La victoire de Donald Trump, et, à sa suite, les premières annonces de nominations de futurs ministres, ont dès maintenant fait couler beaucoup d'encre. D'évidence, et de façon bien naturelle celle-ci n'est pas toujours sympathique. Les commentaires dominants sont demeurés en effet depuis le départ dans le pot au noir, instable et dangereux, de nos aveuglements européens.
Nous nous voyons abreuvés ainsi d'interprétations tendant toutes, de façon tout à fait artificielle, par crainte chez les uns, par admiration chez les autres, à transposer un schéma faussé d'une rive à l'autre de l'océan Atlantique. Et l'on se refuse à voir, d'abord, qu'il s'est agi de la défaite américaine de Kamala Harris et du parti démocrate des États-Unis. On la présente comme une victoire, assurément dommageable, de la Russie dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine et contre l'OTAN.
À cet égard qu'on me permette de renvoyer mes amis lecteurs à ma courte chronique du 12 novembre "Ça se passe en Europe", où je rappelle les résultats chiffrés, parfaitement significatifs, de cette défaite de la gauche, sans que le candidat Trump ait gagné de voix par rapport à 2020. [cf.L'Insolent du 12 novembre 2024 https://www.insolent.fr/2024/11/ca-se-passe-en-europe.html]
On ne se focalisera donc pas ici sur les données de politique strictement intérieure d'un pays, dont notre défense est restée clairement tributaire depuis des décennies. On se contentera de s'efforcer d'observer les conséquences prévisibles de la politique internationale qu'il se propose de mettre en place.
Il ne s'agit donc pas seulement du retour d'un personnage, sans doute haut en couleurs, et aux contours plus ou moins retouchés, 8 ans après sa première victoire, 4 ans après la revanche de ses adversaires du parti démocrate.
On ne doit pas, non plus, y voir un simple retour à la tradition isolationniste du parti républicain, telle qu'elle fonctionna entre 1918 et 1942, poussée cette fois à son plus haut degré d'intensité. Le président élu de la plus grande puissance mondiale n'hésite pas, en effet, à se dire lui-même nationaliste. Dès sa campagne présidentielle de 2015-2016, il affirmait sans doute une ligne en grande partie comparable à la politique suivie pendant l'entre-deux guerres. Mais il proclamait aussi la nécessité d'un retour au protectionnisme et à des références culturelles conservatrices. Il mettait en avant le slogan « l'Amérique d'abord », qui avait rassemblé les opposants à l'entrée dans la Seconde Guerre mondiale. Et aujourd'hui il popularise, par le sigle MAGA sur son ostensible casquette rouge, l'objectif de refaire la grandeur de son pays.
Or, en même temps, nous assistons bel et bien à une réorientation stratégique, transférant la centralité du lien transatlantique vers la perspective de l'océan Pacifique. Cette préoccupation était déjà fort en vue dès les années 1990 et elle aura été dessinée de longue date à Washington, aussi bien dans les cercles militaires que sous les secrétaires d'État successifs. Mike Pompeo (2018-2021), puis Antony Blinken, en fonction depuis janvier 2021, ont pu représenter, en apparence, des orientations différentes à cet égard. En réalité, le républicain comme le démocrate assignent aux États-Unis le rôle de « conduire le monde ». La formule fut employée par l'élégant ministre de Biden dès l'annonce de sa nomination, le 13 novembre 2016. Inutile de dire, la protestation qu'elle suscita chez les nostalgiques de l'hégémonie soviétique. [Lire à ce sujet, dans L'Huma du 2 décembre 2020, "Qui est Anthony Blinken, le futur chef de la diplomatie américaine ?" https://www.humanite.fr/monde/etats-unis/qui-est-anthony-blinken-le-futur-chef-de-la-diplomatie-americaine-696941]
Désormais, cependant, c'est la Chine communiste qui est devenue la véritable rivale des États-Unis sur la scène mondiale.
Techniquement, et d'une manière presque paradoxale, l'Occident global pourtant était devenu en 1972, dans le contexte du conflit sino-soviétique l'allié de Pékin. Cette orientation s'était révélée permanente sinon fondamentale. Conçue par feu Henry Kissinger, elle avait pris forme avec les accords conclus vers la fin de la guerre au Vietnam, entre Nixon et Mao Tsé-toung. Elle a conduit à la multiplication des coopérations économiques, sur une échelle beaucoup plus large que n'avaient connu, par le passé, les divers partenariats soviéto-américains.
Après un demi-siècle de bons et loyaux services, et de gros profits pour les grandes entreprises de la distribution américaine, il semble bien que cette alliance avec Pékin a rejoint dans le tombeau son architecte, disparu à l'âge de 100 ans le 29 novembre 2023.
L’élection de Donald Trump suscite au contraire l'inquiétude d'un analyste aussi pertinent que Jean-Sylvestre Mongrenier qui en redoute les conséquences, dans un article daté du 17 novembre 2024. Car, si le « pivot vers l’Asie », appelle l’européanisation de l’OTAN, il est ressenti comme la fin d'une protection, considérée comme confortable par la classe politique ouest-européenne. Beaucoup de dirigeants parmi les Vingt-Sept, peu soucieux d'investir dans l'effort militaire, biberonnés aux délices de la servitude volontaire, voient dans cette évolution un abandon par le grand frère. [cf. son article : "Comment éviter un découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord ?", sur le site de Desk-Russie]
Depuis 70 ans, depuis le rejet en 1954 d'une Communauté européenne de défense, l'idée d'un pilier européen de l'OTAN est demeurée au point mort, et ceci malgré l'identité européenne de Défense mentionnée en 1991 dans le traité de Maastricht, passée rapidement à la trappe, nonobstant aussi l'article 42, ex-article 17, du traité de l'Union européenne qui dispose en théorie "d'une politique de défense commune de l'Union". En théorie seulement.
Il se trouve que le nouveau gouvernement des États-Unis nous offre en fait une nouvelle chance de prendre en main notre destin. Tous les pays européens, s'ils désirent retrouver une part de souveraineté, pourraient et devraient consacrer, à l'instar de la Pologne, environ 4 % de leur produit intérieur brut à la défense. Ils sont, à ce jour, très loin du compte. Trump nous le reproche : sur ce point, il n'a pas tort. Nos dirigeants, nos technocrates et nos maîtres auront-ils le courage de le comprendre ?
JG Malliarakis
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