Dans les supermarchés les plus ordinaires, on trouve désormais du lait sans lactose. Il faut sans doute y voir le signe supplémentaire d'un temps où le plan Juppé a programmé une médecine sans médecins, où les technocrates imaginent une industrie sans industriels et où les écologistes cherchent à imposer une agriculture sans agriculteurs.
Ne nous étonnons pas par conséquent si la même coalition gouvernante, composée des ex-juppéistes, des néo-technocrates et des gaucho-écolos s'investit depuis quelques jours dans la création, par la censure des opinions, d'une armée sans militaires. Plus précisément, aux yeux de nos bobos moralistes, on autorise généreusement les soldats à exécuter les missions à balles réelles, dont les politiciens se gardent bien de les exécuter eux-même, mais à la condition de mourir en silence.
Votre chroniqueur ne se reconnaît aucune compétence pour concurrencer les nombreuses plumes qui, depuis la parution de leur tribune du 21 avril, s'efforcent de soutenir les dizaines de généraux, d'officiers supérieurs et de vieux soldats, qui ont manifesté l'audace, appartenant désormais au cadre de réserve, de défendre par l'écrit un pays qu'ils ont servi leur vie durant, au prix de leur sang. La majorité des citoyens approuvent d'ailleurs leur position.
La chronologie mérite donc d'être rappelée.
Ce n'est que le 25 avril, que Florence Parly, ministre des Armées, habituellement plus pertinente et mieux inspirée, évoque la possibilité de sanctions car elles sont réclamées depuis les jours précédents par l'aile gauche de la Macronie et par Mélenchon.
Nicolas Beytout le 26 avril dans son journal L'Opinion, certes moins à gauche que Le Monde ou Mediapart, puisqu'il se définit comme pro-business, parle d'un "ramassis des élucubrations d’un groupe de vieux barbons, retraités nostalgiques de l’armée et galonnés impudents." [1]
Le 27 avril commence à circuler dans les salles de rédaction, la première page du Canard enchaîné. Datée du lendemain, celle-ci titre dans sa tradition séculaire d'antimilitarisme et de calembours douteux : "Des militaires à la retraite appellent à l'insurrection. Une vraie tentative de coup d'Ehpad ?"
Ce n'est que le 28 avril que le chef d'État-major des armées, le général Lecointre se croit obligé d'annoncer la réunion d'un conseil militaire, le président de la république étant seul habilité à prendre des sanctions. Le général Piquemal lui adressera une réponse cinglante.
Le 30 avril dans Valeurs Actuelles, leur talentueux et courageux défenseur Gilles-William Goldnadel pouvait lui-même souligner combien il était "fier à double titre. D’abord, comme avocat, pour avoir été choisi par Jean-Pierre Fabre-Bernadac et quelques autres de ses frères d’armes, signataires d’une tribune qui a déchaîné les passions les plus malhonnêtes ou névrotiques. Ensuite, comme chroniqueur, d’appartenir à l’équipe d’un journal qui a publié cet appel à la résistance. Car je mets au défi qui que ce soit de me mettre sous les yeux une seule phrase, un seul mot, la moindre ponctuation qui puisse laisser à penser que le texte incriminé fut un appel au putsch ou à la délation."
Nul besoin, pour cet excellent juriste, que votre serviteur, lecteur profane du Code de la Défense, lui rappelle un article qu'oublient peut-être, cependant, certains des lecteurs de L'Insolent. L'article 4121 organise le principe selon lequel "Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens (...)". (Article L4121-1 entré en vigueur en 2007) avec certaines restrictions qu'on assimile à tort à un "devoir de réserve". Ainsi "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression." (Article L4121-2) etc.
Autrement dit, aucune base légale ne devrait permettre honnêtement de condamner vraiment la tribune des généraux du cadre de réserve et de prendre aucune sanction à leur encontre.
Mais le vrai danger qui s'annonce est celui du fichage des opinions et des votes. Sur ce terrain s'engage Le Monde. Le journal prétend ainsi que 40 % des militaires et de leurs familles votent pour un parti protestataire avec lequel il est inconvenant, depuis plus de 20 ans, de prétendre s'allier.[2] Or, une telle estimation se fonde sur les votes de villages proches de garnisons telles que Mourmelon, etc. Si les mêmes persécuteurs et censeurs prenaient la peine de regarder en général les votes de la France dite périphérique en général des villages très éloignés de toute implantation militaire ils découvriraient sans doute des pourcentages couramment analogues dans de très nombreuses petites communes de la France profonde. Et d'ailleurs si nos politologues s'intéressaient aux votes des familles des forces de l'ordre, policiers, gendarmes, administration pénitentiaire et jusqu'aux pompiers, qui n'acceptent pas d'être caillasses dans les banlieues, ce n'est pas 40 % mais jusqu'à 70 % qui leur déplairaient.
C'est très exactement l'affaire des fiches qui recommence. J'ignore si le grand orient se trouve à la manœuvre comme il le fut dans l'affaire des fiches, qui révélée en plein parlement en 1904, éclaboussa le régime persécuteur anticlérical de l'affreux radical socialiste Émile Combes.
Jalonnée de scandales, comme celle de la plupart des peuples, l'histoire de France compte, bien entendu, nombre d'épisodes honteux. Leurs souvenirs ont été engloutis dans une mémoire collective défaillante, un roman national mensonger et une ignorance envahissante.
Certains d'entre eux continuent cependant de hanter discrètement les secrets de l'État et de recommencer leur marche funèbre, parfois sordide. Cette ancienne affaire mérite donc d'être rappelée, car elle porta un coup terrible à l'armée française au commencement de la Première guerre mondiale ; elle porte la responsabilité de dizaines de milliers de morts, victimes de l'incompétence des protégés de la gauche radicale socialiste dans les États-majors républicains, épurés dans ce contexte des éléments suspects de cléricalisme, de nationalisme ou de royalisme.
À l'heure où il est "urgent d’investir dans la matière grise des militaires"[3], les gens qui prétendent leur interdire de s'exprimer, de réfléchir et même probablement d'avoir une opinion font un métier vieux comme le monde, qui s'appelle la trahison.
JG Malliarakis
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À lire en relation avec cette chronique
"L'Affaire des Fiches par Jean Bidegain"
Apostilles
[1] cf. son éditorial "Ce que cachent les délires de galonnés nostalgiques."
[2] cf. article signé Franck Johannes "Quatre militaires sur dix votent pour l’extrême droite"
[3] cf. à ce sujet la très intéressante contribution du capitaine de corvette Mailly téléchargeable sur le site de l'Association de soutien à l'armée française.
Excellente conclusion mon cher Jean-Gilles !
Finalement, francs-maçons, marxistes, trotskystes, islamistes même combat, détruire la France, la Mère Patrie
Rédigé par : Jean DIonnot-Enkiri | mardi 04 mai 2021 à 23:03
Magnifique texte qui remet les choses en place, merci.
Rédigé par : Colette Agnel | mercredi 05 mai 2021 à 06:46
Oui cet affaire fut la conséquence direct de l'affaire Dreyfus qu'avait permis aux Radsocs de venir au pouvoir avec un léger majorité et bien entendu la séparation de l'église et de l'état l'année suivant. Aujourd'hui99,9% croit Alfred innocent. Ne vous étonnez pas que l'armée est castré et dirigé par la politique comme la médecine dont on voit le résultat .Seul un chef d'état issu de la caste militaire comme De gaule peut nous sortir de ce souk qu'est devenu la France
Rédigé par : Carel Wijngaards | mercredi 05 mai 2021 à 09:30
En désaccord total avec vous sur cette affaire.
1. Rien à voir avec l'affaire des fiches. Le commentaire est libre, et même un journal comme Le Monde a droit à la liberté d'expression. Il est parfaitement légitime pour des journalistes d'analyser le vote de telle ou telle catégorie de la population.
Dans l'affaire des fiches, c'est le ministère de la Guerre qui a écarté les soldats catholiques des promotions.
2. Goldnadel dit beaucoup de choses vraies, et il dit aussi des sottises. Son "défi" est de la gesticulation d'avocaillon, et il le sait. Le passage qui appelle au coup d'Etat est le suivant :
"Par contre, si rien n'est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant, au final une explosion et l'intervention de nos camarades d'active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national."
3. Le devoir de réserve existe bel et bien, et c'est heureux. Les plus hautes autorités militaires ont rappelé son existence. C'est en vertu de cette loi que le Conseil d'Etat, juridiction ultime en la matière, a radié le général Piquemal suite à sa participation à une manifestation anti-gouvernementale.
Son jugement a aussi rappelé que les officiers en "deuxième section", malgré les allégations diffusées à ce sujet, sont eux aussi soumis à ce devoir de réserve.
Les officiers bénéficiant de ce statut, retraités sans l'être, sont nombreux parmi les signataires de la pétition -- et plus généralement parmi les officiers supérieurs faisant de l'agitation politique.
De l'agitation politique communiste et pro-russe, bien souvent, il faut le souligner, ce qui est un scandale.
4. Cette pétition intolérable, factieuse et grotesque est une manifestation supplémentaire de l'incapacité française à la liberté et à la démocratie. C'est un épisode de plus dans la longue liste des coups d'Etat et des révolutions qui jalonnent l'histoire de la France.
Elle entretient les bases illégitimes du pouvoir français, la fascination malsaine pour l'homme providentiel, de préférence un militaire, la sombre jouissance de la loi du plus fort purifiant le pays.
Dans la droite ligne de l'arnaque gaulliste, l'homme qui n'est jamais arrivé au pouvoir que par la force militaire, en 1944 comme en 1958.
5. C'est pourquoi cet autre passage de la pétition est inadmissible :
"Alors, Mesdames, Messieurs, assez d'atermoiements, l'heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation."
Des militaires n'ont pas à se coaliser pour soutenir telle ou telle politique. Cela est contraire à leur mission. Celle-ci consiste à la boucler et à obéir aux autorités civiles élues.
Dans tout autre cas de figure, nous sommes dans une république bananière d'Amérique latine. Le fantasme gaulliste fait oublier que la neutralité politique des militaires est une condition sine qua non de la démocratie.
Pendant qu'une bande de soldats félons menacent le pays d'un coup d'Etat en France, voyons quelle a été, récemment, la prise de position collective des officiers américains. Elle fut directement à l'opposé.
Alors que Donald Trump envisageait ouvertement un coup d'Etat militaire pour conserver le pouvoir, malgré son échec électoral, de nombreux officiers supérieurs ont pris la parole pour dire que jamais, jamais, l'armée américaine ne se ferait complice d'une telle forfaiture.
Même le chef d'Etat-major nommé par Trump, son plus haut conseiller pour les affaires militaires, a pris la parole pour rappeler qu'un soldat américain ne prêtait pas serment à tel ou tel président, mais à la constitution.
Voilà à quoi ressemble l'attitude d'un soldat dans une démocratie.
6. Dans toutes ces affaires d'agitation politique et de subversion menées par des officiers supérieurs, ces derniers, immanquablement, font partie de la "deuxième section".
Cette institution date de... Napoléon. Elle a été instaurée en 1839, suite aux guerres napoléoniennes. Le but était d'avoir des généraux sous la main en cas de nouvelle guerre. Résultat : ce corps de généraux retraités mais pas retraités.
C'est un statut unique au monde, complètement obsolète et parfaitement inutile. Même des associations de défense des militaires réclament sa suppression. En 2013, un groupe d'officiers (prudemment anonymes) dénonçait l'existence de pas moins de... 5 500 généraux qui ne servent à rien, et bénéficient de ce statut.
Pendant qu'ils sont très grassement payés à ne rien faire, ils s'occupent en faisant de l'agitation politique et de la subversion.
C'est l'une des manifestations de l'extraordinaire pourriture de la fonction publique française, obèse, indéboulonnable, toute-puissante, qui mène le pouvoir politique, seul légitime, par le bout du nez.
Quelques articles à ce sujet :
https://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/larmee-francaise-t-elle-trop-de-generaux
https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/la-solde-de-reserve-des-officiers-generaux-de-la-2eme-section-un-regime
https://www.droitdesmilitaires.fr/922
https://www.francetvinfo.fr/politique/armee-des-officiers-en-colere-denoncent-le-trop-plein-de-generaux_1647565.html
https://www.francetvinfo.fr/france/nous-jeunes-officiers-sommes-inquiets-des-gaspillages-et-des-coupes-budgetaires-commis-au-detriment-de-la-capacite-operationnelle_274895.html
https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20090704.RUE1339/comment-l-armee-francaise-soigne-ses-tres-chers-generaux.html
Rédigé par : Robert Marchenoir | mercredi 05 mai 2021 à 14:13
La radiation des généraux par Florence Parly (et évidemment Macron à la place de qui elle parle) ne fait finalement pas mieux qu'Erdogan avec sa purge des généraux laïques et kemalistes. La dictature se renforce ! Loin de ressembler aux putchistes d'Alger de 1961, ces 2 étoiles en rappelent plutôt un autre... de 6/1940
Rédigé par : Françoise de Savigny | jeudi 06 mai 2021 à 19:17