Consacrons cette chronique à répondre à un commentateur de la précédente, en date du 20 mars. Cet intervenant, sous une identité de fantaisie, se demande si ce texte participe à la défense commune de la démocratie ou s'il l'a mal lu.
Sans doute a-t-il été mal écrit.
Quel est, en effet, le point de vue, antijacobin, où se situe et, par conséquent, d'où parle "l'Insolent" relativement au régime qui, globalement prévaut en Occident ? Considère-t-il pour légitime d'écrire le mot sans guillemets s'agissant de la variante qu'on considère ici pour "orientale", c'est-à-dire pour sa version concrètement despotique dont les plus emblématiques dirigeants revendiquent, sans rougir, l'appellation.
Le mot est sans doute, depuis Robespierre et, plus encore depuis Clemenceau, galvaudé à Paris. Celui que la mémoire appelle le Tigre, et qui au ministère de l'Intérieur se disait "le premier flic de France" et qui imposa le traité de Versailles, proclamait quant à lui que "la révolution est un bloc". À ce titre, il demandait, et il obtint, sous la troisième république l'interdiction d'une pièce de théâtre osant opposer Danton à son Incorruptible rival.
Le terme de "démocratie" est apparu à Athènes, plus tardivement que ne l'imagine la croyance habituelle, au cours du Ve siècle. Périclès (495-429) s'en réclame, alors même que les institutions qu'il exalte commencent à défaillir, sous le poids du socialisme d'État. Au siècle suivant, Aristote (384-322) fait justice de la différence qui l'oppose à la démagogie, laquelle s'installe dès lors que les fonctions publiques électives sont rémunérées. Pour le Stagirite, la réponse à la question du "meilleur régime" suppose que l'on sache d'abord "pour quel peuple et à quelle époque".
Le point de vue de l'auteur de ces lignes rejoint donc celui de Winston Churchill pour qui la démocratie parlementaire doit être considérée comme le pire des régimes, à l'exception de tous les autres… Il pensait évidemment à celui qui, tempéré par l'existence d'une monarchie symbolique et arbitrale prévaut aujourd'hui en Grande-Bretagne, mais aussi en Suède, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas etc. Dans la rubrique désastreuse, il inclurait à coup sûr, s'il l'avait connu, celui la cinquième république, telle que la réforme de 1962 la fit évoluer du fait de l'élection du chef de l'État au suffrage universel, invention éphémère de Lamartine en 1848. Mais il va encore plus de soi, à savoir que ce qu'on appelle désormais les démocratures, telles qu'elles fonctionnent dans un nombre considérable de pays, du Venezuela de Maduro jusqu'à l'Iran des mollahs, en passant par la Turquie d'Erdogan, aux institutions formellement électives, mais où tout est fait pour empêcher l'alternance et la séparation des pouvoirs, paraissent, pour nous Européens d'aujourd'hui, – et c'est le point essentiel – insupportables. Les dictatures "démocratiques", où règne un parti unique le sont plus encore.
Ceci étant posé, que doit-on penser, de la nouvelle "guerre froide" envisagée comme l'opposition de plus en plus radicale, non pas entre des puissances rivales, mais d'abord entre des régimes différents ?
Dans le Point en date du 19 mars, Gérard Araud nous annonce qu'elle "aura bien lieu". Il semble d'ailleurs que l'emploi du futur a quelque chose d'étrange quand tout le monde se félicite de l'adoption d'une doctrine de condamnation future, préemptant la victoire des Bons sur les Méchants. Son article estime ainsi qu'il faut "réhabiliter le traité de Versailles". Bigre. Or, s'il constate que la rivalité sino-américaine ne cesse de se renforcer en raison des provocations chinoises, il parle aussi d’une "hystérie" antichinoise aux États-Unis.
Son auteur a fait une belle carrière au sein de notre diplomatie nationale. Il fut ainsi, de 2014 à 2019, ambassadeur de France aux États-Unis après avoir été représentant permanent de la France aux Nations Unies. En 2021, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique lui aurait reproché d'avoir travaillé pour l'entreprise de sécurité étrangère conceptrice du logiciel espion Pegasus. Pure malveillance bien sûr.
Le mot "hystérie" fait ici problème. Les travaux de Charcot, à une époque où cette maladie était considérée alors comme typiquement féminine, d'où son appellation, furent brillamment continués par les théories de Freud qui les développe dans son Introduction à la Psychanalyse. Dans ce petit livre il est clairement démontré que l'hystérique est celui, ou celle, qui "souffre de réminiscences".
Ne parlons donc pas d'hystérie, mais plutôt de leçons de l'histoire. Or, si l'hystérique a sans doute tendance à croire que les événements se reproduisent à l'identique, l'Histoire, qui recommence toujours, développe ses réalités dans des contextes constamment différents. Xi Jinping n'est pas Hitler, Poutine n'est pas Mussolini, l'opération militaire spéciale entreprise en 2022 n'est ni le partage de Pologne de 1939, ni l'attaque d'octobre 1940 contre la Grèce, ni encore moins la guerre d'Éthiopie et les "sanctions" ne sont pas les mêmes, Bakhmout n'est pas Verdun. Certes. On peut même ajouter en réponse aux faux lettrés qui évoquent un prétendu "complexe de Thucydide", théorie en vogue aux États-Unis, que ce qui se dessine dans l'Indo-Pacifique n'est pas non plus la Guerre du Péloponnèse. Pas tout à fait.
L'affrontement actuel des puissances existe cependant bel et bien.
Du fait de l'interdit nucléaire, l'antagonisme prend le caractère de la guerre froide ; du fait du développement prodigieux des télécommunications ce que prévoyait un Jules Monnerot en 1963, celle-ci est devenue guerre hybride. Celle-ci désormais oppose donc deux hyperpuissances, l'Amérique et la Chine. L'Europe peut très difficilement se penser comme "neutre" : constatons qu'elle ne l'est pas et ne peut pas l'envisager ; son devoir de survie est de se doter, d'urgence, des moyens stratégiques et institutionnels, qui font aujourd'hui cruellement défaut pour la défense de son identité et de ses libertés.
JG Malliarakis
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L'Europe se construit, mais à pas lents avec de graves décalages économique entre pays. Si l' Allemagne a, actuellement,les ressources pour se doter d'une armée qui sera moderne, ce n'est déjà plus le cas de la France et encore moins des autres pays du sud. Parallèlement émergent des ex "Pays de l'Est" comme la Pologne qui joue un rôle de pointe dans le conflit Ukrainien. Il est donc à parier que le centre de gravité de l'Europe s'oriente Nord/Est.
On risque donc de voir s'organiser un grand écart:
Pour la France, l'Italie, l'Espagne, la Grèce,etc... le danger vient de l'autre rive de la Méditerranée.
De l'Allemagne à la Pologne, ces pays regardent vers la Russie.
Alors se pose la question d'une défense tout azimut dont les pays européens sont loin d'en avoir les moyens financiers.
Rédigé par : Laurent Worms | mercredi 22 mar 2023 à 09:29
Même si je ne suis pas un troll, il me semble que vous avez quand-même bloqué un commentaire de moi où je faisais remarquer que la politique belliqueuse américaine contre la Chine, politique qui consiste à ouvertement préparer la guerre contre cette puissance rivale, était insensée. Et je faisais remarquer ceci: les Américains ont du repartir du Vietnam la queue entre les jambes. Alors n'est-ce pas insensé, ou "hystérique" de faire la guerre à la Chine, alors qu'on n'est pas capable de vaincre militairement le Vietnam?
Je pense qu'on devrait tout de même se poser cette question toute simple. Est-il bien raisonnable de faire la guerre contre la Chine, alors qu'on a été soi même vaincu par le Vietnam?
Et d'ailleurs la France aussi a été battue par le Vietnam, qu'elle a du abandonner pour souhaiter "bin du plaisir" aux Américains, qui n'ont pas mieux réussi.
Il y a des moments où il faut quand-même se remémorer ces choses, et en tirer les enseignements.
Je ne sais pas pourquoi, cher Jean-Gilles, vous avez bloqué ce commentaire. Peut-être que je l'avais assorti de remarques sur un ton peu amène envers vous. Dans ce cas recevez mes plates excuses. Je m'emporte parfois un peu tant je suis inquiet du danger d'une guerre insensée et donc choqué de lire des textes (parfois sous votre plume) qui prennent ça d'un coeur léger.
Cher Jean-Gilles, si on va au bout des conséquences de votre discours sur la Chine, il faut lui faire la guerre. Cette guerre ne sera pas fraîche et joyeuse. Pensez-y un peu je vous en supplie.
Rédigé par : Helveticus | mercredi 22 mar 2023 à 13:33
Je relève notamment votre distinction pertinente entre régime(s) et puissance(s). Le régime est-il au service du corps social ou de lui-même ? Comment la notion de puissance est-elle considérée (le régime est une réalité descriptible, la puissance une notion, bien plus ancienne mais bien moins définissable). Par où passe l'articulation majeure ?
De même la démocratie recouvre des acceptions bien diverses : ce fut d'abord le pouvoir, kratos, des dèmes, des "fractions", qui constituaient la cité (antique). Qu'en reste-t-il dans nos sociétés médiatiquement massifiées et atomisées, unifiées et défaites en même temps ?
Les royautés britannique, néerlandaise ou espagnole ont fini en otages ou couvertures des milieux dirigeants. Les puissances (pl.) qui assurent la direction de l'Etat représentent-elles vraiment le peuple ? Je n'en suis pas sûr (rhétorique).
Cette notion de "milieux" vaudrait d'être creusée.
Je ne crois pas que la liberté, et les libertés qui lui donnent corps, ni l'identité, qui est maintenant l'obligation de conformité à un modèle unique, puissent se manifester en France.
M. L. Worms est fondé à tirer la sonnette d'alarme, comme vous le fîtes, JGM, en évoquant tout récemment le "point de non retour" que la France pourrait bientôt atteindre.
Rédigé par : Jegou | mercredi 22 mar 2023 à 14:41