Confondant une fois de plus la réalité de notre Vieux Continent avec les institutions hasardeuses qui le régissent, il présente celles-ci comme protectrices de nos peuples. Or, manifestement, les dangers grandissants qui nous menacent et se multiplient se voient occultés par ceux-là mêmes qui prétendent nous défendre.
Malheureusement, en effet, depuis la déclaration Schuman de 1950, sans doute méritoire en son temps, la puissance collective de l’Europe n’a guère avancé : elle a même reculé sur tous les continents. De nouvelles orientations ont été imposées par les traités de Maastricht en 1991 et de Lisbonne en 2007. Leurs conceptions sortaient largement des crânes tristes et gris de technocrates français comme Jacques Delors et Pascal Lamy, ses rédacteurs. Or, loin de nous libérer, elles nous ligotent un peu plus.
Dans le contexte de la guerre d'Ukraine, où l'Union européenne se reconnaît elle-même impuissante à se défendre sans le concours des États-Unis, d'autres dangers apparaissent.
Depuis le 6 avril et l'accord irano-saoudien conclu à Pékin le rapprochement stratégique du communisme chinois et de l'islamisme devient ainsi de plus en plus clair. Inutile de souligner le poids des signataires sur le front du pétrole.
Le 6 mai à Islamabad on apprenait en effet la signature d'un accord aux conséquences probablement plus grandes encore pour l'équilibre mondial. Le même jour on n'avait voulu voir que l'heureuse liesse populaire, à Londres, du couronnement du roi d'Angleterre en présence des délégations des 56 pays du Commonwealth. L'importance symbolique de ladite cérémonie, dénigrée en France, n'a nullement échappé, d'ailleurs, au secrétaire général du parti communiste chinois.[1]
L'accord d'Islamabad relève d'un tout autre ordre, beaucoup plus significatif matériellement, et franchement inquiétant pour la paix des années à venir. L'agence Xinhua le présente ainsi : "La Chine, l'Afghanistan et le Pakistan s'engagent à renforcer leur coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme…"[2]
Une telle coopération cynique s'opère donc sans réserve avec le régime des talibans. Pékin l'avait laissé entendre dès leur prise de pouvoir à Kaboul en août 2021.
Le contraste éclate entre la répression de l'islam, comme de toutes les religions, qu'exerce la grande puissance de l'Asie orientale dans ses propres dépendances, et cette alliance avec des islamistes radicaux, scellée en qualité de chef de file du "sud global". Pékin met en pratique de la sorte la stratégie définie dès 1920 par le Komintern à la conférence de Bakou.[3]
Elle tend aussi à institutionnaliser les liens que, face à l'Inde sa rivale asiatique, la Chine communiste n'a cessé de développer depuis 1947 avec le Pakistan.
Or, ce n'est pas seulement désormais pour des raisons stratégiques, commandées par son conflit pérenne avec l'Union indienne que le gouvernement pakistanais se tourne vers l'aide chinoise.
C'est aussi parce que l'Eximbank de Pékin, alimentée par la plus-value étatisée de la sueur du travail des ouvriers chinois, détient désormais la plus grande masse de liquidités en dollars du monde, supérieures à celles du Fonds monétaire international… Elle déteint déjà 30 % de la dette extérieure pakistanaise et paraît aujourd'hui la seule institution financière à pouvoir tirer de la faillite le gouvernement d'Islamabad, dont elle détient déjà 30 % de la dette.
Début février le Pakistan cherchait en effet à négocier, auprès du FMI, un 23e plan de sauvetage. Las, le 10 février 2023 après 10 jours de négociations intenses, à Islamabad, on apprenait que le pays avait échoué à conclure un accord. "Personne n’a intérêt à ce que le Pakistan fasse défaut, et tout le monde fera en sorte que cela n’arrive pas, mais le pays s’est tant de fois retrouvé au bord du gouffre que l’on veut s’assurer qu’il prend des mesures correctives pour ne pas reproduire les mêmes erreurs", assurait pourtant alors, Husain Haqqani, ancien ambassadeur aux États-Unis. Or, les mesures demandées par les bureaux de Washington au gouvernement actuel sont vouées à l'impopularité la plus dangereuse. Ceci semble ingérable à l'heure où tente de relever politiquement la tête l’ancien premier ministre Imran Khan. Dangereux démagogue, celui-ci avait institué un ensemble de subventions, ruineuses pour les finances publiques… et, à l'heure où ces lignes sont écrites
On doit mesurer à ce stade l'impasse économique dans laquelle se trouve ce pays en l'absence de financements extérieurs.
Son industrie ne saurait s'en passer : ainsi, quand 62 % des exportations sont assurées par l'industrie textile, on se contentera d'un simple exemple. Les blue-jeans de fabrication locale, destinés au géant suédois de l'habillement H et M, ne peuvent être produits sans fermetures Éclair, que les usines pakistanaises sont dans l'impossibilité d'importer faute de dollars, etc. Quelque 35 millions d'emplois se trouvent directement ainsi menacés, avec tout ce que cela peut comporter dans ce pays de 220 millions d'habitants.
Devant cette montée en puissance des peuples de l'Orient, nous nous contentons trop béatement en Europe, aujourd'hui encore, de la conception de ce qu'on appela le marché commun, qui remonte à Jean Monnet.
Depuis le fameux discours du 9 mai 1950, prononcé par Robert Schuman, et que l'on considère comme fondateur de l'édifice bruxellois, l'idée européenne s'est polarisée d'abord, en effet, sur une Communauté consacrée au charbon et à l'acier. Celle-ci est devenue certes une grosse masse économique, consommatique et monétaire, mais elle s'est constamment refusée, depuis 1954, à construire véritablement une défense et une diplomatie communes. En septembre 1991 encore il fallut arracher de haute lutte qu'une identité européenne de Défense se construirait autour de l'Union de l'Europe occidentale. Mais l'on s'empressa de réduire l'UEO à un rôle fantomatique puis de la liquider officiellement. Les traités de Nice en 2001 et de Lisbonne ne parleront plus que d'une "politique européenne de défense et de sécurité commune".
Il me souvient d'un discours entendu en février 1959 qui devait déterminer l'engagement d'un jeune militant anticommuniste. Il nous rappelait déjà que, d'un point de vue qui se définissait lui-même comme national français, l'Europe ne doit être considérée ni comme un marché, ni même comme un continent, mais comme une famille de peuples qui ont construit en commun une civilisation et qui doivent s'unir pour la défendre.
JG Malliarakis
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Apostilles
[1] Notons en effet qu'en sa qualité de président de la "république popualire" Xi Jinping et sa seconde épouse, la gracieuse chanteuse de variétés Peng Liyuan ont su adresser à Charles III et à la reine consort Camilla le message de félicitations que dictait leur appartenance commune au club des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, vainqueurs de la seconde guerre mondiale, etc.
[2] L'agence, dans sa langue de bois, précise ainsi les détails de l'événement : "Lors du Dialogue des ministres des Affaires étrangères Chine-Afghanistan-Pakistan qui s'est tenu samedi dans la capitale pakistanaise avec le ministre pakistanais des Affaires étrangères Bilawal Bhutto Zardari et le ministre des Affaires étrangères par intérim du gouvernement intérimaire afghan Amir Khan Muttaqi, le conseiller d'État et ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang a déclaré qu'en tant que voisins amis traditionnels, la Chine était prête à déployer des efforts conjoints avec l'Afghanistan et le Pakistan pour mettre en œuvre l'Initiative mondiale pour le développement, l'Initiative mondiale pour la sécurité et l'Initiative mondiale pour la civilisation." (cf. dépêche d'Islamabad du 6 mai).
[3] Je me permets ici de renvoyer à mon petit livre "La Faucille et le Croissant"- islamisme et bolchevisme au congrès de Bakou. Il est devneu politqiuement correct en effet de considérer la foi mahométane comme "religion des opprimés". On peut commander ce livre, sur le site des Éditions du Trident
Voilà pourquoi je n'achète que des Jeans avec boutonnage et non fermeture éclair.
Rédigé par : Jacques GAUTRON | mercredi 10 mai 2023 à 12:08
L'intervention des USA fut une aide pour éloigner de l'Europe les conséquences du communisme. Elle finit par l'emporter, tant mieux !
Les institutions de l'UE, systématiquement alignées sur les oukases des États-unis, sont à ce jour néfastes à nos intérêts, à notre souveraineté et à nos valeurs millénaires.
Désormais l'influence des USA est devenue une entrave à la survie de la civilisation européenne.
Rédigé par : Alain Charoy | mercredi 10 mai 2023 à 12:36
Toujours au sujet de ces fameuses fermetures Éclair. Gageons que la Chine les livrera à très bon compte, car elles doivent être fabriquées à bon compte par des "esclaves" chinois afin que les "esclaves" des usines pakistanaises puissent continuer à travailler pour le bonheur des
exportations du pays.
Quel humanisme .
Rédigé par : Laurent Worms | mercredi 10 mai 2023 à 12:50
Petite question: si les capacités européennes d'avoir une politique de défense, et une diplomatie, autonomes sont atrophiées, ne serait-ce pas précisément l'hégémon américain qui a voulu cette situation, pour que l'Europe reste toujours dans sa dépendance, vassale, soumise, obéissante, nulle.
Les traités européens ne prévoient-ils pas que la défense doit être obligatoirement et exclusivement assurée par l'OTAN, ce qui a pour but d'exclure toute autonomie.
C'est pourquoi je propose de toujours parler d'EUROTAN au lieu d'Union Européenne.
AMGOT serait encore plus précis et exact pour décrire la réalité: 'American Military Government of Occupied Territories'.
Sans sortie de l'OTAN de toutes les nations européennes, en bloc, toute vélléité européenne d'agir dans le monde est une vue de l'esprit et une illusion.
C'est du moins ma conviction. Mais l'hegemon nous tient bien en laisse. C'est pourquoi il exige, et obtient (c'est ça le plus révoltant), des pays européens qu'ils suivent des politiques (guerre contre la Russie par exemple, désindustrialisation, etc.), qui sont directement contraires à leurs intérêts et ruinent ces pays en transfèrant leurs entreprises outre Atlantique. Ce n'est pas une alliance, c'est du parasitisme. C'est même une guerre sans merci menée contre l'Europe par l'Amérique, ce à quoi l'Europe se soumet avec une servilité abjecte.
Rédigé par : Helveticus | mercredi 10 mai 2023 à 19:44
Autre question : pensez-vous vraiment que l'amitié entre la Chine et le Pakistan soit à relier au congrès de Bakou de 1920 ?
N'est-ce pas tout simplement une politique intelligente de la Chine pour renforcer son influence régionale?
Depuis que je connais la Chine on m'a toujours dit que le Pakistan était le pays, dans cette région du monde, le plus ami de la Chine.
Personnellement je dirais que si cette région échappe à l'influence américaine parasitaire, c'est autant de gagné pour tout le monde, et en particulier pour la France et l'Europe qui feraient mieux d'avoir aussi une politique d'amitié avec la Chine pour faire avancer leurs intérêts dans cette région d'Asie centrale.
Rédigé par : Helveticus | mercredi 10 mai 2023 à 20:08
La productivité de l'industrie saoudienne est faible, mais elle tient le pétrole et l'argent du pétrole, qui pèse lourd ; à quoi s'ajoute sa situation géographique, stratégique. Le bloc chinois n'a aucun scrupule idéologique à s'allier aux Saoudien, qui ne sont pas des adeptes de Sultan Galiev). Le Pakistan ne pèse pas lourd, sauf démographiquement, et par ses capacités de nuisance. L'Iran pourrait être tenté d'annexer sa part de Balouchistan, mais réprime cette population chez lui. Les intérêts étatiques et religieux (qui sont souvent des paravents) se coordonnent éventuellement mais ne se confondent pas.
La Chine est le seul acteur politique et économique capable de faire pièce aux USA, mais pas dans notre intérêt.
Le Congrès de Bakou était une dernière chance stratégique pour les Bolchéviques, qui surent mettre la main sur une partie des élites "orientales" avant de les éliminer partout où ils le purent, la guerre de classe primant toute revendication ethnique. Mais ce congrès s'inscrit dans une ligne générale de pré-décolonisation bien plus ancienne que les calculs du camarade Zinoviev, définitivement révoqué par Moscou en 1936 (année sociale).
Que l'Amgot n'a-t-elle été appliquée dès juin 1944 en France ! Idée désagréable certes, mais la suite aurait-elle été pire ?
L'hegemon russe a pris la relève de la tyrannie soviétique, avec le même personnel. La Chine et l'Inde sont prudentes à son égard. Ce ne sont que des rapports de force.
L'Europe peut-elle se relever de la mortelle période 1914-1954 ?
Rédigé par : Jégou | jeudi 11 mai 2023 à 13:35
Pour la Chine populaire le Pakistan est plus qu'une alliance de revers contre l'Inde. Elle recherche à travers lui l'accès direct à l'Océan indien en évitant le détroit de Malacca. Elle développe le port de Gwadar sur la mer d'Oman qui est le débouché naturel d'un flux de transport (route aujourd'hui, rail et pipeline demain) descendant du Xinkiang, dite "route du Karakorum".
Pour en revenir à la défense européenne, disons qu'on a raté le coche avec la CED. Aujourd'hui c'est une chimère franco-française dont personne ne veut. Et moins encore sous majorat français. Aucun pays de l'Est ne l'acceptera pour au moins trois raisons :
- diminution la "responsabilité" des Etats-Unis en cas de menace grave ;
- vaccination Munich 1938 - la République tchécoslovaque était en admiration de la République française qu'elle imitait en tout, et fut quand même vendue à Hitler ; la danse du ventre de M. Macron devant le petit lt-colonel du Kgb a réveillé une réelle mise en question de la diplomatie française ; il a reparlé hier encore de "négociations".
- les problèmes quasiment insurmontables créés par les outremers français - le dernier test est le Sahel où on ne les reprendra plus.
Les réactions occidentales à l'agression russe a fini de convaincre les hésitants. S'il faut frapper fort c'est avec les Américains. Encore un succès du génial Poutine.
De toute façon, à échéance de 6 ou 7 ans, il va y avoir deux armées continentales plus puissantes que l'armée française en Pologne et en Allemagne ; et notre intérêt bien compris est de défendre notre ZEE en même temps que le plateau de Bohème.
Rédigé par : Catoneo | mardi 16 mai 2023 à 15:29
https://www.letemps.ch/monde/asie-oceanie/xian-xi-jinping-recoit-homologues-dasie-centrale-un-sommet-historique
Je conseille à Jégou de lire cet article et de considérer un instant ce que signifie le grand pôle mondial de développement économique que la Chine est en train de rassembler, et dont rien ne pourra empêcher le succès inscrit dans la nature géopolitique des choses.
L'Europe est condamnée à une décrépitude certaine, et au marasme économique permanenent, avec paupérisation des populations, perte d'identité par immigration massive (voulue et imposée par l'Amérique), si elle demeure dans cette soumission abjecte à son ennemi américain qui a organisé cette guerre en Ukraine uniquement pour désindustrialiser l'Europe, en lui interdisant d'être compétitive grâce aux matières premières russes, pour détruire son économie de manière telle que l'herbe ne repousse plus, et pour faire migrer les grandes entreprises allemandes outre Atlantique. Les grandes entreprises françaises on n'en parle même pas, il n'y en a plus. Elles ont déjà toutes été volées par des procédés de gangsters (exemple Alcatel Alstom), avec la complicité du pouvoir de Macron.
Il est bien évident que tant que l'Europe reste scotchée à son hégémon américain, parasitaire, qui la ruine et lui suce les derniers restes de vitalité dont elle dispose encore, elle est condamnée à mort.
Elle ne pourrait refleurir qu'en acceptant la proposition chinoise d'un grand espace de développement eurasiatique, tel qu'il existe depuis l'antiquité et qui a toujours été appelé la route de la soie, sans aucune connotation idéologique.
Rédigé par : Helveticus | jeudi 18 mai 2023 à 12:13