Votre chroniqueur vous doit sinon des excuses, du moins quelques explications. Depuis cet été, et pour quelques semaines encore, il s'est trouvé, en partie, mobilisé en qualité de garde malade familial. C'est une de ces humbles et tendres tâches les plus bienfaisantes, sinon les plus joyeuses, sur lesquelles se consolident nos foyers.
Il a donc largement délaissé la tâche, quasi quotidienne en temps normal, d'écriture, et, bien plus encore naturellement, de publication sous forme de blogue, de son journal. Qu'on se rassure, l'Insolent reprendra bientôt son flot d'imprécations, sans pour autant prendre parti, sinon contre la gauche et contre la macronie, dans la campagne présidentielle.
Entre-temps, une lectrice fidèle et amicale m'interpelle à propos du phénomène Zemmour sur lequel évidemment je ne me suis pas exprimé à ce jour. Je voudrais en parler sincèrement et objectivement.
Il court à son sujet les informations les plus contradictoires et les plus bruyantes. Les uns le présentent comme une sorte de vieux nationaliste, pétainiste et maurrassien, dernière étiquette qu'il ne récuse pas vraiment, les autres comme l'incarnation d'un communautarisme discret ce qui constitue, en général, l'exact contraire de la première hypothèse. Ayant personnellement épuisé, depuis longtemps, le charme abstrait d'un tel débat, j'ai eu le plaisir de lui poser, en privé, aimablement, la question. "Quand on vous présente comme un épigone de Charles Maurras, que répondez-vous ?" il m'a clairement répondu que cela ne lui disconvenait pas.
Et je retrouve depuis, en effet dans son discours d'autres ambiguïtés, caractéristiques de l'héritage du maître de Martigues. Devra-t-il, ou précisément ne devra-t-il pas, les lever en fonction de la campagne présidentielle de 2022, sachant qu'à l'heure où j'écris ces lignes il n'a pas encore déclaré sa candidature, voilà une question à laquelle lui, et lui seul, répondra.
Certes le matraquage médiatique hostile qui s'est déchaîné contre lui pourrait suffire en lui-même à nous le rendre plutôt sympathique, et ceci bien avant qu'on parle d'une candidature politique. Le sectarisme de gauche et les procès d'intention injustes et incohérents n'ont que trop duré dans les médias. Il existe dès lors une frange grandissante de l'opinion qui, à l'instar de ce qui se passait en URSS et dans tous les pays de l'Est, s'est habituée à l'idée que ce qui est dit noir sur la télévision officielle, est en réalité blanc, et réciproquement.
Or, à la différence du système totalitaire communiste, nos sociétés laissent une certaine marge de liberté d'opinion : les chaînes d'info en continue, les réseaux sociaux et d'autres moyens d'expression, concédés au secteur privé, permettent de contrebalancer, dans une partie au moins du public mécontent, ce qui est ressenti comme mensonge d'État. C'est largement ce qui s'est passé avec Zemmour sur Cnews, propriété je crois du groupe Bolloré, et ce qui a permis son succès foudroyant.
Reste que pour prétendre gouverner la France, avec l'assentiment populaire, il devient indispensable d'en dire plus.
Le discours prononcé par l'intéressé au palais des Congrès de Lille ce 2 octobre marque à cet égard un tournant.
Or, s'il aborde pour la première fois certaines orientations économiques et sociales de son éventuelle candidature, il demeure enfermé dans un pragmatisme empirique qui caractérisait déjà la pensée de son quasi-maître Maurras.
Celui-ci, reconnaissait en théorie l'importance des questions économiques et sociales, mais il les enfermait dans sa fameuse formule du "politique d'abord". Ce mot d'ordre passe partout, en effet, postule le préalable de la restauration des institutions. Et il ne s'agit pas de n'importe lesquelles : la monarchie héréditaire, traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée. Après on verra. Tout le brillant de cette doctrine a passionné la droite littéraire, estudiantine, intellectuelle, en gros de 1899 à 1934, date à laquelle on s'est rendu compte que cela ne résout rien. Et, curieusement pour des doctrinaires, cela les avait dispensé de prendre connaissance d'auteurs comme Proudhon, comme Bastiat, comme La Tour du Pin. De ce dernier, pourtant si clairement et fidèlement royaliste, quand on demandait à Maurras s'il était de l'Action française, le Martégal répondait par une pirouette que c'était l'Action française qui était de Monsieur de La Tour du Pin...
Un de ses disciples, un ami intelligent de ma jeunesse qui s'est dévoué toute sa vie au service du Prétendant, m'avait résumé fièrement cette forme particulière de ce que les maurrassiens, à la suite d'Auguste Comte, ont toujours appelé empirisme organisateur : "notre doctrine économique consiste à ne pas en avoir".
Or, de Zemmour après son discours de Lille, s'il dit des choses plus sensées et mieux informées que Melle Le Pen, si nous savons sans doute que rien ne le distingue des formules que propose Mme Pécresse, telles que l'abolition des impôts de production, et quelques autres petits mots d'ordre gentiment patronaux qui ne mangent pas de pain, nous ne savons absolument rien des lignes directrices de sa pensée économique.
Sans reprendre la lettre des remarques de Laurent Berger et de la direction de la CFDT, les mesures dites "paramétriques" – sur l'âge de la retraite ou sur la durée du temps de travail – ne suffiront pas à redresser la France, si l'on ne s'attaque pas à la réforme sociale, en profondeur, celle à laquelle le véritable fondateur de la sociologie Frédéric Le Play a consacré sa vie et son œuvre.
Autre point commun entre Z et Maurras, la germanophobie me semble, du simple point de vue du destin national français, qu'ils entendent défendre, éminemment suspecte, en notre temps plus encore qu'au XXe siècle. Même en littérature et en philosophie, sans parler de la musique, nous restons tributaires de ceux que Maurras lui-même concéda de considérer comme "quelques grands Germains candidats à la civilisation". Cette formule, dont certes la condescendance pourrait paraître odieuse, mériterait à elle seule réflexion. Tout peuple, en effet, comprend une part de tourbe ; et l'Histoire de France vaut elle-même par quelques grandes figures, saint Vincent de Paul plus que Landru, La Rochejaquelein plus que les innombrables Thénardier et autre Jourdan-Coupe tête. La patrie de Bach, de Beethoven, de Nietzsche, de Max Planck et même de Hegel, et de tant d'autres, ne saurait être tenue pour "candidate" à la civilisation, elle fait partie du jury, elle pourrait même souvent le présider.
Il va bientôt falloir, pour la France et pour l'Europe, trancher dans le vif ou mourir et notamment réduire les dépenses publiques inutiles, abolir les déficits, renoncer au fiscalisme et donc aux subventions de l'économie mixte. Trancher dans le vif cela veut dire qu'en économie on doit s'éloigner autant de la technocratie et de la bureaucratie que du marxisme et chercher des solutions véritables de libération des énergies créatrices. Si nous ne les cherchons pas elles ne viendront pas. Si nous les cherchons nous les trouverons.
JG Malliarakis
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"contrebalancer, dans une partie au moins du public mécontent, ce qui ressenti comme mensonge d'État. " Exactement. Comme quoi quand une propagande devient excessive, lourdaude, omniprésente (France Inter), il suffit d'un seul (au cerveau structuré, certes) pour montrer à quel point le roi est nu.
Rédigé par : Andy Vaujambon | vendredi 08 oct 2021 à 10:14
Un style soigné. J'aime à lire.
Rédigé par : minvielle | vendredi 08 oct 2021 à 10:24
Assez d'accord avec cette analyse.
Comme vous le précisez, le "modèle" maurrassien est inséparable de l'instauration d'une monarchie traditionnelle. Illusoire (lire Bertrand Renouvin). Rien à voir avec Zemmour.
Pour ce qui est de la question économique et sociale, comme hélas tout le monde (sauf un peu moins Laurent Wauquiez), il reste dans le dirigisme (inséparable du fiscalisme et de l'étatisme forcené), un espèce de néo-colbertisme (alors que Colbert comme l'avait démontré Guillaume Faye a été une catastrophe pour la France). Reconnaissons-lui tout de même une esquisse de libéralisme mais nous sommes très loin de la véritable solution salutaire, celle de la démocratie économique que prônait le Front national (1972-1990).
Reste la question migratoire.
Rédigé par : RR | vendredi 08 oct 2021 à 12:09
Cette analyse présente un angle très intéressant, et peut en effet expliquer le flou (le vide ?) qui entoure la pensée de Z en économie. Mais, davantage encore que l’influence maurassienne, c’est tout simplement le manque d’appétence, (voire un désintérêt complet) pour les questions économiques, qui explique cette atonie. Cette faiblesse dépasse le cadre strict du maurrassisme. Z est un romantique. Pas un technicien. Sa pensée infuse depuis des années dans l’Histoire et dans la Littérature. Les racines de son discours puisent leur nutriment dans le roman national, où se mêlent par excellence Histoire et Littérature, où Saint-Louis serre la main des soldats de l’An II, où Pétain et De Gaulle tombent dans les bras l’un de l’autre et s’échangent leur képi, où héros et bourreaux fraternisent au service de la grandeur du Pays. C’est un royaume de l’imaginaire où « l’en même temps », cher à Macron, finit toujours par triompher. Le souffle de Z puise sa force dans les mythologies. Pas dans les sciences. Normal pour un romantique. Pour lui, le verbe suffit à forcer l’entrée de tous les champs du possible. Les réalités s’ordonneront d’elles-mêmes à la puissance du discours et à la volonté qui les sous-tend. « L’intendance suivra ! » proclame-t-on déjà. Pourquoi perdrait-on son temps à des détails opérationnels ? A des préoccupations vulgaires ? Le sac de nœuds français se dénouera comme par enchantement. En somme, on n’est pas loin de la pensée magique. C’est beau. Facile. Cela peut même être entraînant en période électorale. Bénéfique jusqu’à un certain point. Il suffit de convaincre. Tout cela présente les caractéristiques d’un gentil miroir aux alouettes. Nul doute que la « droite nationale » ne s’y précipite avec délectation …
Le surgissement du réel avec son cortège de paradoxes et de blocages est une autre affaire …
Mais ne soyons pas pessimistes, rêvons ! Le conteur n’est pas si antipathique !
Rédigé par : David | vendredi 08 oct 2021 à 12:32
J'écoute depuis un bout de temps Zemmour sur cnews et je suis surpris d'entendre les maîtres de mon adolescence cités par lui . Il parle avec intelligence et ose des propos que même moi je n'oserais jamais dire en public . Il y a une raison et vous la connaissez ! Il semble tellement honnête que même Henry de Lesquen se ferait avoir ! J'ai lu la plupart de ses livres mais d'occasions pour éviter de lui donner trop d'argent . J'admire ses propos et son courage mais j'ai un doute ......
Rédigé par : philippe Bouvet | vendredi 08 oct 2021 à 21:27
Eric Zemmour déroule-t-il un plan ? Propagande de notoriété et parrainages, puis programme électoral complet ? Je n'en sais rien, mais pour le moment, il reste dans son couloir étroit de l'identité nationale vs. l'immigration musulmane et cela ne suffira pas à déborder le cercle des fans.
A mesure que vont monter en ligne les programmes des concurrents, qui tous intègrent la question identitaire sous divers noms, un tassement devrait intervenir, puis un reflux (à la Chevènement).
Il est peu probable qu'il tienne l'opinion en haleine sur le registre actuel encore six mois. Et il n'a pas encore de crédibilité dans le domaine économique et financier, sauf du bon sens commun, souvent trompeur en l'affaire.
Rédigé par : Catoneo | samedi 09 oct 2021 à 22:50
@ Catoneo
"(...) les programmes des concurrents, qui tous intègrent la question identitaire sous divers noms"
Tout le monde sait à quoi s'en tenir sur la les concurrents en question. Quand bien même vont-ils proposer des mesures de salut public sur la question migratoire, on sait bien de par les expériences passées qu'en la matière (comme dans tout le reste), ils ne tiennent JAMAIS leurs promesses faites au moment des élections, soit parce qu'ils n'y adhérent pas eux-mêmes soit parce qu'ils sont trop lâches pour les appliquer. Et c'est là une différence fondamentale avec la Gauche qui elle tient ses promesses (dont nous subissons les conséquences).
"(...) il [Zemmour] n'a pas encore de crédibilité dans le domaine économique et financier, sauf du bon sens commun, souvent trompeur en l'affaire."
Qu'il se procure "Droite et démocratie économique" (encore disponible en occasion sur Internet - les deux éditions à l'exception de la préface sont identiques) et "Pour une libération fiscale" disponible ici:
http://www.editions-du-trident.fr/liberationfiscale.htm
et comme dit Jean Robin il montera en compétence.
Rédigé par : RR | dimanche 10 oct 2021 à 11:42
Merci pour cette toujours excellente analyse, un éclairage fort intéressant bien que... prudent ! IL sera candidat, c'est maintenant certain, la seule raison pour laquelle il diffère, c'est pour que les revenus de son livre ne rentre pas dans les comptes de campagne. Autre raison, il calque son calendrier sur celui de Macron et attend que ce dernier se déclare. Le personnage est en effet sypmpathique et a plus de chance de battre Macron que MLP ! Mais est-ce si important cette absence de doctrine économique ? En regard de la Constitution, ce n'est pas le rôle du Président, mais celui du 1er ministre et comme il se présente comme celui qui va rétablir la République corrompue depuis Sarkozy et le non respect du référendum de 2005... Mais oui, il nous reste 6 mois pour voir ce qui va se préciser ! Encore merci pour cette ample réponse.
Rédigé par : Françoise | dimanche 10 oct 2021 à 19:52
@ Françoise
La doctrine économique a une importance qu'on ne peut négliger. Elle peut d'ailleurs avoir des conséquences sur la question migratoire. Le dirigisme, le fiscalisme découragent ceux qui ont un projet autre que d'être assistés, et de fait, beaucoup s'exilent. La France perd ses meilleurs éléments; en revanche elle est attractive pour les volontaires à l'assistanat aux frais bien entendu de ceux qui travaillent.
La politique économique actuelle nous mène à la catastrophe. Et c'est bien pourquoi il convient d'en changer.
Le Premier ministre (sauf en période de cohabitation) s'il conduit la politique du gouvernement, il ne va pas à l'encontre du Président de la République qui l'a nommé.
"(...) rétablir la République corrompue depuis Sarkozy"
Elle l'était déjà bien avant, pour ne pas dire depuis toujours. Sur ce point l'Action française a raison.
Rédigé par : RR | lundi 11 oct 2021 à 11:40
Sur Bertrand et Pécresse, dans l'esprit du Général, le candidat devait démissionner du parti avant de se déclarer candidat ! Seul, à l'époque, le PCF et les autres communistes désignaient un candidat !
Intéressant de rappeler que Bertrand, Pécresse avait d'abord démissionner (pour se conformer à cet esprit du gaullisme ?)... pour ensuite faire comme les cocos !
Mdr, non ! Outre que Pécresse et Bertrand apparaissent comme des girouettes, Z ne peut que les battre !
Rédigé par : Françoise | samedi 16 oct 2021 à 13:44