Commençons par un petit exercice d'arithmétique élémentaire. Comme je ne l'ai lu sur aucun site consulté, j'espère que les lecteurs de cette chronique, s'ils l'ont trouvé sur leur journal préféré, ne me tiendront pas rigueur de le mentionner ci-dessous*.(1)⇓
On découvre ainsi que la gauche, clairement battue en nombre de voix obtient en moyenne un député pour 49 000 électeurs ; le bloc national un député pour 75 000 voix. Un électeur de gauche vaut donc dans cette étrange inégalité 1,52 électeurs de droite.
On aura donc tout vu, dans cette campagne de second tour, y compris des personnages classés [très artificiellement] à droite, comme Édouard Philippe au Havre, faisant voter, au nom des "valeurs", pour le parti communiste.
Certains croient pouvoir rétorquer que le mécanisme même du suffrage uninominal est de surreprésenter le parti vainqueur. Et d'invoquer l'exemple de l'Angleterre, depuis 1688.
Or, nous nous trouvons ici dans la configuration inverse. Avec 25 % des voix l'union (provisoire) de la gauche obtient 33 % des sièges. Avec 33 % des suffrages le bloc national RN + Ciotti obtient 25 % des députés… Cherchez l'erreur.
C'est donc sans doute avec amertume que beaucoup de Français, qui pouvaient espérer un redressement de leur pays et une remise en ordre, ont éprouvé ce 7 juillet le sentiment d'avoir été dépouillés de leur vote.
Le sentiment de malaise ne porte pas seulement sur le retournement de situation entre les deux tours. Dans l'histoire électorale, plusieurs précédents ont permis de la sorte un démenti des résultats à une semaine de distance. On pourrait évoquer plusieurs exemples sous la troisième république, où la droite croyant l'emporter vit la victoire se dérober. Avec 104 gouvernements en 70 ans, ce régime déliquescent fut suivi de la quatrième république et ses 28 ministères en 14 ans, pour un résultat aussi désastreux, mais le mode de scrutin a été rarement remis en question.
Or, la vocation même du scrutin uninominal à deux tours se révèle, dans la pratique, plus favorable à la gauche. Elle lui permet d'appliquer la règle "au premier tour on choisit, au deuxième tour on élimine". Les arbitrages passent traditionnellement par la rue Cadet. L'équivalent n'existe pas à droite.
Il se trouve que cela intervient alors que, depuis 15 ans au moins, un autre grave malaise alourdit le climat de notre démocratie. Le référendum de 2005 avait rejeté un projet de constitution européenne, sans doute nécessaire mais singulièrement mal ficelé, et mal défendu. Nos dirigeants avaient déjà commis une grave erreur : celle de substituer au texte rédigé par Giscard d'Estaing, et dont on ne voulait pas, le traité de Lisbonne signé en décembre 2007 par Nicolas Sarkozy, au mépris de ses promesses, aux dispositions pratiquement identiques. En effet ce traité ne résout toujours pas, de façon démocratique claire, les relations institutionnelles entre le parlement élu au suffrage universel, les peuples et les dirigeants effectifs de l'Union européenne, la Commission, le Conseil, la Cour de Justice, mais aussi la CEDH, la Banque centrale… on va le découvrir dans quelques semaines avec la question de la composition de la Commission, où l'on va une fois encore violer les principes, affirmés sur le papier, et jamais appliqués.
L'insatisfaction, voire l'écœurement face au spectacle des combinaisons et "magouilles" cela peut conduire à des conséquences imprévisibles si le mécontentement, l'angoisse même, de 10 millions d'électeurs ne fait l'objet d'aucune prise en compte.
Dans ce pays, l’inversion est en train de devenir la norme, et la déconstruction tient lieu de doctrine culturelle, officiellement imposée, de l’école à la scène, de la musique à la cimaise : on ne s’étonne donc plus d’entendre appeler démocratie la négation d'une volonté exprimée par le peuple théoriquement souverain.
Dans les résultats individuels de cette élection, on pourrait citer certes, quelques sujets de satisfaction. J’en indiquerai par exemple un : celui de voir un Olivier Véran, désormais reconverti dans la médecine esthétique, renvoyé à son cabinet par les électeurs de Grenoble. Hélas la victoire d’un candidat front populaire nous empêche d’exulter.
L’hécatombe frappe aussi Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'Enfance, au cas où cette importante fonction aurait échappé au lecteur. Stanislas Guérini figure moins insupportable du parti présidentiel disparaît lui aussi. À Montauban, c’est une candidate LR-RN qui balaye la socialiste presque respirable Valérie Rabault vice-présidente de l'Assemblée nationale sortante, figure consensuelle du Palais Bourbon. Son nom revenait avec insistance pour prendre la présidence de l'hémicycle : il faudra trouver un autre compromis.
La réélection d’Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Hendrik Davi, dissidents « insoumis », vaut camouflet pour Jean-Luc Mélenchon. Son parti ne représente que la moitié du bloc de gauche, certes mieux représenté en sièges qu’en voix du premier tour.
Globalement, ce sont bien les désistements dans l’entre-deux-tours, qui ont fait passer le nombre de triangulaires de 306 à 89, et ont donc permis à la gauche d’éviter la déroute.
Mélenchon a cependant osé tenir au soir de ce 7 juillet un véritable discours de coup d’État, se croyant sous la troisième république, la gauche exigeant le départ d’un Millerand en 1924, ou d’un Mac Mahon. Après la victoire des républicains en 1877, celui-ci fut contraint de se démettre, pour ne pas avoir à se soumettre, et il quitta l'Élysée le 30 janvier 1879.
Le score obtenu lors de ces législatives, cependant, ne permettrait pas un tel scénario. Tout au plus, le véritable précédent pourrait bien se révéler plutôt celui de Deschanel, démissionné en 1920, après 7 mois de présidence, en raison de rumeurs sur sa santé mentale.
Plus stupéfiant peut-être, on a pu voir, sur les plateaux de télévision le petit roquet stalinien Deffontaines. Il avait été, le 9 juin, tête d’une liste qui pesa 2 %. Celui qui se définit lui-même comme un "Bébé Roussel" de 27 ans n'est pas plus que Fabien Roussel issu du monde ouvrier. Et, le 30 juin, dans la Somme le candidat Deffontaines avait été envoyé au tapis dès le 1er tour : 15,03 % des voix, contre 48,9 % pour le candidat RN et 27,7 % pour le candidat LR. Eh bien, il croit quand même pouvoir parler sur le ton du triomphateur à Laure Lavalette, elle-même réélue à Toulon. Là aussi c'est le vaincu qui donne des leçons…
L'impudence de l'extrême gauche est aujourd'hui son comble. On aura du mal à croire, de toute façon, que les choses puissent vraiment durer plusieurs mois. Il est vrai que la troisième force de la quatrième république a duré plusieurs années, au moins de 1946 à 1956. Et il semble que telle serait la situation de désordre désirée et programmée par M. Macron.
JG Malliarakis
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Apostilles
* On part ici des statistiques officielles réunies par le Ministère de l'intérieur. Trois blocs principaux s'affrontaient, dès le premier tour que l'on trouvait étiquetés officiellement ainsi : les partis associés sous la bannière du nouveau front populaire étaient considérés comme "union de la gauche" UG ; les candidats du RN, étiquetés comme tels, étaient unis aux amis d'Éric Ciotti, ces derniers étant classés comme UXD "union de l'extrême droite"" ; enfin les partisans du camp présidentiel, ci-devant appelé "majorité". On laisse ici de côté les "divers", y compris les survivants de l'UDI, les régionalistes, "Reconquête", etc. et même les LR dits "canal historique" + divers droite, dont on constate que le résultat est loin d'être anecdotique avec 66 sièges.
Si donc on comptabilise les voix obtenues par chacun des camps au premier tour, seule photographie exacte de l'opinion populaire, et si on les compare aux sièges obtenus, on découvre :
UG, gauche et extrême gauche, "La France Insoumise" + parti socialiste + "Europe Écologie Les Verts" + parti communiste = 8 995 226 voix, 182 élus dont 32 au premier tour. Cela représente, à gauche, un député pour 49 424 voix électeurs.
Le camp présidentiel a rassemblé, le 30 juin, pour "Ensemble" 6 425 707 voix, auxquelles il faut ajouter 231 667 "Horizons", 391 423 DVC "divers centre" et sans doute pas mal d'autres macroniens. Malgré une légère remontada au second tour ce "bloc central" ne peut plus être qualifié de majoritaire.
Le bloc national composé du RN et des "UXD", lesquels obtiennent respectivement 9 379 092 et 1 268 822 voix soit en tout 10 647 914 qu'on ne peut dissocier que très arbitrairement. Au total ce bloc de droite obtenait 142 élus, soit un pour 74 985 votants...
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