Ce 2 janvier disparaissait, à l'âge de 87 ans, un personnage peu connu de l'occident. Il avait joué en Chine un rôle d'importance mondiale. Hu Fuming, théorisa, en effet, le mouvement des Quatre réformes de 1978. Celles-ci allaient dans la pratique être réalisées par Deng Xiaoping. Et, en quelques années, elles ont hissé ce pays au rang effectif de puissance mondiale.
Or, les cercles politiques de l'occident, conditionnés par les calculs à courte vue des milieux d'affaires se sont trompés, en y voyant une marche vers la liberté. Il s'agissait seulement d'un changement de cap dans un environnement qui restait et qui demeure encore marxiste et totalitaire.
Il convient donc d'abord d'en rappeler le contexte historique.
En 1978 en effet, triomphait à Pékin la nouvelle ligne économique conduite par Deng Xiaoping, sans que le pouvoir du parti unique recule d'un pouce. Deux années auparavant, en 1976, Mao et Zhou Enlai avaient été emportés par la mort. Après 10 années marquées par la prétendue révolution culturelle, il s'en était suivi une période d'incertitude, de réhabilitations et de purges plus ou moins progressives. De 1976 à 1978 l'appareil du parti avait petit à petit écarté, non seulement la fameuse, délirante et meurtrière Bande des Quatre menée par l'hystérique Jiang Qing, veuve du Grand Timonier, mais aussi plus des trois quarts des 380 présidents locaux de ces comités révolutionnaires qu'avaient mis en place, depuis 1966, les gardes rouges sous le contrôle des militaires.
Au même moment, l'empire du Milieu reste cependant impliqué dans l'expansion de sa zone d'influence en Asie du sud est, d'où les Américains ont décidé de se retirer. Ainsi, depuis la chute de Phnom-Penh en avril 1975, les crimes du régime khmer-rouge font encore rage et le pouvoir communiste prochinois du Cambodge n'en sera délogé qu'en janvier 1979, par les Vietnamiens. Par ailleurs dans de nombreux pays des partis-marxistes léninistes, parfois groupusculaires, parfois sanglants, maintiennent la flamme de la révolution internationaliste sur les cinq continents. Le Sentier lumineux allait par exemple ensanglanter le Pérou de 1978 à 1992. À noter d'ailleurs que la ligne commune de toutes ces organisations prochinoises consistait alors à combattre, constamment et par priorité, les communistes prosoviétiques, désignés comme "révisionnistes", comme le faisaient leurs prédécesseurs staliniens de l'entre deux guerres avec les sociaux-démocrates, jusqu'au mot d'ordre antifasciste "alternatif" lancé par le Komintern en 1934.
Or, deux lignes politiques s'opposent alors sourdement en Chine même. Depuis octobre 1976, président du parti communiste et de la commission militaire, Hua Guo Feng se cramponne à une légitimité maoïste formelle, déclarant "tout ce que Mao a dit nous le dirons, tout ce que Mao a fait nous le ferons". Lui-même restera en place, au moins nominalement, jusqu'en 1981.
Son rival Deng Xiaoping n'est que vice-premier ministre et vice-président du parti, auquel il appartient depuis 1923. Après avoir exercé entre 1956 et 1967 des fonctions dirigeantes au secrétariat central il est brutalement mis à l'écart par la révolution culturelle. Revenu en 1973 dans le sillage de Zhou Enlaï, il est clairement réhabilité à la faveur du mot d'ordre "ôter les étiquettes". Ce slogan devait bénéficier à tous les anciens cadres du parti, victimes les années précédentes de ce que nous devons considérer comme les délires intrinsèques du maoïsme, y compris ceux de la campagne de rectification consécutive au mouvement des Cent Fleurs. Leur retour en grâce résulta d'une décision du comité central attestée par le "document N° 11" en date du 5 avril 1978. Ce décret de la plus haute importance tendait à une réintégration de toutes les anciennes strates communistes, effaçant les prétendus crimes idéologiques et autres déviations imputés aux défunts.
C'est quelques jours plus tard, le 11 mai 1978, qu'allait paraître sous la signature de Hu Fuming, universitaire de haut rang le texte déclencheur de la nouvelle politique économique.
Or, Hu Fuming, penseur des fameuses réformes, des "quatre modernisations" de 1978 était avant tout un communiste et un lecteur de Karl Marx. Son texte développe la vision du matérialisme dialectique quant aux critères de vérité. Pour ce marxiste et pour Deng qui le soutient le premier objectif du pays est de faire progresser, coûte que coûte, les forces productives.
Bien entendu, Hu Fuming servait de détonateur à la nouvelle politique décidée par Deng. Son article était publié le 11 dans un journal tout à fait significatif : le Guangming Daily, officiellement encore indépendant. Dès le lendemain 12 mai deux importants apparatchiks en voie de disgrâce, le président de l'agence Xinhua et l'ancien rédacteur en chef du Quotidien du Peuple allaient tenter de réagir, voyant combien le nouveau cours allait s'opposer à l'héritage de la gestion maoïste. Mais la presse officielle, au contraire reprit le texte de façon massive. Comme souvent en Chine celui-ci pouvait sembler politiquement indifférent soulignant que "la pratique est le seul critère pour éprouver la vérité". Il s'agissait ni plus ni moins de souligner la part d'idéalisme, de taoïsme, constitutif de ce délire maoïste que l'on retrouve déjà dans les Notes publiées en 1955 comme "Introduction à l’essor du socialisme dans les campagnes chinoises", qui allaient conduire à la grande famine de 1960.
Pour le 40e anniversaire de cet article, les journalistes de China Economic Weekly évoqueront, en 2018, le processus de rédaction dans le cadre d’un entretien avec Hu Fuming. Il s'agissait bel et bien du coup d'envoi de cette nouvelle ère qui allait être dominée par Deng Xiaoping. Le parti communiste considère en fait qu'il s'agit d'une remise en ordre(1)⇓.
Il s'agissait tout simplement du rétablissement du marxisme. Peu importait comme le répétait plaisamment Deng Xiaoping depuis 1961, "qu'un chat soit blanc ou gris pourvu qu'il attrape les souris". Il fallait qu'un universitaire comme Hu Fuming le démontre.JG Malliarakis
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Note
On pourrait comparer l'ère de Deng Xiaoping comme une sorte de NEP de longue durée. Comme ce fût le cas en URSS avec Staline, Xi Jinping y met fin brutalement et resserre les boulons staliniens. L'histoire communiste se répète.
Rédigé par : Laurent Worms | lundi 09 jan 2023 à 20:54
Passionnant! Merci Jean-Gilles. Qu'attends-tu pour publier un bouquin cinglant sur les délires du maoïsme? Celui-ci est -malheureusement- toujours bien vivant.
Rédigé par : Emmanuel Pezé | lundi 09 jan 2023 à 21:51
@Laurent Worms
Vous avez raison. On pourrait parler de NEP de longue durée. Je me suis aussi fait cette réflexion plusieurs fois. Seulement vous oubliez une chose. C'est que qand la NEP dure deux générations, elle produit des conséquences irréversibles.
Il y a une reprise en mains par la direction communiste. Mais un retour au communisme de guerre est impossible.
Il restera toujours un secteur privé entrepreneurail très dynamique, à côté d'un secteur public très puissant (qui rappelle au colbertisme qui existait en France du temps de Mitterrand, et même sous de Gaulle, Pompidou et Giscard, qui ne marchait pas mal du tout avec des grands commis de l'état aux commandes).
La seule chose que le gouvernement central ne veut pas, c'est que se constitue une catégorie d'entrepreneurs oligarques, milliardaires, enrichis en partie grâce à l'aide de l'état, et qui se prenant pour des Elon Musk ou Bill Gates, se retournent contre les intérêts nationaux.
La Chine a une grande politique industrielle et la capacité d'atteindre des objectifs stratégiques majeurs, absolument hors de portée d'un pays comme la France, ligotée qu'elle est par les traités européens, et dirigée par une élite de TRAITRES, qui ont bradé des fleurons comme Alcatel Alsthom, et n'ont rien fait pour défendre des jeunes pousses stratégiques, comme GEM+, volées par les ENNEMIS de votre pays.
L'anticommunisme est louable, mais il me devrait pas empêcher de voir les réalités pratiques.
Rédigé par : Helveticus | mardi 10 jan 2023 à 13:58
Article très intéressant.
Cela pourra peut-être intéresser certains des lecteurs de ce blog si j'explique ce que m'ont raconté quelques amis, accessoirement membres du PCC.
La direction du parti a soigneusement médité l'échec de Gorbatschow, et a fait des choix pour ne pas connaître le même triste sort que lui, et que son pays.
Rappelons que ce pauvre Gorbatschow a encore assisté aux évènements de la place Tien An Men à Pékin, alors qu'il était en visite officielle et encensé par l'occident collectif hypocrite pour sa glasnost et sa perestroïka. Peu après il tombait et la Russie glissait dans la détresse la plus affreuse.
Deng Xiao Ping a pris une décision peu sympathique mais nécessaire, qui était de réprimer l'insurrection manu militari. Une insurrection qui avait diverses causes, notamment la colère contre la corruption, un certain désir de liberté, mais pas dans le sens qu'on donne ici à ce mot, et bien entendu, c'était de bonne guerre, l'incitation par l'ambassade des USA. Aujourd'hui la plupart des cadres de cette insurrection sont rentrés dans le rang et certains ont fait de bonnes carrières. Quelques uns sont probablement morts ou on quitté le pays et se répandent vainement dans les gazettes occidentales en essayant de faire croire que lerus compatriotes partagent leurs sentiments. (Le pouvoir chinois ne fera plus usage de la force comme en 1989. Il ne le pourrait plus et n'en a plus besoin. On l'a vu quand il y a eu des émeutes violentes contre la politique zéro covid. Xi a réagi avec un sens politique époustouflant. Il a simplement décidé de lever complètement toutes les restrictions, d'un coup, et en somme dire aux gens: nous voulions vous protéger avec cette politique. Vous n'en voulez pas. Soit, on lève les restrictions et ne venez pas pleurer si vous attrapez le covid. Evidemment, le virus, qu'on avait empêché de circuler, s'est répandu comme une traînée de poudre. Il y a des millions de gens atteints de cette grippe. Ceux qui sont déjà très malades d'autre chose mourront, les autres guériront et on n'en parlera plus. En attendant, le pouvoir n'est pas contesté).
Ayant fait le ménage, Deng, ou plutôt le parti au pouvoir sous sa direction, a jugé que l'échec de Gorbatschow était dû au fait qu'il avait voulu faire simultanément deux choses: a) l'ouverture politique (glasnost) et b) la modernisation économique (perestroïka). On a décidé de faire la perestroïka seulement, en excluant la glasnost. That's it. Et ça a marché. C'était bien pensé, tout simple et typiquement chinois.
Accessoirement, les occidentaux n'ont pas compris que deux choses et deux choses seulement sont absolument non négociables pour le pouvoir chinois remis en selle par Deng: a) le rôle dirigeant du parti ("les principes resteront valables pendant 100 ans!" Deng Xiao Ping), et, b) l'appartenance de Taïwan à la Chine.
S'imaginer que l'on pourrait au moyen d'une promotion des gentils idéaux de la démocratie libérale et des provocations comme celle de Nancy Pelosi (qui n'a eu comme seul effet que de favoriser le succès électoral du parti Guo Min Tang, partisan de la politique d'une seule Chine), faire dévier la Chine de ces deux objectifs fixés par le pouvoir, et sur lesquels il y a un consensus massif de l'opinion, est non seulement illusoire, mais irresponsable. Si l'on prétend fonder une politique étrangère sur ces billevesées, l'échec est garanti.
On reparlera de tout ça dans un siècle, ce qui n'est qu'un instant dans la longue histoire d'un peuple d'élite comme le peuple chinois.
Rédigé par : Helveticus | mardi 10 jan 2023 à 14:38
Le communisme chinois est l'"idéologie prétexte" qui couvre un stato-nationalisme chinois bien réel. De même que l'appareil d'Etat soviétique a dès 1922 bénéficié du concours de cadres russes non communistes qui voulaient retrouver un Etat stable et respecté (voir les études de Nicolas Woerth). Illusion partielle certes, mais le ralliement à Staline ne fut pas qu'un effet de propagande (que dire de son actuelle popularité en Russie...)
Bref, le "marxisme", le "communisme" ont su, ou pu, se confondre avec la cause nationale et populaire. A tort, diront les victimes.
L'historien, du moins s'il ne cherche pas délibérément à tracer un portrait idyllique du monde "libre" occidental, devra reconnaître, et dès maintenant, que sous les conflits d'idéologies se produisent des mouvements de sociétés qui se coulent dans les vêtements jadis empruntés à l'Occident.
Car le marxisme revu par Hegel est bien un produit de l'Occident, et même le léninisme. C'est une sorte de clef qui ouvre les portes du progrès et autres messianismes.
Marché de dupes ? Acculturation des élites asiatiques, et autres, épuisement des sociétés en crise ?
Quand au monde libre de naguère, a-t-il vraiment des leçons à donner ? Après tout, l'Europe s'est très bien suicidée (ou 'a été suicidée' sic) en 1914. Et beaucoup dans le monde s'en sont aperçus.
Le marxisme a bon dos. La Chine est aujourd'hui l'un des plus beaux fleurons du monde capitaliste.
Les Chinois sont traités par leurs dirigeants comme une masse servile et administrée de consommateurs. Ce n'est pas l'idéal. Cela ressemble à la "puissance paternelle" évoquée par Toqueville à propos de l'Amérique.
Ce qui leur manque c'est peu-être une conception dynamique de la cité, la discussion qui accompagnait l'expansion de l'ancienne Europe. Mais les peuples sont différents et l'on ne peut attendre de la Chine qu'elle découvre les valeurs de la Cité antique (pour celles de la City, ce sera plus facile à acquérir, c'est en cours.)
Rédigé par : Jegou | mercredi 11 jan 2023 à 01:54
Je ne pense pas que la Chine soit spécialament intéressée par l'esprit de la City de Londres, ni de Wall Street. Elle n'en a pas besoin, ayant elle-même une tradition mercantile et financière plus ancienne que celle de londres et New York. Ainsi c'est la Chine qui a en réalité inventé la lettre de change, appelée "monnaie volante", dèja sous la dynastie Song (10ème au 13ème siècle de notre ère, une période extrêmement innovative et créative à tous les points de vue: politique, administratif, économique, technique, culturel,commercial, financier). Cette invention est attribuée à tort aux changeurs italiens (lombards), mais ils n'ont fait que copier les Chinois, comme pour les nouilles. Simplement, la Chine est le plus grand marché du monde, par conséquent la City et Wall-Street ne peuvent que s'y intéresser. La Chine a accepté d'ouvrir son marché, tout en gardant le contrôle pour que les longs nez ne se servent pas de ça comme d'un cheval de Troie pour essayer d'effectuer un regime change. La Chine s'efforce de rester chinoise, tout en jouant intelligemment de l'intérêt des étrangers pour son économie et son marché financier, tout en préservant son indépendance. La Chine apprécie l'investissement étranger dans son économie, mais pourrait éventuellement s'en passer car elle peut compter sur l'énorme pouvoir financier des investisseurs chinoisd'outre mer. C'est un peu autre chose comme attitude, que la servilité totale du marché boursier Euronext (ancienne bourse de Paris) qui a fusionné avec le New York Stock Exchange et n'est donc plus qu'une succursale de Wall-Street avec un fondé de pouvoir qui s'appelle Macron et qui vend la France à l'encan.
Rédigé par : Helveticus (gnome de Zurich) | mercredi 11 jan 2023 à 21:38