérons que ce réveil tardif puisse être salutaire.
Rédigé par : Laurent Worms | mardi 29 avr 2025 à 06:56
La Turquie est un bon contributeur au budget de l'OTAN... Quand on pense que les USA vont peut-être quitter l'OTAN et que Trump joue la carte du rapprochement avec la Russie contre la Chine (tandis que la Turquie est un ennemi historique de la Russie), il y a lieu de s'interroger. Car, sur qui compter en cas de trahison de la part de la Russie, dont le gâteau européen a sans doute été promis par Trump ? Cela semble être une situation cornélienne : la menace de l'islamo-conservatisme de la Turquie ou celle de la "mort" du communisme mal déguisée depuis 1991 ?
Rédigé par : Marie CASANOVA | mardi 29 avr 2025 à 17:43
Vous nous parlez d’occident. Vous reprochez à Hubert Védrine, que pour lui l’occident n’existe pas. Or Védrine est l’un des rares esprits lucides dans l’élite française actuellement.
Défense de l’occident, c’était un livre de Henri Massis. Mais cette vision de l’occident n’existe plus aujourd’hui. De quel occident parle-t-on ?
On s'approche d'un retrait complet des USA de la guerre en Ukraine, accompagné par un engagement des pays européens à leur place: coalition of the willing.
Il y a un deal là derrière puisque l’Europe est toujours une colonie US :
"Je retire mes billes parce que j'ai à gérer ma rivalité avec la Chine et que je dois protéger Israël. Faites donc la guerre à ma place en Ukraine, mais achetez-moi les armes pour le faire!"
Et les minus Macron, Starmer, Merz, & Co obéissent le petit doigt sur la couture du pantalon.
Maintenant regardez-moi cet imbroglio: Trump a annoncé sa volonté d’occuper militairement le Groenland à la première occasion. Et bien sûr, c'est tentant pour lui. Le Groenland aurait bien du mal à se défendre. Mais c'est quand même un acte de guerre contre le Danemark, un allié et membre de l'OTAN. Et l’OTAN n’est pas dissous. Au contraire, miss Kallas tance la Turquie d’en prendre à son aise avec ses obligations de membre de l’OTAN.
Donc, une agression américaine se prépare contre un membre de l’alliance (le Danemark), non provoquée et beaucoup plus cynique que celle de la Russie contre l'Ukraine. Car l’OTAN étendue à l’Ukraine était une menace sur les intérêts vitaux de la Russie. Donc l’opération militaire spéciale a été provoquée par l’OTAN. Mais le Groenland ne menace absolument pas les USA, ni le Danemark.
Comment l'Eurotan (j'appelle toujours ainsi l'UE) pourrait-elle accepter ça, après s'être tant indignée de l'agression russe contre l'Ukraine ?
Le Danemark se retrouverait donc techniquement en guerre avec les USA et ne pourrait pas ne pas demander l'aide de ses alliés qui normalement me pourraient pas refuser cette aide. Et l’OTAN proprement dite ? Quel est son statut, du moment que la puissance dominante de l’alliance agresse ses vassaux, auxquels elle demande en plus de faire la guerre pour lui contre la Russie, par procuration ? Evidemment, ils sujets ne feront jamais la guerre contre leur maître américain. Mais tout de même, ils se retrouveraient, d'un côté, contraints de se réarmer, et de soutenir militairement l'Ukraine, et de l'autre côté, ils seraient en guerre avec leur suzerain, oncle Sam, qui les aurait agressés.
Bien sûr, ce sont des états esclaves, qui n'ont même pas envers l’Amérique le degré d'autonomie et de souveraineté qu'avait le maréchal Pétain à Vichy face à l’Allemagne. Mais ils sont vraiment dans une situation impossible. Être agressé par un allié, ça n’est pas banal. Que doivent-ils faire ? Vous avouerez que c'est cornélien.
On nous dit que l’OTAN s’est renforcée puisque la Suède et la Finlande neutres y ont adhéré. Ah bon ? Mais à quoi ont-ils adhéré ? C’est une organisation dans laquelle il y a un état de guerre entre le membre le plus important et tous les autres. Vont-ils activer la clause de défense mutuelle contre les USA ? Ils devraient. La Suède et la Finlande le devraient, par respect pour leur voisin le Danemark.
Une alliance existe-t-elle encore quand l’un des membres, qui plus est le plus important, est en état de guerre avec les autres ?
Ne serait-il pas plus honnête de constater que l’OTAN n’existe plus ?
Et puis, ces Allemands qui ne veulent plus livrer des Eurofighters à la Turquie, sous prétexte que cette dernière ne respecte plus les normes démocratiques (arrestation d’Imamoglu ? Ah bon, donc d’être une démocratie est un critère exigé de tout membre de cette alliance militaire maintenant. Première nouvelle. On croyait que le but de l’alliance était la défense contre l’URSS, qui pourrait éventuellement se transposer contre la Russie de Poutine, pas la défense de la démocratie. On mélange tout. Jamais on n’avait demandé à Franco ni à Salazar d’être démocrates. Et on avait raison. Il ne s’agissait pas de ça.
Finalement la désinvolture d’Erdogan est la seule attitude cohérente parmi celles de tous les membres de l’OTAN. Contrairement aux autres, il prend simplement acte de ce qu’est devenue cette organisation.
Rédigé par : Helveticus | mardi 29 avr 2025 à 21:53
D'ailleurs, concernant Imamoglu, évidemment ce n'est pas joli joli de l'arrêter comme ça. Mais tous comptes faits, quelle différence avec la condamnation politique de Marine Le Pen, excluant de l'élection présidentielle pour des broutilles, une candidate qui avait recueilli plus de 40% des suffrages la dernière fois et qui avait une réelle chance d'être élue cette fois?
Et quelle différence avec l'exclusion du candidat roumain Călin Georgescu, sous prétexte qu'il serait soutenu par les Russes ?
Parce que les autres candidats ne sont pas soutenus par une puissance étrangère (les USA) peut-être ? Qui plus est une puissance qui pousse les peuples européens à se faire tuer à la guerre pour elle, contre leurs intérêts.
C'est très simple: on est en état de guerre contre la Russie: la colonie européenne est sommée de faire la guerre à la Russie comme les Sénégalais et les Maliens étaient sommés de faire la guerre en Indochine contre les Annamites, qui ne leur avaient rien fait, parce que la France l'exigeait. C'est pareil.
On nous ment en parlant de démocratie: Marine Le Pen n'a pas la confiance pleine et entière de l'hégémon américain dans sa guerre par procuration qu'il impose à la France de faire contre la Russie. Georgescu non plus n'est pas jugé digne de confiance. Seuls les traîtres à la solde de l'Amérique sont éligibles.
L'Eurotan est en guerre contre la Russie. Donc les candidats même légèrement suspects à la puissance domninante sont exclus. C'est aussi simple que ça. Démocratie ou pas.
Erdogan s'assied sur la démocratie, si son pouvoir est en jeu. L'empire belliciste eurotanien fait de même dans ses domaines, si un candidat menace son pouvoir. C'est kif kif.
Rédigé par : Helveticus | mardi 29 avr 2025 à 22:14