Consacré à la pseudo-suppression de l'ENA, qui risque de renforcer la puissance et surtout la nocivité de nos technocrates, L'Insolent du 13 avril [1] a suscité d'intéressantes réactions privées, auxquelles il paraît utile de répondre, au fil de plusieurs chroniques.
Première question : l'histoire de la conquête du pouvoir par ce phénomène que nous appelons technocratie et qu'on appelait dans les années 1940, la synarchie.
Beaucoup de fantasmes ont été agités à ce sujet. Le fait troublant semble que trois étapes, apparemment très contrastées aient favorisé la genèse de ce règne de fait. Ceci s'est réalisé en marge de toute procédure démocratique, à la faveur de remous, certes différents de ceux de notre époque, mais dont on pourrait explorer le parallèle : le gouvernement Léon Blum en 1936, et plus encore celui de Chautemps qui lui succéda en 1937 ; puis le gouvernement Darlan en 1941 ; et enfin la période de la Libération, marqué une épuration propice de la haute fonction publique.
Une personnalité significative : celle de Charles Spinasse. Il fut successivement député socialiste SFIO et, sous le front populaire, le ministre de l'Économie nationale qui signa, avec les syndicalistes de la CGT, les accords Matignon. Entre 1940 et 1944, imperturbable, il proclame son appui à la politique du maréchal Pétain, et après lui avoir voté les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940, il édite la revue "républicaine" et "laïque" L'Atelier. Après la guerre il redeviendra maire de la charmante commune d'Egletons en Corrèze, où un certain Jacques Chirac fondera en 1977, le RPR.
On a pu parler de synarchie, c'est-à-dire de "gouvernement par l'accord de plusieurs maîtres".
Les situations dominées par la peur se révèlent particulièrement propices à la mise en place de ce type de régime où les citoyens pensent évidemment plus à leur santé ou à leur survie alimentaire qu'au destin du bien commun et à la sauvegarde de leurs libertés.
De telles périodes permettent tout : y compris la prise du pouvoir par des amateurs. Jacques Attali il y a quelques années allait jusqu'à écrire[2] : "L'Histoire nous apprend que l'humanité n'évolue significativement que lorsqu'elle a vraiment peur".
L'anonymat dans lequel s'enferment les puissants de nos sociétés prétendument démocratiques ouvre donc, plus ou moins légitimement, un espace immense à tous les cauchemars conspirationnistes. Déjà en 1738, par la bulle In Eminenti apostolatus specula, le pape Clément XII fulminait à l'encontre de la franc-maçonnerie, pourtant bien différente alors de ce qu'elle devenue, notamment en France depuis 1877[3], beaucoup moins pour le contenu de ses [dérisoires] secrets ["l'ultime secret c'est qu'il n'y a pas de secret"] mais en tant que puissance occulte. "S’ils ne faisaient point de mal, considérait cet excellent pontife, ils ne haïraient pas ainsi la lumière".
La recherche au grand jour de la vérité historique devient donc essentielle, si l'on veut distinguer le vrai du faux, ce qui amène les bons esprits à proclamer aussi que "lutter contre la désinformation suppose de se plier à un devoir de transparence, de toujours agir conformément à ce que l’on serait capable d’assumer publiquement" etc.[4]
En 1968, un esprit aussi brillant, indépendant et informé qu'Emmanuel Berl avait été ainsi appelé, par les éditions Gallimard, à consacrer un livre, – très recommandable empressons-nous de le souligner, – à la fin de la troisième république. Il avait connu de près le détail des événements tragiques de 1940, ainsi que les protagonistes français, et il se trouvait sans doute l'auteur le plus approprié pour parler du sujet.
Or, il fait remarquer dans sa préface :
"Le prestige du mot 'histoire' est devenu… si grand que chacun veut, à toute force, l'employer, même là où le mot plus modeste de 'chronique' serait assurément plus juste. On en est au point de proclamer 'historique' un événement avant même qu'il se soit produit.
"Beaucoup plus soucieux de l'histoire que la plupart des civilisations antérieures, le monde moderne la fournit avec une abondance que les historiens passés n'eussent pas même rêvée. Mais plus il lui attache de prix, plus il travaille à la fausser".[5]
Quant à nous, au contraire, essayons de contribuer à la rectifier.
(à suivre)
JG Malliarakis
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Apostilles
[1] cf. "L'ENA sur la sellette"
[2] Dans son blog sur le site de L'Express en date du 3 mai 2009.
[3] Date à laquelle le grand-orient de France a répudié la référence au "grand architecte de l'univers" c'est-à-dire à l'existence de Dieu.
[4] cf. l'article d'Erwann Menthéour et Emmanuel Rivière dans L'Opiniondu 14 avril 2021 "Contre le complotisme et la désinformation dans nos démocraties, l’exigence de vérité"
[5]E. Berl "La Fin de la IIIe république"Gallimard, 1968, p. 8
Citons "La nomenklatura francaise" de WICKHAM Alexandre & COIGNARD Sophie
Rédigé par : Françoise de Savigny | vendredi 16 avr 2021 à 01:31