Les peuples sont parfois conscients des dangers qui les menacent par le souvenir des catastrophes qui les ont frappés dans le passé. Ainsi les Allemands, gardant un souvenir pédagogique cuisant de l'hyperinflation qu'ils ont connue ne veulent la voir se reproduire sous aucun prétexte.
Mais ce que la plupart des autres Européens d'aujourd'hui se représentent difficilement, c'est le mal que peut produire, insidieusement ou non, l'inflation tout court.
Or, en ce moment même, nous pouvons constater ce qui se passe sous nos yeux dans un pays proche : la Turquie de M. Erdogan.
En quelques mois la livre turque s'est dévaluée de près de 50 %, passant de 11 livres pour un dollar en septembre à 18 en décembre. Le rythme de la hausse des prix avoisine un taux véritable de 30 %. Le gouvernement cherche à camoufler les indices, mais les consommateurs et les salariés ne s'y trompent pas, qui voient le pouvoir d'achat s'écrouler. Sans atteindre encore le stade de l'Allemagne des années 1920, qui connut une ruine radicale des classes moyennes, en attendant de voir l'apparition d'un chômage massif dans les années 1930, le peuple turc éprouve surtout, à l'heure actuelle, l'impression d'un retour 20 ans en arrière. Tous les acquis associés à la popularité du parti gouvernemental AKP depuis 2003 sont en train de disparaître.
Dans Les Échos du 24 décembre, Éric Le Boucher s'emploie à souligner que plus généralement ce sont les régimes autoritaires qui sont en cause : "Les dictateurs n'ont peur de rien, écrit-il, sauf de l'inflation" (...) "Face à l'inflation, toutes les solutions proposées par les dictateurs sont vouées à l'échec". Et il se plaît souligner que "le cas de la Turquie est exemplaire."
On ne doit évidemment pas s'y tromper : d'autres pays ont détruit récemment leur monnaie par le fait d'une distribution révolutionnaire parfaitement et simplement démagogique. Le Zimbabwe et, plus encore, le Venezuela sont ainsi passés de la prospérité à la misère. En matière d'inflation, la dictature de Caracas bat évidemment tous les records : officiellement une hausse des prix de + 2 700 %. Qui dit mieux ?
Le cas de la Turquie est plus intéressant et plus original. Comme on va le voir ce n'est pas la démagogie qui le caractérise, au contraire. Sa politique monétaire, imposée par Erdogan à la banque centrale, dont l'indépendance est bafouée et le gouverneur remplacé, a consisté en une baisse autoritaire et systématique des taux d'intérêt. Elle aboutit ainsi, très concrètement, à subventionner de façon hypocrite les activités exportatrices au détriment du niveau de vie de la population intérieure. En 4 mois, le taux directeur de la banque centrale a été baissé 4 fois et la hausse de la circulation monétaire qui en a résulté a entraîné la hausse des prix. Cette évidence reflète une loi bien connue depuis le XVIe siècle en occident. La théorie dite quantitative de la monnaie a été mise en lumière au départ par Nicolas Copernic et, en France, par Jean Bodin ; elle a été renouvelée au XXe siècle par Irving Fisher et Milton Friedmann, qui en a été salué par un prix Nobel.
Mais le gouvernement d'Ankara n'en a évidemment cure.
Idéologiquement, en effet, le président, tout puissant depuis la réforme constitutionnelle de 2017, juge bon d'invoquer le Coran qui prohibe "l'usure". Les versets 278-279 de la Sourate 2 ne disent-ils pas explicitement : "ô les croyants ! Craignez Allah et renoncez au reliquat de l'intérêt usuraire".
Ce merveilleux argument n'est ni tout à fait innocent, ni entièrement niais. En fait, la mafia qui dirige la Turquie et ambitionne de diriger l'islam mondial, se plaît à voir dans cette application de la loi coranique un puissant moyen de développement économique. Et l'économie turque est devenue de plus en plus exportatrice, y compris dans le secteur de l'armement. Elle favorise largement la sous-traitance du fait de son appartenance à l'union douanière européenne, sans les contraintes imposées au marché intérieur (merci Juppé en 1993). Seulement, si les exportations auront augmenté cette année au rythme de 30 % le pouvoir d'achat aura diminué d'autant.
Tout se passe ainsi comme si l'islamiste Erdogan poursuivait pour but l'application du modèle chinois : une monnaie artificiellement sous-évaluée au profit d'une caste toute puissante et d'une accumulation nationale lui permettant d'agir sur la scène internationale.
Or, les limites de cet exercice se trouvent dans le fait que, formellement, contrairement à une Chine où tout est verrouillé par le parti communiste, il existe en Turquie une opposition, certes brimée, et des échéances électorales, certes éventuellement truquées, mais aussi des forces alternatives comme les kémalistes du parti républicain du peuple, qui ont reconquis la mairie d'Istanbul, sans parler des Kurdes.
Cette politique monétaire que le pouvoir de l'AKP, allié aux Loups Gris, conçoit comme un instrument de puissance, pourrait donc bien devenir, demain, un facteur de désagrégation, de division et à terme d'explosion nationale.
JG Malliarakis
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Pour ma part, historiquement parlant, je ne connais aucun dictateur, aucun régime totalitaire qui n'a pas terminé sa course dans un effondrement économique sur le plan interne.
Rédigé par : laurent Worms | samedi 01 jan 2022 à 18:23
@ laurent Worms
Lorsque le général Augusto Pinochet a quitté le pouvoir, son pays se portait fort bien et notamment économiquement. C'est bien là une démonstration qu'une politique sociale antifiscaliste, non-redistributiste, bref de liberté où chacun bénéficie des fruits de son travail est le bon choix.
Cela ne signifie pas que les plus modestes sont des laissés pour compte: Ils ont la possibilité d'évoluer mais à la condition de se prendre en main en toute responsabilité pour se former via des formations internes en entreprise ou à l'extérieur dans des écoles dites "de seconde chance". En revanche, les parasites sont exclus et c'est normal. On ne les prend pas en charge.
Toutes les structures de la Gauche sont interdites, c'est normal et légitime car outre qu'elles sont cosmopolites donc représentent un danger pour l'existence même du Peuple, via leurs positions collectivistes elles prônent un système qui vole aux uns (pas seulement aux "très riches") pour redistribuer aux autres (notamment aux parasites tout en conservant une bonne partie du butin pour la "Nomenklatura").
Rédigé par : RR | dimanche 02 jan 2022 à 12:14
Poursuivons (et là je ne parle plus du Chili mais du projet social optimal à construire) à propos de la promotion des classes sociales du bas: L'enseignement est la clé pour s'élever dans la société, Louis-Auguste Blanqui l'avait parfaitement compris et disait qu'on n'arrive à rien sans être instruit.
Dans une société de liberté, des partenariats librement contractés entre entreprises et écoles (privées) doivent être la règle. Et ce à tout niveaux. Les formations longues doivent être d'un prix abordable, possible si le personnel enseignant et non-enseignant est préservé de contraintes fiscales et l'établissement de taxes foncières. Des prêts pourraient éventuellement être accordés par des caisses "corporatives" qui à la différence de ceux octroyés par les banques seraient sans intérêt spéculatif.
Rédigé par : RR | dimanche 02 jan 2022 à 21:56
Fructueuses reconversions sur fond de magouilles, le nouvel éditorial de Bertrand Renouvin:
https://bertrand-renouvin.fr/elites-vendues-elites-a-vendre/#respond
Rédigé par : RR | lundi 03 jan 2022 à 21:12