En décidant, par deux jugements intervenus les 28 et 29 décembre, de dissoudre Memorial, la cour suprême de Russie nous ramène aux années 1950. À l'époque, même en Europe occidentale, tétanisée par la pression des organisations communistes et de leurs compagnons de route, il était jugé politiquement incorrect de rééditer Tintin chez les Soviets...
Le procureur ayant déclaré que l'association "créant une fausse image de l'URSS en tant qu'État terroriste, blanchit et réhabilite les criminels nazis", le juge Mikhaïl Kazakov et la Cour ont décidé d’accéder à sa requête tendant à détruire l’organisation de défense des droits Memorial et toutes les entités rattachées. La seconde décision s’appliquait à la branche recensant les violations des droits humains dans la Russie contemporaine. La veille, la Cour Suprême avait banni sa maison mère, Memorial International, et ses structures enquêtant sur les purges soviétiques.
Il est de plus en plus clair à cet égard que les deux combats sont devenus indissociables. Les poursuites politiques systématiques et arbitraires visent les critiques au régime poutinien. L’incarcération du principal opposant, Alexeï Navalny, en donne la mesure. Ceci ne fait qu'actualiser l'interdiction d'enquêter sur les crimes commis par la NKVD de l'époque stalinienne. L'actuel FSB ne se cache pas de continuer la tâche macabre du KGB soviétique issu de la Tchéka léniniste devenue Guépéou puis NKVD. Toujours le même quartier général place Loubianka.
La dissolution de Memorial ouvre la voie à cette réécriture de l’histoire, au nom de la continuité entre la Russie et l’URSS. Son action internationale, entre Syrie, Mali et Kazakhstan, l’annexion de la Crimée et son intimidation aux frontières de l’Ukraine ne peut que nous en convaincre. Tout ceci est opéré sous la houlette de l'ancien chef des services secrets, qui dirige l'État depuis maintenant 22 ans.
"Le rideau tombe" observe Galia Ackerman, l'active rédactrice en chef de Desk Russie (1)⇓.
Et, c'est avec un léger retard à l'allumage, mais non sans pertinence, que Le Monde titrait en ligne ce 9 janvier au soir : "Ukraine :les États-Unis craignent la confrontation, la Russie refuse toute concession" (2)⇓
Or, si, effectivement les émissaires de Washington et Moscou devaient entamer à Genève, ce 10 janvier, des pourparlers pour tenter de désamorcer la crise ukrainienne, l'Europe reste étonnamment atone dans un dossier qui la regarde pourtant au premier chef. 77 ans après les accords de Yalta, tout se passe comme si rien n'avait changé. À l'époque Staline avait réussi, avec la complaisance de certains conseillers de Roosevelt tel Alger Hiss à écarter les Européens, et particulièrement les Polonais, les Hongrois, les Tchèques, etc de décisions qui allaient les contraindre à une captivité d'un demi-siècle. Depuis, le scénario est à peine différent, l'Angleterre et l'empire britannique ne disposent même plus d'un strapontin pour peser aux côtés du seul Joe Biden dont le degré de fermeté déterminera l'avenir de nos libertés.
On comprend encore mieux les interdictions mémorielles imposées en Russie, mais aussi, ne l'oublions pas, en France. Elles servent à la défense des acquis. Le 28 octobre à Moscou la juge Alla Nazarova avait dit « accéder à la demande du Parquet » de dissoudre Memorial pénalisée par un statut d’agent de l’étranger, ceci en vertu d'une loi russe de 2012. Une telle étiquette arbitraire en fait ce que la défunte (?) Union soviétique appelait un « ennemi du peuple ». Dans son réquisitoire, le procureur Alexeï Jafiarov accusait l'association de « créer une image mensongère de l’URSS en tant qu’État terroriste » enfreignant une loi mémorielle russe de 2014, de « salir la mémoire » de la Grande guerre patriotique et de « réhabiliter des criminels nazis ».
Au nom de la défense, Maria Eïsmont proteste : « C’est une décision malfaisante, injuste ». « Liquider Mémorial International renvoie la Russie à son passé, et accroît le danger de (nouvelles) répressions », avait-elle estimé devant la Cour. Fondée en 1989, l’organisation avait affirmé avant le verdict qu’elle allait s’efforcer de continuer son travail, même en cas d’interdiction.
Nous ne pouvons donc qu'approuver le communiqué publié le 28 décembre à Paris, par Jean-Yves Le Drian : « c’est avec indignation et préoccupation que j’ai appris la liquidation de l’ONG Memorial International par la Cour suprême de Russie (...) En cette année du centenaire de la naissance d’Andreï Sakharov, fondateur de cette organisation et Prix Nobel de la paix, cette annonce est profondément inquiétante pour l’avenir de la recherche historique et la défense des droits de l’homme en Russie ».
C'est en effet largement à partir de l'Union soviétique qu'ont vraiment commencé les prises de conscience des réalités totalitaires du système. Après le rapport Khrouchtchev de 1956, le Docteur Jivago est publié en 1957 en Italie, l'Archipel du Goulag en France en 1973. Mais entre-temps la révélation décisive résulta d'un texte de Soljenitsyne Une Journée d'Ivan Denissovitch édité en URSS même en 1962. "L'ouvrage fit l'effet d'une bombe car il révélait au grand jour l'existence des camps staliniens" reconnaîtra Le Monde.
La Russie d'aujourd'hui serait-elle en retrait par rapport à l'URSS sous Khrouchtchev ?
N'étant pas (pas encore) soumis en France à l'obligation de conformisme historique, nous devons aller plus loin. On doit rappeler que dès 1922 on pouvait savoir en occident ce qu'il en était de la Terreur rouge instituée, avec une logique implacable, par Lénine, Trotski et Staline (3)⇓ .
JG Malliarakis
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Apostilles
- cf. "Desk Russie"... L'actualité russe décryptée rien que pour vous.⇑
- cf. Article réalisé avec l'AFP.⇑
- cf. "La Terreur rouge théorie et pratique" par JG Malliarakis et Charles Culbert.⇑
Bonjour,
Ne croyez vous pas que notre intérêt est d’avoir plusieurs centre de pouvoir et d’éviter a tout l’hegeonie américaine avec toutes ses dérives (cancel culture, wokism etc...)
Bonne journée
Pierre Bourdin
Rédigé par : Pierre Bourdin | lundi 10 jan 2022 à 15:23
Les Russes ne font pas dans la repentance qui est l'attitude des faibles.
La plupart d'entre eux ne font pas tel feu le Belge Ludo Martens l'apologie de Staline, ils retiennent le vainqueur de la Grande Guerre Patriotique, faisant l'impasse sur le reste.
Je ne pense pas que beaucoup se réclament du "modèle" soviétique qui est un échec total en plus d'être invivable sur le plan des libertés fondamentales (pas celle de propager des conceptions cosmopolites qui doivent être à juste titre interdites et mises hors jeu mais celle de disposer des biens de son travail et de vivre comme on le souhaite dans sa propriété privée).
Rédigé par : RR | lundi 10 jan 2022 à 16:02
Oui, le retour de la Russie comme "superpuissance" est positif dans le sens où ça contrebalance l'hégémonie américaine. Les dirigeants des États-Unis n'ont pas renoncé à régenter le monde. L'OTAN est leur instrument militaire et doit être démantelé. Et là je suis d'accord avec ...Gabriel Adinolfi. Sauf que moi je ne pense pas que Valérie Pécresse soit propulsée par les forces mondialistes pour se substituer à Emmanuel Macron jugé moins docile, d'où un soi-disant soutien du Système à Zemmour pour éliminer Marine Le Pen de l'accès au second tour au bénéfice de la candidate des Républicains.
M. Macron tout comme Mme Pécresse sont "occidentalistes" et alignés sur les forces dénoncées par Jacques Bordiot ("Une main cachée dirige"), il n'y a aucune différence entre eux sur cette question.
Rédigé par : RR | lundi 10 jan 2022 à 17:05
Un genre de loi Gayssov?
Rédigé par : minvielle | lundi 10 jan 2022 à 20:31
@"RR". Une fois de plus vous confondez tout.
Les Russes ont été les premières victimes du stalinisme : toute réhabilitation du régime stalinien est une monstruosité.
Quant à la repentance si elle a mauvaise presse, dans d'autre circonstances, elle est une vertu chrétienne. "Le repentir est un don sans prix fait à l'humanité" disait saint Sophrony l'Athonite.
Rédigé par : Jean-François de Langotières | lundi 10 jan 2022 à 21:56
@ Jean-François de Langotières
Qui parle de réhabiliter le régime stalinien ?
Je vous laisse par ailleurs la responsabilité de votre propos concernant la repentance, "vertu" qui m'est étrangère.
Rédigé par : RR | mardi 11 jan 2022 à 01:58
Oui, comme vous le dites, la Russie aujourd'hui est, par certains côtés, plus communiste que l'URSS.
La réhabilitation du communisme et du stalinisme est absolument saisissante. Certes, il n'y a ni massacres ni emprisonnement de masse, mais la relégitimation du pacte hitléro-stalinien est extraordinaire. Depuis la mort de Staline, personne n'avait osé aller jusque-là.
Je dirais même que Poutine réhabilite non seulement Staline, mais Hitler. Sa politique étrangère est distinctement hitlérienne. Tout comme le programme du parti nazi, il revendique comme siens tous les territoires où se trouvent des Russes -- et même ceux où il en fabrique, en ouvrant la turbine à passeports.
L'ahurissant ultimatum qu'il vient d'adresser à l'Europe et aux Etats-Unis n'a rien à envier à ceux de Hitler à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
En fait, au moment même où il interdit, par la loi, de suggérer des ressemblances entre le régime soviétique et le régime nazi, il s'emploie non seulement à mettre ces ressemblances en évidence, mais à se comporter lui-même en émule contemporain de la politique hitlérienne.
Rédigé par : Robert Marchenoir | mardi 11 jan 2022 à 09:31
En France, et en Occident, la recherche historique serait libre ? Je pourrais vous indiquer un ou deux sujets sur lesquels elle ne l'est pas. Renseignez-vous, je suis sûr que vous trouverez.
Petite réponse
Merci de votre piqûre de rappel. Je suis parfaitement renseigné sur ce point. J'en ai maintes fois parlé, j'ajoute que j'en ai souffert moi-même ; j'écris ceci dans
la chronique qui vous fait réagir : "On comprend encore mieux les interdictions mémorielles imposées en Russie, mais aussi, ne l'oublions pas, en France. Elles servent à la défense des acquis."
Rédigé par : reynier | mardi 11 jan 2022 à 13:12
Avec ce retour de bâton, c'est pas demain qu'en France on fera la lumière sur les crimes du PCF, entre autre lors de la "bolchevisation ainsi que ceux commis par les FTP à la libération. Ici aussi on met la poussière sous le tapis.
Rédigé par : laurent Worms | mardi 11 jan 2022 à 14:52
En matière de divulgation du goulag et des méthodes de répression du NKVD, le premier à témoigner par la publication de livres fut le polonais Josef Czapski en 1944 (Souvenirs de Starobliesk et Terre inhumaine) un rescapé de Katyn. Mais son témoignage direct fut occulté par l'influence communiste omniprésente et sa lettre ouverte en octobre 44 a Francois Mauriac pour protester contre l'abandon criminel des alliés lors de l'insurrection de Varsovie, ne reçut jamais de réponse...
Petite réponse
Merci pour cette information. Mais je ne vous suis qu'à moitié s'agissant de "la première" mise en garde. Dès 1922, les documents Tchernov décrivent l'intégralité du système qui sera copié par les "rivaux totalitaires" du XXe siècle, système mis en place par Lénine. C'est ce que j'explique dans notre livre sur "la Terreur rouge".
Rédigé par : Gilles DELLA GUARDIA | vendredi 14 jan 2022 à 09:32