Si lointains que puissent nous paraître les combats de Kaboul, la re-conquête de l'Afghanistan par les insurgés islamo-terroristes, si elle se confirme ne demeurera, de toute évidence, pas sans conséquences. Le général Petraeus ne s'exprime pas sans références. Ancien chef des forces américaines victorieuses en Irak à l'époque de son commandement (2007-2008), puis en Afghanistan et à la direction de la CIA (2011-2012), il aura sans doute été le plus notable des praticiens occidentaux de la guerre de contre-insurrection, depuis les officiers français, victorieux sur ce terrain, on l'oublie toujours, pendant la guerre d'Algérie, perdue à Paris et non dans le bled.
Or, Petraeus estime publiquement que "le retrait américain d’Afghanistan n’est pas une décision "judicieuse". Et il souligne : "Il fallait garder un engagement minimal pour maintenir la pression sur les groupes extrémistes. Quand vous ne pouvez pas complètement crier victoire, vous devez gérer la situation. C’est ce que nous faisions avec nos 35 000 hommes, nos alliés, nos contractants. Nous n’avions plus de pertes humaines depuis un an et demi même si certains expliquent cela par un accord noué avec les talibans.
Déjà les attaques se multiplient alors que le retrait des forces américaines doit s’achever d’ici au 31 août. Les Occidentaux persistant dans leurs conceptions stratégiques, le chef des opérations militaires américaines en Afghanistan, le général Kenneth McKenzie a déclaré à la fin juillet que les États-Unis poursuivraient leurs frappes contre les talibans, si ceux-ci ne cessaient pas leur offensive. Eh bien ils ne la cessent pas.
Un lieu commun des commentateurs agréés présente la partie de l'antique Bactriane devenue royaume d'Afghanistan pour le tombeau des empires. Beaucoup de conquérants sont passés par là, au fil de l'Histoire, et l'on citera bien sûr Alexandre le Grand. Et comme un autre lieu commun, que nous devons au général De Gaulle après Arthur de Gobineau constate que "les empires sont faits pour se défaire", tous les "hommes qui voulurent être rois" ont fini par quitter le Kafiristan cher à Kipling, et l'ensemble des 34 provinces qui composent aujourd'hui le pays.
Tombeau des empires ? Sans doute si l'on se souvient du cuisant échec des forces soviétiques et si l'on se réfère au modèle naïf défini par Milton Friedman "ce qui s'est produit récemment, se reproduira constamment".
Mais avant tout, ne l'oublions pas : tombeau des Afghans eux-mêmes. Cette guerre tresse le linceul des enfants afghans, des civils afghans, des femmes afghanes et des libertés afghanes, au nom d'une idéologie obscurantiste abominable.
L'étonnante déclaration le 27 juillet du ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, mérite, en parallèle, d'être relevée :"Les talibans sont, dit-il, une force politique et militaire cruciale en Afghanistan" et il "espère les voir jouer un rôle important dans le processus de paix, de réconciliation et de reconstruction en Afghanistan".
Erdogan, aux soldats duquel on a confié la sécurité de l'aéroport de Kaboul, se voyant toujours en chef de file de l'islam mondial, rêve lui aussi de prendre la place des Américains. Ce "cimetière des empires" jalonnera-t-il d'une pierre tombale les ambitions certes impériales de Recep Tayyip Erdogan en Asie centrale ? Dans les changements rapides qui s'opèrent dans le pays avec le retrait des troupes américaines et l'avancée des talibans, la Turquie cherche à jouer le rôle de "médiateur". Cette entreprise, fort risquée, lui procure cependant des avantages politiques temporaires.
Nos démocraties se préoccupent en ce moment de censurer les gouvernements conservateurs d'Europe centrale, mais elles capitulent devant la sauvagerie islamo-terroriste.
Démocratiquement réélu pour un deuxième mandat en 2019, le président afghan, Ashraf Ghani, soulignait le 1er août que les talibans, en 20 ans, "sont devenus encore plus cruels et oppressifs. Ils ne montrent aucune volonté de paix et ne reviendront pas à la table des négociations, à moins que la situation change sur le champ de bataille".
Pendant 20 ans, c'est sans doute, hélas, en partie vainement, que l'occident sous conduite américaine s'est investi dans ce qui était au départ la poursuite des complices des islamo-terroristes du 11 septembre 2001, flétris par les Nations Unies et la totalité des peuples civilisés.
Ceci comprend la France gouvernée, à l'époque, par le tandem Chirac-Jospin.
Nicolas Sarkozy par la suite avait porté l'effectif du contingent français, entre son élection au printemps 2007 et la fin 2009, de 1 000 à 4 000 hommes. En 2011, il prenait, après la mort d'Oussama ben Laden, la décision de les retirer progressivement. En 2012, il annonçait leur retour intégral en France dès 2014. Le nombre des soldats français tombés dans cet engagement s'élevait alors à 82 en un peu plus de 10 ans. Les alliés de la coalition déploraient de leur côté plus de 2 880 morts, dont 1 880 Américains et 395 Britanniques.
Le commentaire du Point[20 janvier 2012], mérite d'être repris :
"Ou bien la politique suivie par Nicolas Sarkozy en Afghanistan est bonne, comme il le dit haut et fort depuis 2007, et alors il doit la conduire selon les engagements pris envers ses alliés. Ou bien elle est mauvaise, et la France, engagée avec des dizaines de pays dans une coalition, doit faire changer la position de cette dernière. Mais un retrait unilatéral sous le coup de l'émotion et de la campagne électorale réunies n'aurait aucun sens."
La vérité est que la guerre est une affaire politique, et que celle-ci prolonge l'affrontement que nous connaissons dans l'Hexagone et qui se prolonge au Sahel. Toute capitulation de l'occident est une défaite de la France et de l'Europe.
JG Malliarakis
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Et quand on regarde la carte de l'Afghanistan, vu l'importance de sas frontière avec l'Iran, cette dictature islamiste se sentira vite chez elle dans ce pays. Idem avec le Pakistan. Si on avait entendu des politiciens comme Madelin qui prônait l'aide militaire au commandant Massoud en lutte contre les talibans, on en serait pas là et l'Afghanistan aurait réglé leurs problèmes entre eux, sans que l'occident s'y enlise, chose prévisible.
Rédigé par : Laurent Worms | mercredi 04 août 2021 à 12:33
Peut-être que c'était une erreur de la part des Américains de se désengager d'Afghanistan. Mais ils l'ont fait. Dans ces conditions c'est un peu vain de prêcher le maintien d'un engagement de la France dans ce pays. Que pourraient y faire les Français tous seuls?
Et ce qui est sûr, c'est qu'on ne saurait reprocher au ministre des affaires étrangères chinois de tenter de s'entendre avec les Talibans. Que peut-il faire d'autre, en politique réaliste, que de s'entendre avec ceux qui exercent effectivement le pouvoir dans ce pays stratégiquement si important, qu'on le veuille ou non ?
Je pense que les Chinois sont très heureux de voir les talons aux Yankees, et je les comprends. La présence US là bas était une menace pour la Chine, car la manie des Yankees a toujours été de déstabiliser le Sinkiang. Ils utilisaient l'islamisme dans ce but.
Étant donné que les Américains sont dans les choux et que ni les British ni les Français ne peuvent les remplacer en Asie centrale, il me semble qu'on devrait en prendre son parti et constater que les intrusions anglo-américaines dans cette région du monde appartiennent au passé. Si on a la nostalgie du 'Grand Jeu', on peut lire les romans de Kipling qui en parlent. Ils sont très beaux.
Désormais l'Asie centrale doit devenir une grande zone de prospérité sous la houlette chinoise, un peu russe et un peu iranienne. Ca s'appelle la route de la soie, et ça existait déjà du temps de l'empire romain.
Je propose une diplomatie consistant à accepter le retour à un équilibre régional conforme à la nature des choses géopolitique de ces contrées. Et dans ce nouvel espace commercial pacifié, qui peut devenir un marché immense, négocier des avantages commerciaux pour les entreprises françaises, allemandes, suisses, européennes en général...
Petite réponse
"Que pourraient y faire les Français tous seuls?" La question qui s'est posée sous Sarkozy était exactement l'inverse. Sarkozy a décidé seul de s'en aller, plusieurs années avant les autres alliés, ce qui a beaucoup choqué par exemple Angela Merkel. "Nous sommes venus ensemble, nous ne partirons qu'ensemble" disait-elle à l'époque.
Rédigé par : Helveticus | samedi 07 août 2021 à 22:30
Après vingt ans de "pacification", avec des résultats probants quand même pour les libertés individuelles, l'Afghanistan s'avère ingouvernable, sauf dans la capitale et dans certaines métropoles régionales. La question est : jusqu'à quand devrons-nous nous battre, nous, en lieu et place des Afghans pour forcer une paix par les armes sachant qu'il n'y a aucune alternative (négociation, développement etc)?
La grille ethnique en province semble se superposer à tout autre dispositif et l'arme des insurgés est celle de la terreur. Finalement, cette guerre civile n'est pas gérable par le format d'intervention occidental et l'intuition de Trump était la bonne : que fait-on encore là ?
Petraus veut-il y rester jusqu'en 2050 ?
Rédigé par : Catoneo | lundi 09 août 2021 à 10:33
Je suis d'accord que Sarkozy a eu tort de s'en aller d'Afghanistan alors qu'elle y était aux côtés des Américains et des Allemands. Ca n'était pas de jeu. Mais que peut on attendre d'un voyou politique pareil, qui a été capable de mettre à feu et à sang la Libye, faisant même assassiner le colonel Kadhafi grâce auquel il s'était personnellement enrichi de manière scandaleuse?
D'ailleurs je ne savais même pas que Sarkozy avait fait ce coup tordu là. Je voulais simplement dire que dans la situation présente où les Américains se sont débinés, je vois mal ce que la France pourrait faire d'utile en Afghanistan.
Ca doit être un réflexe suisse : "ne nous mêlons pas des querelles des grands". La France a encore des réflexes de grande puissance qui s'imagine qu'elle doit, et peut jouer un rôle. Mais la France est tombée bien bas, elle aurait avantage à se contenter d'ambitions modestes.
Après avoir lu cet article de J.-G. Malliarakis, je me suis un peu documenté. Il semble que la situation soit plus nuancée que je le pensais. Il y a peut-être place pour une influence diplomatique européenne en Afghanistan, mais à condition de jouer très fin.
De toute façon, même l'Union Européenne devrait être modeste. Elle est inapte à mener une grande politique où que ce soit, et dans des pays pareils, il vaut mmieux laisser les Chinois, les Pakistanais, les Russes et les Iraniens tenter de s'arranger entre eux. C'est déjà assez compliqué comme ça... l'Europe, combien de divisions? Et avons nous des intérêts vitaux là bas?
Pourquoi ne pas faire une politique d'amitié avec la Chine, puissance pacifique qui cherche avant tout la stabilité et le développement de son commerce. Il me paraîtrait plus judicieux pour un pays comme la France, de commercer avec la Chine et prendre des parts de marché dans cette région d'Asie centrale, grâce précisément à la bonne entente avec la Chine.
Je suis sans doute trop suisse et utilitaire.
Rédigé par : Helveticus | samedi 14 août 2021 à 03:26