Misérablement désavoué à l'intérieur de ses frontières par sa prestation, ce 8 mai, sur les Champs-Élysées déserts, le chef de l'État a donc cherché à regagner en popularité. Il s'est donc posé le lendemain 9 mai en porte-parole de la "Journée de l'Europe".
Confondant une fois de plus la réalité de notre Vieux Continent avec les institutions hasardeuses qui le régissent, il présente celles-ci comme protectrices de nos peuples. Or, manifestement, les dangers grandissants qui nous menacent et se multiplient se voient occultés par ceux-là mêmes qui prétendent nous défendre.
Malheureusement, en effet, depuis la déclaration Schuman de 1950, sans doute méritoire en son temps, la puissance collective de l’Europe n’a guère avancé : elle a même reculé sur tous les continents. De nouvelles orientations ont été imposées par les traités de Maastricht en 1991 et de Lisbonne en 2007. Leurs conceptions sortaient largement des crânes tristes et gris de technocrates français comme Jacques Delors et Pascal Lamy, ses rédacteurs. Or, loin de nous libérer, elles nous ligotent un peu plus.
Dans le contexte de la guerre d'Ukraine, où l'Union européenne se reconnaît elle-même impuissante à se défendre sans le concours des États-Unis, d'autres dangers apparaissent.
Depuis le 6 avril et l'accord irano-saoudien conclu à Pékin le rapprochement stratégique du communisme chinois et de l'islamisme devient ainsi de plus en plus clair. Inutile de souligner le poids des signataires sur le front du pétrole.
Le 6 mai à Islamabad on apprenait en effet la signature d'un accord aux conséquences probablement plus grandes encore pour l'équilibre mondial. Le même jour on n'avait voulu voir que l'heureuse liesse populaire, à Londres, du couronnement du roi d'Angleterre en présence des délégations des 56 pays du Commonwealth. L'importance symbolique de ladite cérémonie, dénigrée en France, n'a nullement échappé, d'ailleurs, au secrétaire général du parti communiste chinois.[1]
L'accord d'Islamabad relève d'un tout autre ordre, beaucoup plus significatif matériellement, et franchement inquiétant pour la paix des années à venir. L'agence Xinhua le présente ainsi : "La Chine, l'Afghanistan et le Pakistan s'engagent à renforcer leur coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme…"[2]
Une telle coopération cynique s'opère donc sans réserve avec le régime des talibans. Pékin l'avait laissé entendre dès leur prise de pouvoir à Kaboul en août 2021.
Le contraste éclate entre la répression de l'islam, comme de toutes les religions, qu'exerce la grande puissance de l'Asie orientale dans ses propres dépendances, et cette alliance avec des islamistes radicaux, scellée en qualité de chef de file du "sud global". Pékin met en pratique de la sorte la stratégie définie dès 1920 par le Komintern à la conférence de Bakou.[3]
Elle tend aussi à institutionnaliser les liens que, face à l'Inde sa rivale asiatique, la Chine communiste n'a cessé de développer depuis 1947 avec le Pakistan.
Or, ce n'est pas seulement désormais pour des raisons stratégiques, commandées par son conflit pérenne avec l'Union indienne que le gouvernement pakistanais se tourne vers l'aide chinoise.
C'est aussi parce que l'Eximbank de Pékin, alimentée par la plus-value étatisée de la sueur du travail des ouvriers chinois, détient désormais la plus grande masse de liquidités en dollars du monde, supérieures à celles du Fonds monétaire international… Elle déteint déjà 30 % de la dette extérieure pakistanaise et paraît aujourd'hui la seule institution financière à pouvoir tirer de la faillite le gouvernement d'Islamabad, dont elle détient déjà 30 % de la dette.
Début février le Pakistan cherchait en effet à négocier, auprès du FMI, un 23e plan de sauvetage. Las, le 10 février 2023 après 10 jours de négociations intenses, à Islamabad, on apprenait que le pays avait échoué à conclure un accord. "Personne n’a intérêt à ce que le Pakistan fasse défaut, et tout le monde fera en sorte que cela n’arrive pas, mais le pays s’est tant de fois retrouvé au bord du gouffre que l’on veut s’assurer qu’il prend des mesures correctives pour ne pas reproduire les mêmes erreurs", assurait pourtant alors, Husain Haqqani, ancien ambassadeur aux États-Unis. Or, les mesures demandées par les bureaux de Washington au gouvernement actuel sont vouées à l'impopularité la plus dangereuse. Ceci semble ingérable à l'heure où tente de relever politiquement la tête l’ancien premier ministre Imran Khan. Dangereux démagogue, celui-ci avait institué un ensemble de subventions, ruineuses pour les finances publiques… et, à l'heure où ces lignes sont écrites
On doit mesurer à ce stade l'impasse économique dans laquelle se trouve ce pays en l'absence de financements extérieurs.
Son industrie ne saurait s'en passer : ainsi, quand 62 % des exportations sont assurées par l'industrie textile, on se contentera d'un simple exemple. Les blue-jeans de fabrication locale, destinés au géant suédois de l'habillement H et M, ne peuvent être produits sans fermetures Éclair, que les usines pakistanaises sont dans l'impossibilité d'importer faute de dollars, etc. Quelque 35 millions d'emplois se trouvent directement ainsi menacés, avec tout ce que cela peut comporter dans ce pays de 220 millions d'habitants.
Devant cette montée en puissance des peuples de l'Orient, nous nous contentons trop béatement en Europe, aujourd'hui encore, de la conception de ce qu'on appela le marché commun, qui remonte à Jean Monnet.
Depuis le fameux discours du 9 mai 1950, prononcé par Robert Schuman, et que l'on considère comme fondateur de l'édifice bruxellois, l'idée européenne s'est polarisée d'abord, en effet, sur une Communauté consacrée au charbon et à l'acier. Celle-ci est devenue certes une grosse masse économique, consommatique et monétaire, mais elle s'est constamment refusée, depuis 1954, à construire véritablement une défense et une diplomatie communes. En septembre 1991 encore il fallut arracher de haute lutte qu'une identité européenne de Défense se construirait autour de l'Union de l'Europe occidentale. Mais l'on s'empressa de réduire l'UEO à un rôle fantomatique puis de la liquider officiellement. Les traités de Nice en 2001 et de Lisbonne ne parleront plus que d'une "politique européenne de défense et de sécurité commune".
Il me souvient d'un discours entendu en février 1959 qui devait déterminer l'engagement d'un jeune militant anticommuniste. Il nous rappelait déjà que, d'un point de vue qui se définissait lui-même comme national français, l'Europe ne doit être considérée ni comme un marché, ni même comme un continent, mais comme une famille de peuples qui ont construit en commun une civilisation et qui doivent s'unir pour la défendre.
JG Malliarakis
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Apostilles
[1] Notons en effet qu'en sa qualité de président de la "république popualire" Xi Jinping et sa seconde épouse, la gracieuse chanteuse de variétés Peng Liyuan ont su adresser à Charles III et à la reine consort Camilla le message de félicitations que dictait leur appartenance commune au club des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, vainqueurs de la seconde guerre mondiale, etc.
[2] L'agence, dans sa langue de bois, précise ainsi les détails de l'événement : "Lors du Dialogue des ministres des Affaires étrangères Chine-Afghanistan-Pakistan qui s'est tenu samedi dans la capitale pakistanaise avec le ministre pakistanais des Affaires étrangères Bilawal Bhutto Zardari et le ministre des Affaires étrangères par intérim du gouvernement intérimaire afghan Amir Khan Muttaqi, le conseiller d'État et ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang a déclaré qu'en tant que voisins amis traditionnels, la Chine était prête à déployer des efforts conjoints avec l'Afghanistan et le Pakistan pour mettre en œuvre l'Initiative mondiale pour le développement, l'Initiative mondiale pour la sécurité et l'Initiative mondiale pour la civilisation." (cf. dépêche d'Islamabad du 6 mai).
[3] Je me permets ici de renvoyer à mon petit livre "La Faucille et le Croissant"- islamisme et bolchevisme au congrès de Bakou. Il est devneu politqiuement correct en effet de considérer la foi mahométane comme "religion des opprimés". On peut commander ce livre, sur le site des Éditions du Trident
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