En dehors de quelques lignes à peine, sur un site russe d'expression anglaise, lequel s'en félicite, le discours de Devlet Bahceli, ce 24 mai, n'a guère été répercuté dans les langues généralement accessibles aux Occidentaux.
Comme les médias turcs lui ont fait, au contraire, un très large écho, je crois utile d'en faire connaître le contenu à mes amis lecteurs. Menaçant tout simplement, explicitement d'une sortie de l'OTAN, auquel son pays appartient depuis 70 ans, si la Finlande et la Suède, y étaient admises, il va en effet beaucoup plus loin que les déclarations officielles d'Ankara.
Erdogan, se garde bien lui-même d'être aussi catégorique, tout en cherchant à marchander âprement son acceptation. On doit pourtant noter que l'hypothèse ne lui coûterait rien. On soulignera en toute objectivité que ces deux nations pacifiques du Nord de l'Europe ne le menacent en rien, pas même quand il viole le droit de la mer, quand il frappe les populations civiles syriennes, multiplie les vols provocateurs de son aviation et les forages illégaux de l'Oruç Reis en Méditerranée.
Si les diplomates turcs, riches d'une longue tradition d'enfumage ottoman, restent coutumiers des circonvolutions rhétoriques et des balancements incertains, – ils sont imbattables sur le "en même temps" – on doit reconnaître au leader extrémiste Bahceli le mérite d'un langage clair. Partenaire, depuis 2008, devenu, depuis 2015, soutien indispensable du gouvernement, il exprime tout haut ce que le pouvoir de l'État profond désire faire savoir à ses interlocuteurs.
Pour mieux comprendre Marx et le marxisme, il faut lire Engels.
Pour mieux comprendre Erdogan, il faut ainsi écouter les Loups Gris et leur chef Bahceli.
Qui est Devlet Bahceli ? se demandent peut-être certains lecteurs.
Ancien universitaire et fondateur du mouvement de jeunesse des "Foyers idéalistes", ce célibataire endurci, comme on dit pudiquement, a succédé au chef historique du mouvement, le colonel Alpaslan Turkes à la tête des Loups Gris. Ce parti a été reconstitué sous diverses étiquettes "nationalistes", au gré d'anciennes interdictions. C'est de cette mouvance qu'est issue l'épouse du président Erdogan. Aujourd'hui cela s'appelle le MHP, "parti du mouvement nationaliste". Depuis 1999 il siège au sein de la Grande Assemblée nationale comme député quasi inamovible de la circonscription méditerranéenne d’Osmaniye.
Indiquons quand même au lecteur que cette ville actuellement proche de la Syrie fait partie de la province du Hatay. On l'appelait autrefois sandjak d'Alexandrette. Ce territoire, où pourtant les Turcs étaient minoritaires, a été cédé par la France mandataire, en 1939, dans le cadre d'un traité franco-anglo-turc. Ce marché de dupes imaginé par le Foreign office entendait inclure Ankara dans une alliance antiallemande, qui finalement fonctionna en effet, mais seulement en 1945.
Ceci veut dire qu'être élu dans une telle région, comme c'est le cas pour un certain nombre de Loups Gris, par exemple à Trébizonde-Trabzon dans la province autrefois grecque du Pont, ou à Diyarbekir capitale du Kurdistan turc, cela veut dire que l'on a été désigné en accord avec le pouvoir militaire et avec les confréries criminelles que l'on appelle "mafya"... voilà un mot turc que tout le monde comprend.
Président du MHP, Devlet Bahceli, a d'abord déclaré que la sécurité, la stabilité et l'avenir économiques de la Turquie sont menacés. Il se félicite que malgré les vents contraires, le gouvernement a pris des mesures de protection qu'il juge de nature à surmonter les chocs cycliques de l'économie, à freiner la baisse dénoncée comme artificielle de la valeur de la monnaie et pour juguler la hausse des prix. Au nom de la survie économique, il affirme donc : "Le Parti du mouvement nationaliste se tient prêt et soutient chaque décision que notre État et notre gouvernement prendront."
Dans le contexte d'un tel soutien spectaculaire, sa position reflète à l'évidence celle du pouvoir. Quand il propose de "mettre à l'ordre du jour" la sortie de l'OTAN comme une "solution alternative" c'est bien que cette option se précise.
C'est donc un chantage très clair qui a été envoyé par un allié soi-disant indispensable que serait encore ce pays, à entendre certains stratèges occidentaux, bien qu'il soit gouverné depuis 2003 par un islamiste, lui-même allié, depuis 2008, au parti des Loups Gris.
L'argument invoqué avance que la Suède, nation démocratique où règne la liberté d'expression, laisse s'exprimer, de façon non-violente, des opposants kurdes et turcs lesquels disposant librement d'un bureau d'information à Stockholm. La propagande et la diplomatie d'Erdogan les qualifient de terroristes, mot qu'elle emploie s'agissant de tous ses adversaires y compris l'inoffensive et fameuse confrérie éducatrice pro-libérale et pro-soufie Hizmet que dirige Fettulah Gülen, réfugié de longue date aux États-Unis.
Bahceli a naturellement redéployé l'argumentaire selon lequel cette organisation doit être considérée comme "terroriste" et rebaptisée "FETO", responsable de tous les maux du pays. S'agissant de la Grèce et Chypre, où il reprend à son compte la thèse des "deux États", tout en disant que l'île est turque, il suffoque à l'idée que le premier ministre grec Mitsotakis ait été applaudi 37 fois par le congrès des États-Unis.
À l'entendre, pour conclure, toute acceptation d'Helsinki et de Stockholm dans l'Alliance occidentale conduirait à des pourparlers sur le retrait d'Ankara, et que cela ne nuirait pas à une Turquie forte.
Eh bien, quand les Loups gris menacent de quitter l'alliance, nous sommes tentés de répondre : au moins c'est clair.
JG Malliarakis
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