Ce 4 juin, puis le 6, on aura pu observer le poids et le degré d'instrumentalisation des anniversaires.
Il est bien sûr naturel, ou plutôt il devrait être considéré comme légitime que l'opinion publique s'intéresse plus aux événements actuels qu'à ceux du passé.
Seulement voilà : "nous" commémorons beaucoup, "nous" multiplions les hommages et les anniversaires, en les détournant trop souvent de leur réalité historique. Ainsi, personne ou presque n'a osé rappeler, le 6 juin, comment avait été décidé le lieu du débarquement allié. Le choix stratégique de la Normandie avait été pratiquement imposé en 1943, lors de la conférence de Téhéran, par Staline. Les plages de l'ouest de la France furent préférées à l'Europe du sud-est contre l'avis de Churchill mais avec le consentement de Roosevelt. Ceci permit d'imposer des dictatures communistes aux peuples d'Europe centrale et orientale, entérinées à Yalta et confirmée à Potsdam en 1945. Cette occupation-là perdura pendant 46 longues années, jusqu'à l'effondrement sans gloire de l'URSS en 1991 et à la dislocation du bloc soviétique.
Plus affligeant encore, quand "nous" ne déformons pas le sens de ces commémorations "nous" les récupérons.
Par "nous" il convient d'entendre plutôt : "eux". Et plus précisément "il".
Inutile de s'étendre sur le spectacle permanent du cirque Macron. "Il" a essayé de mettre en scène, ce 6 juin, la commémoration du 80e anniversaire en multipliant six (!) discours creux et artificiels. Les héros alliés du débarquement étaient misérablement détournés au profit de sa campagne électorale en vue du scrutin européen 9 juin.
L'hyper-commémoration de ce glorieux épisode de la seconde guerre mondiale n'est donc pas plus innocente que la tentative macronienne de détourner la sympathie que quelque 80 % des Français peuvent éprouver pour le soutien à l'Ukraine. Au niveau qu'a atteint, en effet, la liste conduite par Mme Hayer, la pauvre candidate nullissime choisie par la Macronie, tout doit lui sembler bon.
En dépit des efforts et des stratagèmes du pouvoir, on peut d'ores et déjà cependant prévoir, que le 10 juin on ne pourra plus employer le mot de "majorité" pour désigner ce qui représente un votant sur 6 ou 7... à moins de désigner désormais par ce terme la véritable majorité des Français, celle que les politologues et autres observateurs agréés aiment à désigner comme "populistes" quand ils ne parlent pas "d'extrême droite".
Ainsi, trop d'hommage tue les hommages...
En revanche, il est un hommage annuel qui tend à s'estomper, même en occident, 35 ans après : c'est celui du massacre de la place Tiananmen en 1989.
Dès 1991, Simon Leys écrivait à ce sujet la préface d'un excellent ouvrage, consacré à cette immense protestation, représentative de tout un peuple. Il y soulignait qu'en "Chine, mère et nourrice de toutes les cultures de l'Asie orientale, en temps de paix, au cœur le plus sacré de la capitale de la plus ancienne civilisation vivante de notre planète, un gouvernement a pu ordonner de sang froid le massacre de citoyens innocents pacifiques et désarmés". (1)⇓
Alors même que le communisme mourrait en Europe de l'est, alors qu'il s'effritait dans la Russie de Gorbatchev, la réconciliation soviéto-chinoise, après bientôt 25 ans de brouille, se dessinait depuis la mort de Brejnev et l'arrivée d'Andropov en 1982-1983. Elle ne put se concrétiser en cette année 1989, précisément parce que le parti communiste à Pékin, demeuré stalinien, ne voulait pas subir le sort de son homologue en Union soviétique.
Or, on se trompe lourdement quand on ne veut voir, dans les manifestants du mouvement de Tiananmen de 1989, qu'une dimension exclusivement "étudiante". Toutes les catégories sociales ont alors contribué à cette protestation. Tous les participants se dressaient contre les privilèges de la bureaucratie. Ils dénonçaient déjà cette forme si particulière de capitalisme que les Chinois appellent, depuis le règne de Deng Xiaoping (1978-1997), le guandao "l'affairisme officiel". Hélas, sous la direction de ses successeurs ce phénomène n'a fait que s'aggraver.
De nombreux manifestes et discours de soutien en témoignent. Ils venaient aussi bien des professeurs de la grande université Pékinoise de Beida, soutenus par la pétition d'un millier d'intellectuels mais aussi d'un syndicat autonome des ouvriers de la Capitale. Car en Chine communiste comme jadis en Union soviétique la liberté syndicale n'existe pas dans les faits. Les pseudo-syndicats officiels ne sont que des succursales du pouvoir communiste et des instruments de la police politique. Ils ne développent aucune revendication et c'est probablement ce que les investisseurs occidentaux apprécient le plus. Les ouvriers de Pékin étaient donc rejoints par des mouvements analogues dans toutes les provinces.
Or, cette protestation militante fut brisée sans ménagements sur ordre de Deng Xiaoping. (2)⇓
Ce crime communiste fut ordonné par un personnage sur lequel les milieux dirigeants de l'occident se sont longtemps fourvoyés, au motif que celui-ci a libéralisé l'économie, pour le plus grand profit, à court terme, du monde des affaires américains, japonais ou européen et, bien entendu, de l'oligarchie du régime.
Aujourd'hui, si ce souvenir s'efface peu à peu chez nous, il est strictement interdit en Chine, et depuis la loi répressive dite de Sécurité nationale en 2020 à Hong Kong, aggravée par l'Article 23. Mentionner la date même du 4 juin, anniversaire interdit, équivaut à la divulgation d'un secret d'Etat.
Soulignons que cette interdiction a été élaborée en 2012, lorsque Xi Jinping prit le contrôle du Parti. Elle est incorporée à une liste de Sept périls, c'est-à-dire de 7 sujets dont on ne doit jamais discuter, car ils menaceraient la suprématie du Parti communiste. Le texte de référence, connu sous le nom de « Document N° 9 » établissant ce catalogue, fut révélé par la journaliste dissidente Gao Yu, incarcérée pour cette raison en mai 2014. Jugée 6 mois plus tard, en novembre, elle était condamnée pour divulgation de secrets d'État.
JG Malliarakis
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Apostilles
- "Le Tremblement de terre de Pékin" Auteurs Jean-Philippe Béja, Michel Bonnin et Alain Peyraube Gallimard 580 pages. Sous le titre du "Printemps de Pékin" Michel Bonnin et Alain Peyraube avaient déjà publié un petit volume paru dès 1980 dans l'excellente collection Archives. Ce précédent "printemps" correspondait alors aux événements survenus en avril 1976 en hommage à Zhou Enlai.⇑
- cf. "Mémoires de Zhao Ziyang Un Réformateur au sommet de l'État chinois" [Seuil 2011, 334 pages] où l'auteur révèle ainsi comment Deng, en sa qualité de président de la Commission militaire du Parti, imposa l'intervention de l'armée à la direction du parti communiste qu'il avait convoquée à son domicile...⇑
Nous ne devons pas oublier que le maoïsme a laissé l'économie chinoise en dessous de niveau de la mer, tout comme la révolution bolchévique puis la guerre civile et les mesures économiques du gang de Lenine, auto proclamé gouvernement. La libéralisation de l'économie chinoise fut aussi vitale pour ce pays comme la NEP le fut pour l'URSS. Mais, autre similitudes, au cours de ces deux périodes respectives, l'État demeure le même, une dictature, celui du parti communiste, dont toute contestation est inévitablement écrasée. Il me semble que la répression sanglante de Tiananmen doit être mise en parallèle a celle, tout aussi sanglante de la révolte des marins de Kronstadt. Quel que soit son cours économique un état communiste demeure et demeurera une dictature sanglante.
Rédigé par : Laurent Worms | samedi 08 juin 2024 à 16:43
Les Chinois de 1989 ont eu beaucoup de chance ; Deng Xiaoping s'était donné un budget de 200.000 morts, au delà desquels il aurait risqué des questions de la part des instances internationales !
Le maintien du parti communiste n'avait pas de prix et surtout pas le prix du sang. En 2024, rien n'a changé.
Rédigé par : Kardaillac | lundi 10 juin 2024 à 10:27
Deng Xiao Ping était un grand Chinois. Il a du prendre une décision lourde, mais nécessaire. Si ce mouvement de protestation avait triomphé, les longs nez auraient lacéré la Chine et l'auraient dépecée à nouveau impitoyablement, comme au XIXe siècle.
Ceci dit, pourquoi nous parler de la Chine justement aujourd'hui ? N'y a-t-il pas des événements en France, en ce moment, dont les conséquences sont plus immédiatement et directement décisives, pour la France et pour l'Europe, que ce qui s'est passé sur la place Tien Anmen à Pékin il y a 35 ans ?
Petite réponse
"Pourquoi nous parler de la Chine justement aujourd'hui" précisément parce que le "4 juin" est une date qu'il est interdit de citer. La France évoque beaucoup, peut-être trop, certains anniversaires (dont le 6 juin que Macron a cherché à instrumentaliser). Le régime communiste chinois refuse d'évoquer les siens. Vous devriez lire "Le Tremblement de terre de Pékin", que je cite, vous comprendriez ce qui était en jeu. Les "longs nez" comme vous les appelez n'y jouent aucun rôle. Ou plutôt ils ont su se servir de Deng Xiaoping.
Rédigé par : Helveticus | lundi 10 juin 2024 à 20:46
À défaut de lire le livre recommandé par JGM sur le "Tremblement de terre de Pékin", sans doute le meilleur et le plus complet sur les événements de 1989 en Chine, on doit prendre connaissance du "Document N°9" cf. Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Document_num%C3%A9ro_9
Rédigé par : Émile Koch | samedi 15 juin 2024 à 09:57