Les Occidentaux ont eu une rudement bonne idée, ce 28 mai, de féliciter immédiatement et chaleureusement le vainqueur de l'élection présidentielle turque. S'exprima en premier dans ce sens le chef de l'État français. Avant même Vladimir Poutine (21 h 20), c'est à 21 h 17 que le président français adressait le premier ses « félicitations à Recep Tayyip Erdogan pour sa réélection, preuve évidente du soutien de la population turque ». Les uns après les autres les alliés de l'OTAN ont salué ce qu'ils considèrent comme une victoire de la démocratie.
Il est peut-être dommage qu'ils n'aient pas entendu les discours, disponibles sur twitter et traduits en anglais, tenus par le ministre de l'Intérieur, promettant de liquider pratiquement la base de l'OTAN à Incirlik. Dommage aussi qu'ils n'aient pas mémorisé l'élimination judiciaire du principal candidat naturel de l'opposition Eman Imamoglou maire d'Istanbul, lequel fut écarté de la compétition car poursuivi pour outrage au chef de l'État comme 200 000 de ses compatriotes. L'alliance des six partis d'opposition dut donc se rabattre sur un brave kémaliste de 74 ans. Dommage également qu'une victoire à 52 %, acquise grâce au soutien probablement monnayé du candidat nationaliste puisse être ainsi tenue pour preuve évidente du soutien populaire.
Dommage enfin que l'on ne semble pas avoir réalisé à quel point Erdogan perd chez les Turcs évolués et sa coalition islamo-nationaliste ne l'emporte, aux législatives comme à la présidentielle, que dans les régions arriérées du pays. [cf. sur carte = en rouge les zones côtières, les grandes villes dont Istanbul et Ankara ainsi que le sud-est anatolien en majorité kurde, où il est minoritaire].
Rudement bonne idée par conséquent de voler ainsi au secours de la victoire de ce partenaire incontournable.
On ne lit cependant jamais assez ce qu'écrit l'agence officielle chinoise Xinhua, dont l'édition en langue française s'adresse aux nombreux pays francophones du Sud global.
Dans une dépêche datée du 30 mai à 12 h 41 bien en évidence sur son site, Xinhua publiait un entretien avec le spécialiste turc des relations internationales Hüseyin Bagci.
Ce citoyen préside à Ankara l'Institut turc de politique étrangère.
Il considère que "la Chine offre au monde une nouvelle voie vers la modernisation". Ce pays a "réussi sur plusieurs fronts en matière de développement national". La Chine progresse donc, pense-t-il pouvoir constater "non seulement dans le domaine des technologies ou du développement social, mais dans presque tous les domaines". Ce chercheur à l'Université technique du Moyen-Orient d'Ankara ne fait que dire tout haut ce que son président pense tout bas quand il lui arrive de penser tout bas. Sa politique monétaire catastrophique pour la population lui permet de rêver s'inspirer du modèle chinois de manipulation du "yuan".
Le même "chercheur" accepte donc de déclarer froidement, à la grande satisfaction de Xinhua, que "des progrès significatifs ont été réalisés dans les domaines des droits de l'Homme (!), de la réduction de la pauvreté, de l'éducation, de la sécurité sociale, de la santé et de l'unité nationale" et de "souligner" les "réalisations exceptionnelles de la Chine dans la promotion des droits de l'Homme en éradiquant la pauvreté absolue, en protégeant les droits des personnes et en développant les services d'éducation et de santé."
Le fait, dit-il, que "la Chine offre au monde une voie de modernisation différente de celle du monde occidental, ce qui est sans précédent dans l'histoire du monde".
Ce président de l'Institut de politique étrangère d'Ankara salue enfin "la contribution exceptionnelle de la Chine à la modernisation des pays en développement en leur fournissant des fonds et des crédits importants" et "beaucoup de crédits et d'aide aux infrastructures", etc.
Pour l'instant la Turquie n'est que membre observateur de l'OCS, l'organisation de Shanghai rivale de l'OTAN, où elle se retrouve en compagnie de la Chine, l'Iran, de la Russie et des républiques d'Asie centrale.
Et c'est ce pays qui prétend refuser à la Suède l'adhésion qu'elle demande à l'Alliance atlantique.
Avec de tels amis l'Europe n'a pas besoin d'ennemis.
JG Malliarakis
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Votre chroniqueur était invité ce 31 mai à l'antenne de Radio Courtoisie 95,6, de 12 heures à 13 heures 30, émission d'Évelyne Joslain pour évoquer la situation de la Turquie au lendemain de la réélection d'Erdogan. Lien de l'émission sur le site de Radio-Courtoisie.
Le 8 juin à Paris, il prendra la parole aux côtés de Gabriel Adinolfi et de Roland Hélie (Synthèse nationale) pour évoquer l'impact sur l'Europe de la dérive actuelle de cet allié [peu fiable] de l'OTAN, candidat théorique et subventionné de l'Union européenne, candidat de fait à la direction du monde islamique. Cette réunion aura lieu à 18h30 Paris Montparnasse.
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"La Question turque et l'Europe" par JG Malliarakis
Le 2 octobre 2014 le parlement d'Ankara a voté la possibilité pour l'armée turque de pénétrer en territoire syrien ou irakien. Immédiatement, l'illusion d'une alliance entre ce pays et l'occident était à nouveau réaffirmée.
Et pourtant les objectifs poursuivis par la Turquie dans cette guerre se sont révélés fort différents de ceux proclamés par la coalition.
Or, depuis la candidature de la Turquie à l'Union européenne, on assiste à une offensive de propagande constante destinée à rendre ce projet présentable.
Mais les actes concrets accomplis par le gouvernement turc contredisent, année après année, les effets d'annonce pour lesquels excellent toujours les dirigeants de ce pays que l'on présente encore comme "ami".
Depuis 1987, date du dépôt de la candidature officielle, le monde a beaucoup évolué.
La Turquie aussi : elle a vu depuis plus de 20 ans l'apparition, la prise du pouvoir et le développement d'un parti, l'AKP de Recep Tayyip Erdogan. Aujourd'hui majoritaire, ce parti a entrepris en 2017 de faire évoluer le pays vers un régime autoritaire. Islamiste dans ses fondements, l'AKP et l'action du gouvernement Erdogan bouleversent l'illusoire laïcité instituée par Mustafa Kemal.
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"(...) promettant de liquider pratiquement la base de l'OTAN à Incirlik."
Normal que les dirigeants turcs veuillent mettre dehors l'OTAN. L'ingérence américaine partout dans le monde est insupportable.
C'est l'honneur des nationalistes révolutionnaires d'avoir toujours tenu ce discours y compris avant la disparition de l'URSS.
"Contre Moscou sans Washington" (je pense que tous les Anciens s'en rappellent - de même que nos positions contre le rattachement de la Turquie à l'Europe)
Rédigé par : RR | jeudi 01 juin 2023 à 21:35
Le seul intérêt commun, me semble t il des pays membres de l'OCS serait le besoin des finances chinoises et, à l'image de Poutine, se placent en vassaux de ce pays.
Rédigé par : Laurent Worms | vendredi 02 juin 2023 à 09:31
@ RR
"Normal que les dirigeants turcs veuillent mettre dehors l'OTAN."
Il est normal qu'un pays de l'OTAN veuille mettre l'OTAN dehors ? Vous comprenez ce que vous écrivez ?
Le problème n'est pas là : il est que le traité de l'OTAN ne prévoit aucun moyen d'expulser l'un de ses membres...
https://www.justsecurity.org/66574/can-turkey-be-expelled-from-nato
Petite réponse : c'est le point essentiel, évidemment. Je l'aborderai dans mon intervention le 8 juin...
Rédigé par : Robert Marchenoir | samedi 03 juin 2023 à 11:01
@ Robert Marchenoir
Je dois reconnaitre que j'avais oublié que la Turquie a sur la demande de ses dirigeants été admise comme membre de l'OTAN.
En revanche, je maintiens évidemment mes propos sur l'ingérence américaine dans le monde.
Rédigé par : RR | dimanche 04 juin 2023 à 16:01
J'ajoute que la Turquie, en revanche, est parfaitement libre de quitter l'OTAN si elle s'estime à ce point opprimée par cette organisation. C'est prévu dans les statuts. Mais elle se garde bien de le faire...
Elle préfère manger à tous les râteliers, comme le fameux général de Gôl : un pied dedans, un pied dehors.
Rédigé par : Robert Marchenoir | lundi 05 juin 2023 à 15:41