À peine nommé chef d'un gouvernement minoritaire, le Premier ministre se trouve confronté à une sociale crise agricole qui couvait depuis des années. En ce 701e jour de la guerre en Ukraine, quatrième mois de la nouvelle guerre du Proche Orient, il apparaît qu'un autre front s'est ouvert, à l'intérieur même de nos frontières si mal défendues. Or, il s'agit bien là d'un combat de survie, en France et en Europe, sur le terrain de la défense des classes moyennes et, notamment, de la révolte légitime des paysans.
Il y a un peu plus de 30 ans, le 30 septembre 1991, ce fut la première chronique publiée sous le titre de L'Insolent. Notre bulletin, alors essentiellement centré sur les questions économiques et sociales, était consacré ce jour-là au soutien et à la participation à l'immense mobilisation des agriculteurs venus de toute la France.
Leur beau, leur sympathique slogan "pas de pays sans paysans" semblait déjà contenir tout le programme.
À la même époque le Crédit Agricole, semblait étrangement parrainer ce rassemblement, à Paris le 30 septembre, des centaines de milliers de protestataires auxquels il avait fait distribuer des casquettes à son enseigne.
Or, en même temps, (déjà !) ses véritables porte-parole, de leur côté, s'exprimaient très clairement en faveur de la politique des technocrates, décidés, en fait, à décimer la paysannerie en France.
Principale figure de la Banque verte, en tant que président de la Fédération nationale du Crédit agricole, Yves Barsalou faisait part de ses réflexions sur la crise dans un entretien publié par Le Monde, en date du 2 octobre, deux jours après la manif.
Sur l'avenir immédiat le jovial banquier reconnaissait prudemment : "Les bouleversements sont tels qu'il est difficile de faire de la prospective." Mais il ajoutait clairement : "Une chose est sûre, nous serons les partenaires de cette évolution."
Pourtant, voila comment il divisait le million d'entreprises agricoles qui subsistait alors dans l'Hexagone.
1° En premier lieu : "il existe, disait-il, 150 000 agri-managers, à la tête de PME agricoles, qui apparaissent capables d'affronter les mutations en cours et la mondialisation des marchés. Ceux-là sont sur des surfaces de plus en plus importantes et trouvent au Crédit agricole une gamme de services nouveaux."
2° "Derrière ce peloton de tête, on trouve 500 000 exploitations familiales qui sont le produit de la politique des vingt dernières années. Ces exploitations sont plus fragiles par rapport aux évolutions en cours."
3° Enfin, il y a un troisième groupe d'environ 350 000 exploitants qui sont sans successeurs ou sur des régions difficiles. Ceux-ci "sont importants, concédait-il, dans le cadre d'une politique d'aménagement du territoire, mais ne représentent que 5 % de la production agricole."
Vis-à-vis des deux premiers groupes, concluait-il "le rôle du Crédit agricole est de renforcer sa fonction de conseil. Et souvent, il devra gérer la sortie en douceur d'une partie de la population agricole."
Cet avis mérite d'être rappelé puisque, déjà, quelque 90 % de la terre de France était alors hypothéquée auprès des caisses de l'organisme qu'il dirigeait.
En 30 ans, la "sortie en douceur" qu'il annonçait, véritable euthanasie de la France rurale, a fait passer de 950 000 à 400 000 le nombre des exploitants.
On doit remarquer hélas que technocrates et financiers ne distinguent guère entre les quelque 30 professions si différentes, elles-mêmes réparties dans les 32 provinces traditionnelles de notre malheureux pays.
Pour les bradeurs en effet, "tout doit disparaître".
Aujourd'hui, chacun peut constater aisément à quel point le désastreux processus s'est aggravé : par l'empilement des normes ; par le diktat absurde des extrémistes citadins de l'écologisme ; par la concurrence des pays à moindres obligations ; par une bureaucratie condamnant chaque agriculteur, éleveur ou maraîcher, arboriculteur, céréalier ou vigneron, à consacrer en moyenne 9 heures par semaine à la paperasserie, etc.
Dans un assez remarquable entretien au micro de Sonia Mabrouk ce 25 janvier, le maire de Béziers, Robert Ménard faisait ainsi parfaitement le point sur Europe N° 1 de la situation actuelle.
Tout d'abord, il prenait clairement parti en faveur des manifestants : "Des gens qui partagent ce que j'aime c'est-à-dire ils aiment leur pays, ils aiment leur province, ils aiment leur terre. (...) Oui ils sont 400 000 ; ils sont 400 000 mais ils représentent tellement pour nous." Et de marteler : "C'est joli le mot paysan, il faut arrêter de pas l'employer."
Maire de qu'on appelle une ville moyenne il nous rappelle son enracinement dans un certain terroir, au-delà des seules professions agricoles : "... et puis, dit-il il y a toute une France rurale : à Béziers, on a 80 000 habitants et tout l'arrière-pays c'est des petits villages." Or, sur les allées Paul-Riquet comme sur cette terre languedocienne, on vit, on travaille depuis fort longtemps autour de la filière viticole. Et il cite l'exemple d'un vigneron de Narbonne qui s'exclame : "regarde cette bouteille on me donne 70 centimes pour le vin à l'intérieur."
Attal et les macroniens ne s'en tireront pas avec de la simple communication. Contre l'influence délétère de ceux que Ménard qualifie en tant que "des abrutis d'écolos", mais aussi les politiciens, auxquels il lance "est-ce qu'il a fait son boulot au Parlement européen ?", la révolte paysanne ne semble pas partie pour se nourrir d'illusions. "Moi, je demande pas qu'on fasse la révolution : vous savez, soupire-t-il, si déjà on appliquait les lois"...
Ménard souligne enfin qu'il s'agit bien d'une lutte européenne : "Le mouvement, constate-t-il est parti d'Allemagne, de Pologne, d'Espagne... enfin vous avez envie même de discuter avec eux ; vous avez le sentiment qu'ils vont partager vos sentiments, qu'ils vont partager votre vision du monde. (...)"on a besoin d'une Europe qui dise les produits interdits."
De cette dure prise conscience on peut espérer dès lors la fin de cette scandaleuse euthanasie imposée à la France rurale.
JG Malliarakis
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