Depuis la victoire macronienne du 24 avril, la France est entrée dans une phase d'incertitude inédite.
Divers sondages tendent à prouver que 2 Français sur 3 désireraient ce que les médias, et les instituts d'opinion, appellent un gouvernement de cohabitation. Ils trompent ainsi le public sur la marchandise, car ils font référence à une situation institutionnelle, très différente des hypothèses politiques actuelles. La formule fut inventée en 1985. À cette époque, il était devenu clair que les socialistes, après plusieurs années de désastre économique, allaient immanquablement perdre les élections de 1986.
Ce qui advint.
La logique fondatrice de la cinquième république eût alors commandé que le président, désavoué par "le peuple dans ses profondeurs" démissionnât. De Gaulle l'avait fait en 1969 après son référendum raté sur la réforme régionale.
Il se trouve qu'à ce moment-là l'opposition, classée globalement à droite, pataugeait dans ses divisions. Les deux dirigeants rivaux, Giscard et Chirac se haïssaient. Leurs partis respectifs représentaient des forces équivalentes. Pour surmonter leur inexpiable conflit, Edouard Balladur inventa cette formule qu'on appela "cohabitation". Pour éviter une présidentielle anticipée, on décida que le gouvernement serait conduit par celui des deux partis qui obtiendrait le plus de voix aux législatives de 1986. Avec 44,8 % des suffrages la droite parlementaire obtint, au scrutin proportionnel 290 sièges sur 577, soit une très courte majorité. L'UDF ayant fait élire 131 députés et le RPR ayant obtenu 155 élus, Jacques Chirac fut nommé premier ministre sans que Mitterrand, demeuré à l'Elysée, eût vraiment le choix. Ceci fonctionna, tant bien que mal, entre 1986 et 1988 sous une majorité parlementaire qui mena une politique à peu près cohérente, soit une situation tout à fait différente que celle envisagée aujourd'hui quand on parle de "cohabitation".
À nouveau, après le retour des socialistes en 1988 et les désastreux gouvernements successifs : Rocard au début, Édith Cresson en 1991, puis Bérégovoy en 1992, les législatives de 1993, où la gauche fut balayée, virent revenir une formule analogue conduite par Balladur à l'Hôtel Matignon de 1993 à 1995.
La même situation se reproduisit en sens inverse de 1997 à 2002.
La dissolution stupidement voulue par Juppé, conseillé par l'inepte Villepin, avait conduit à une défaite électorale cuisante et réduit le président Chirac à l'impuissance. Le Premier ministre socialiste Jospin put donc exercer sans partage le pouvoir exécutif, laissant au chef de l'État le fameux domaine réservé de la politique extérieure et européenne. Ceci allait d'ailleurs conduire à la surprenante opération de 1999, de l'OTAN contre la Serbie, intervention voulue par Chirac lequel imaginait un règlement rapide qui lui aurait permis de remporter les élections européennes de juin et de reprendre la main.
Dans cette séquence, le gouvernement Jospin s'appuyait lui-même sur une majorité dite de "gauche plurielle". Au sein de celle-ci figuraient les communistes et les radicaux de gauche. Chacun se trouvait confiné dans des fiefs ministériels, bien distincts et considérés comme plus ou moins secondaires, cependant que les poids lourds s'appelaient Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, eux-mêmes socialistes.
On voit donc que le nouveau scénario, prétendument désiré par les Français, se présenterait d'une manière radicalement différente. Il ne se dessine plus exactement qu'à partir de réponses fournies par des sondés, auxquels on demande de répondre en fonction de questions préfabriquées : souhaitez-vous une "cohabitation" ? Répondez par oui ou par non...
Le pouvoir exécutif dépendrait théoriquement de l'assemblée alors que, au bout du compte, aucune véritable majorité ne s'y dessinerait. Les députés d'opposition, clairement divisés au moins entre deux ensembles non-réconciliables, LR+RN+Reconquête eux mêmes en désaccord d'une part, et des gauches ayant elles aussi vocation à se diviser entre laïcs et islamo-gauchistes, entre Européens et néo-souverainistes. La prétention de Mélenchon à imposer à l'ensemble de son camp son propre diktat ne pourrait pas survivre, en effet, s'il ne remporte pas 289 sièges le 19 juin, hypothèse dont on doit se prémunir mais peu vraisemblable à l'heure où nous écrivons.
Cette "cohabitation" nouvelle manière, ou même, – dans une autre hypothèse, – la formation d'une majorité "renaissante" fondée sur la "cohabitation" entre Horizons et MODEM, et les "ailes" droite et gauche de l'ex-République en Marche... tous ces cas n'auraient en effet rien à voir avec les périodes "cohabitantes" 1986-1988, 1993-1995 ou 1997-2002 citées plus haut.
Or, ils laisseraient au président une latitude considérable, si considérable qu'on peut même se demander si sa pratique gouvernementale ne serait pas plus solitaire encore que pendant le premier quinquennat.
Pendant la courte campagne qui a conduit à sa réélection, Macron s'était voulu rassurant. Il s'était par exemple engagé à exclure toute nouvelle augmentation de l’impôt sur le revenu.
"Je sais, nous dira-t-il demain, j'ai promis mais je n'ai pas promis de tenir mes promesses". Et dans un pays où l'invention fiscaliste bat tous les records, on ne changera pas les taux d'imposition mais on fera évoluer l'assiette. Dans une prochaine chronique j'essaierai de rappeler pourquoi et comment.
La fidélité à une telle promesse dépendra au bout du compte des caprices d'un président "en même temps" de gauche et de droite. Emmanuel cohabiterait alors avec Macron.
JG Malliarakis
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