En cette journée où certains Français persistent à défiler aux côtés des communistes, il n'est pas inutile de revenir sur les brillantes performances de leurs prédécesseurs du XXe siècle. Car les gens qui parlent le plus bruyamment d'Égalité, d'Humanisme et de Progrès se trouvent, quand ils accèdent au pouvoir, au premier rang de ceux qui, dans la pratique, contribuent aux formes modernes de l'esclavage.
Cet apparent paradoxe s'explique peut-être par la croyance en l'Homme-Machine, chère à un matérialiste comme La Mettrie, car dès lors que l'homme se réduit à une force de travail et que son esprit peut s'incarner dans l'intelligence d'un robot rien n'interdit de le ravaler au rang de bête de somme au service de la Déesse Raison.
"Jamais, remarquait en effet Pascal, on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience."
Au passage d'une intéressante tribune publiée dans Le Monde ce 25 janvier, Georges Nivat évoque ainsi un point trop souvent évacué, aussi bien par les historiens du XVIIIe siècle que par les spécialistes de la Russie et surtout par les commentateurs agréés de gauche. L'auteur, universitaire, l'un des traducteurs français de Soljenitsyne, fait autorité dans le domaine. Or, il rappelle que "le servage, instauré au XVIe siècle et considérablement étendu par Catherine la Grande, tout particulièrement en Ukraine."Et il souligne à très juste titre : "Ainsi, l’amie des philosophes, le modèle du despote éclairé, fut aussi une esclavagiste."(1)⇓
Peut-on généraliser ? La réponse est oui.
Non seulement, les adeptes des Lumières n'ont fait, en définitive que systématiser une forme sournoise d'esclavagisme, par exemple en détruisant sans permettre de la remplacer, en France, la protection corporative des travailleurs, remontant à saint Louis, puis en construisant le Code Napoléon.
Mais, en Russie, les révolutionnaires n'ont quant à eux jamais hésité à liquider tous ceux qui ont effectivement tenté de réformer la condition des pauvres moujiks de l'empire des Tsars.
Quel empereur assassinent-ils à Saint-Pétersbourg en 1881 ? Alexandre II, qui, monté sur le trône en 1856, avait entrepris, après avoir liquidé la guerre de Crimée, les plus importantes transformations libérales du pays au cours des 25 années de son règne. Les méthodes du groupe terroriste Narodnaïa Volia organisateur de l'attentat, et leur inspirateur Netchaïev, allaient bientôt susciter l'admiration d'un certain Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine. Chef de la fraction bolchevik du parti ouvrier social-démocrate russe, il se veut d'abord un disciple de Engels aux yeux duquel "la violence est la grande accoucheuse de l'histoire". Leur victime avait signé, en 1861, le décret libérateur qui mit fin à des siècles de servage. C'est lui qu'on tue.
En 1911, sous Nicolas II, c'est au tour de l'autre grand promoteur des réformes de liberté, de tomber sous leurs balles Piotr Arkadievitch Stolypine. En la personne du Premier ministre se trouve visée une politique bienfaisante pour des millions de paysans libérés, devenus par millions de petits propriétaires indépendants, épine dorsale prospère d'une société en voie de modernisation dans tous les domaines. Ces entrepreneurs ruraux de taille artisanale sont les "koulaks". Ils vont contribuer puissamment à l'essor du pays. Ils vont devenir les têtes de Turcs du bolchevisme.
Il faut noter qu'une seule controverse notable opposa quelque temps Lénine au terroriste caucasien Djougachvili "Staline" antérieurement à 1917. Elle portait sur la stratégie paysanne : fallait-il développer une révolte agrarienne ou la lutte des classes à la campagne ?
Au pouvoir après la mort du fondateur de l'Union soviétique Staline ne se rallia carrément à la deuxième doctrine qu'à partir de 1929 avec la monstrueuse politique appelée dékoulakisation. Destinée en principe à financer l'industrialisation et la militarisation prévues par le premier plan quinquennal (1928-1932) elle se définissait par des slogans, tels que :"Tout pour la lutte contre les saboteurs de l'économie agricole"et "Nous allons liquider les koulaks en tant que classe".
La dictature de Joseph Staline entreprit donc la collectivisation forcée des terres. Celle-ci se traduisit par des emprisonnements, des confiscations, des exécutions et des déportations de masse. Elle visait les familles paysannes les plus prospères mais aussi les agriculteurs moyens et leurs proches, ainsi bien entendu que les habitants des campagnes qui n'adhéraient pas à la politique du Parti. Quelque 30 000 personnes furent à ce titre fusillées, environ 2,1 millions déportées, dont 1,68 à 1,8 million de 1930 à 1931, et entre 2 à 2,5 millions expulsées vers des terres pauvres. On estime que la faim, les maladies et les exécutions ont coûté la vie à de 530 000 à 600 000 victimes directes.
Conséquence inéluctable cette politique criminelle et absurde se solda par l'effondrement de la production agricole, et une famine qui entraîna entre 5 et 7 millions de morts de faim. Plus particulièrement sanglante en Ukraine, les historiens y décèlent, sous le nom de "Holodomor" une volonté génocidaire du pouvoir moscovite.
Or, cette politique s'est retrouvée reproduite à l'identique dans la Chine de Mao Tsé-toung.
Dès 1928, ce pays est désigné comme une préoccupation primordiale de la Russie stalinienne. Au VIe Congrès mondial du Komintern, des 72 pages du Rapport puis du Discours de clôture du débat sur la situation internationale, prononcé par Boukharine, on retiendra cette remarque centrale : "près de 90 orateurs ont exprimé leur pensée. C’est un fait qui n’a été constaté à aucun de nos précédents congrès. Il faut particulièrement faire remarquer et souligner les discours de nos camarades noirs, des délégués des pays asiatiques orientaux, des pays coloniaux en général et, spécialement, de nos camarades chinois."
C'est en effet à partir de cette date que le centre de gravité commence à se déplacer vers leur pays, et que, au sein du communisme chinois, l'étoile de Mao commence à monter.
Après avoir reçu consignes et soutiens de son mentor, il fera figure de successeur révolutionnaire international de Staline. Et il appliquera, après un délai analogue de quelques années suivant sa prise de pouvoir la même politique de collectivisation des terres, adossée à une lutte des classes exacerbée au sein des villages. Les conséquences furent proportionnellement comparables à celles subies par le grand frère soviétique : on évalue entre 55 et 60 millions les Chinois morts de faim à la campagne du fait des "communes populaires" et du "grand bond en avant".
Certes après la lutte intense qui suivit la mise à l'écart de Mao par Liu Shaoqi en 1961, puis le coup d'État militaire de la prétendue "révolution culturelle" en 1966 et le retour du pouvoir effectif du Grand Timonier, puis sa disparition et l'élimination de la Bande des Quatre, c'est à nouveau un marxiste qui imposa une ligne de modernisation en la personne de Deng Xiaoping.
Les deux grands esclavagistes et affameurs du XXe siècle, Staline et Mao Tsé-toung ont aujourd'hui, depuis 2012, pour continuateur Xi Jinping. Car si la Russie stalinienne entendait financer son industrie lourde et ses productions d'armements par les exportations agricoles, si les maîtres de l'URSS se sont servis des extractions minières et des hydrocarbures, la Chine communiste s'est employée à exploiter les paysans et les "shu zi", ce "peuple des rats", arraché à la terre et condamné à loger dans les caves.(2)⇓
Les mythiques routes de la soie furent en fait, au cours du Moyen Âge les routes de la peste. Elles sont désormais celles de la servitude.
JG Malliarakis
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Apostilles
- cf. sa Tribune "Le Kremlin d’aujourd’hui garde l’empreinte du léninisme et du stalinisme"⇑
- cf. "Le Peuple des rats" Dans les sous-sols interdits de la Chine par Patrick Saint-Paul, 2016, éd. Grasset 250 pages.⇑
Et dans cette continuation historique citons par exemple les ravages des Khmers rouges, et les meurtres en pagailles des guérillas marxistes en Amérique latine.
La liste est longue et court toujours.
Rédigé par : Laurent Worms | mardi 31 jan 2023 à 18:37
1) On connaît la réponse de Catherine II à Diderot (d'après Ségur), qu'il est plus facile d'écrire sur une feuille de papier, qui supporte tout, que sur la peau humaine, qui ne supporte rien.
2) Rationalisation meurtrière qui a touché aussi l'Occident, mais moins que la Russie, autre mentalité politique, avec peu de contrepouvoirs organiques.
3) Lénine, l'obligé des Warburg, a abandonné la question nationale à Staline (et la guerre à Trotsky). Puissant levier d'émancipation, la question nationale fut traitée comme l'on sait.
4) L'une des raisons des grandes famines génocidaires était rationnelle : Ukraine et Kazakhstan étant exportatrices, on continua d'exiger d'elles des excédents pour les villes, alors que ces deux territoires étaient ruinés. Du même coup, deux questions ethniques effacées par une logique comptable :
(trad. angl. dispo.)
https://qmonitor.kz/society/4691
5) L'économie russe actuelle n'est pas menacée d'effondrement mais de graves dépréciations qualitatives :
(traduction angl. dispo.)
https://newizv.ru/news/2023-01-25/natalya-zubarevich-obvala-ekonomiki-ne-budet-budet-rost-tehnologicheskoy-otstalosti-394938
6) Sur la dépendance à l'Etat rationnel (qui est aussi une sorte de providence) :
(trad. angl. dispo.)
https://publizist.ru/blogs/117734/45019/-
7) L'emprunt à l'Occident comme solution aux maux de la nation est une attitude classique des élites non européennes des XIXe et XXe siècles. L'expansion occidentale en est évidemment une raison. Mais ces emprunts, qui avaient plutôt bien réussi au Japon avant que les E.U. ne le cassent, ont eu de tout autres effets ailleurs. En cause, la qualité des élites, l'outillage mental des peuples, leur degré d'adaptation.
Pour Mao, la recette se trouvait dans l'adoption d'une doctrine étrangère, adaptée (par lui) aux "masses" mais aussi à la conscience nationale. L'épuration par vagues, la table rase, permettent de relancer la machine avec des éléments plus jeunes, et convaincus. L'affrontement des classes d'âges se transmuait en combat pour la pureté, la foi, etc., et actualisait une sorte de parousie.
Dans ce schéma simpliste mais efficace, la notion de progrès absolu a semé des germes inédits, dont le mythe de l'industrialisation, du rendement, des nouvelles méthodes. Révolution anthropologique qui affecte toutes les sociétés modernes.
Une anecdote :
Le grand Staline visite des comices agricoles. Les tomates ne sont pas belles. En sortant, Staline ordonne à ses accompagnateurs : "Retirez les tomates." Puis, se ravisant : "les tomates seulement."
Rédigé par : Jegou | mardi 31 jan 2023 à 19:41
On peut convenir sur le constat. Ce sont des régimes de servitude. Mais ce n'est pas une raison pour prôner la guerre afin de tenter, vainement, de déloger ces régimes. La pire des dictatures finit par s'adoucir avec le temps. Les Chinois d'aujourd'hui ne sont pas si malheureux. Il faut espérer que ce grand pays se débarrasse du marxisme et des marxistes. Mais c'est aux Chinois eux-mêmes de le faire.
A quoi bon diaboliser en permanence la Russie et la Chine? On devrait avant tout veiller à combattre les tendances liberticides totalitaires dans nos propres pays. Et il y en a.
Je trouve aussi inutilement pathétique et plein de sous-entendus un propos comme: "les mythiques route de la soie furent au Moyen Âge les routes de la peste". Qu'est-ce à dire? Prétendez-vous qu'il n'y a pas eu de routes de la soie? Que ces routes n'ont pas contribué à la civilisation? C'est absurde. La Perse et la Chine n'ont jamais été aussi prospères et glorieuses qu'à l'époque où ces deux empires se jouxtaient et échangeaient en permanence sur ce qui était appelé la route de la soie. On y échangeait de la soie, de la porcelaine, des denrées, de la musique, de la poésie, tout. Le bacille de la peste a aussi emprunté la même route, certes, et aussi il y a eu un trafic d'esclaves organisé par les fameux rhadanites ou rhadanims. C'est peut-être à eux que vous vous devriez vous en prendre quand vous fustigez les fauteurs de servitude. Mais cela a-t-il pour conséquence que l'on devrait être opposé à tout commerce entre l'Europe et la Chine en passant par l'Asie centrale, alors que c'est l'intérêt de tous les pays concernés?
Rédigé par : Helveticus | mardi 31 jan 2023 à 23:45
@ Helveticus
"On peut convenir sur le constat. Ce sont des régimes de servitude. Mais ce n'est pas une raison pour prôner la guerre afin de tenter, vainement, de déloger ces régimes."
Rhétorique typiquement communiste : accuser son adversaire des vices dont on se rend coupable.
Personne ne prône de faire la guerre à la Chine et à la Russie afin de renverser leur régime.
L'Occident, à juste titre, apporte son aide à l'Ukraine attaquée par la Russie. C'est exactement le contraire.
Y a-t-il un risque que le régime poutinien tombe, suite à cette invasion illégale et stupide ? Oui, et ce serait une excellente chose. L'Occident n'y serait pour rien. Il n'a même pas besoin de pousser à la roue.
C'est l'incurie et la bêtise terminale de Poutine qui menacent aujourd'hui la Russie d'éclatement. Mais je n'ai aucun doute que les propagandistes poutiniens, russes et étrangers, accuseront l'Occident de cet éclatement s'il devait survenir...
De même qu'ils l'ont fait pour tout le reste. La Russie n'est jamais responsable de rien, elle est toujours une blanche colombe victime des exactions du monde entier.
C'est la Chine, et non l'Occident, qui annexe en violation du droit international la mer de Chine du Sud, et crée même de nouveaux territoires, des îles artificielles lourdement armées, dans la zone économique des Philippines.
Philippines qui ont appelé l'armée américaine à la rescousse pour contrer la menace chinoise, après l'avoir expulsée il y a un certain temps.
C'est la Chine qui affirme sa volonté de conquérir, par la force militaire, la nation de fait qu'est Taïwan et qui démontre à la face du monde que Chinois n'est pas synonyme d'esclave ni de tyran.
Ce n'est pas l'Occident qui menace d'attaquer la Chine.
Rédigé par : Robert Marchenoir | dimanche 05 fév 2023 à 14:37