En cette belle lune rousse de printemps, les fantômes et les vampires viennent hanter les cimetières.
Les optimistes se plaisaient à penser que les succubes des illusions idéologiques planistes ne devraient plus jamais tourmenter la France.
Guaino avait quitté la dernière version, chiraquienne, du commissariat au Plan en 1998, et l'institution elle-même avait disparu en 2006.
Hélas, fréquenter les cimetières ne messied pas aux modes surannées des années 1930, admiratives du premier plan quinquennal soviétique de 1929. Ne tient-on pas Rocard, chantre de la planification démocratique et de l'autogestion pour un grand homme ? Depuis sa disparition pourtant l'air semblait plus pur.
La nomination de François Bayrou en septembre 2020, à la tête d'un organisme remontant à 1946, et disparu depuis 14 ans, pouvait paraître une galéjade ou un gadget.
On imaginait vaguement qu'il s'agissait là seulement d'une satisfaction symbolique concédée au chef du MODEM. Sans l'appoint, en effet, de ce parti, 58 députés sur 577, le groupe macronien LREM, n'en comptant plus à ce jour que 269, ne dispose plus de la majorité parlementaire.
Reconnaissons cependant, au moins, un mérite à notre sympathique maire de Pau. Quand il fut ministre de l'Éducation pendant 4 ans, sous Balladur de 1993 à 1995, puis sous le gouvernement Juppé jusqu'en 1997, il n'avait pas fait grand-chose, hormis de soutenir l'idée typiquement socialiste du Manuel Unique, très lourd dans les petits cartables, et d'écouter courtoisement la secrétaire générale marxiste de la FSU la camarade Vuaillat.
Il semblait donc l'homme le plus approprié à la tête du Plan.
Eh bien les optimistes peuvent se tromper. En Union soviétique l'administration du Gosplan datait de 1921, et ce n'est que quelques années plus tard, en octobre 1928 que Staline impose le premier plan quinquennal, Piatiletka. C'est ce programme qui, par la priorité que le stalinisme accordait à l'industrie lourde et par un financement que les marxistes appellent accumulation socialiste primitive[1] – au détriment de la paysannerie – supposait la collectivisation des terres et entraîna la famine des années 1930 en URSS et particulièrement en Ukraine, que les historiens appellent Holodomor.[2]
C'est au Conseil économique, social et environnemental, le 22 septembre, que le commissaire fraîchement nommé, définit sa ligne d'action. À lire honnêtement ce texte, très long, on découvre que cet excellent agrégé d'Histoire, qui écrit lui-même ses livres, non seulement n'a guère fréquenté la pensée économique[3], - mais aussi qu'il confond planification et prospective.
Il suggère ainsi l'adoption de ce qu'il appelle un "plan Marshall". Cette expression, d'usage courant et irritant de nos jours, escamote le fait que ce programme de reconstruction de l'Europe, consécutif à la Seconde guerre mondiale, défini et encadré par les États-Unis au gré de la fondation de l'OECE[4] reposait alors sur des financements américains. Nous n'en sommes plus là.
Autre flatterie fort dangereuse : il souligne la concomitance de la création du Commissariat au plan, confié par la Quatrième république naissante à Jean Monnet, et de celle du Conseil économique et social, lequel ne s'était pas encore alourdi de l'épithète ridicule d'environnemental. Et cette assemblée de notables désignés par décret, voiture-balai de la classe politique et des bureaucraties syndicales, risque ainsi de devenir le creuset de la planification technocratique du futur. Prions Dieu qu'il nous en préserve ! Hélas le processus a pris son essor. Déjà, ce 21 février, a été voté, par cet ersatz de 3e assemblée, un texte appelé avis sur les "financements des investissements nécessaires pour l’avenir" où le CESE prétend se référer à la nécessité d’un "État stratège et planificateur". Or, jamais la haute administration centralisée, et encore moins les politiciens, n'ont su ni prédire l’avenir, ni allouer de façon pertinente l’argent public.
Ah, certes, si l'on adopte le point de vue du retour du planisme, la Chine communiste dispose de quelques longueurs d'avance.
Dès 2014, Pékin se préoccupe de faire face à la suprématie étrangère, sud-coréenne, américaine, et surtout taïwanaise dans le domaine capital des puces électroniques. Est alors adopté un plan Made in China 2025, d'inspiration protectionniste, qui fixait alors comme objectif de produire localement 70 % des puces consommées en Chine. Des fonds importants, à hauteur de 140 milliards de yuans y furent programmés. Mais l'échec se mesure au fait que la part de la production locale de puces est passée de 15,1 % en 2014 à moins de 16 % en 2020. D'autre part, les processeurs de Chine continentale restent très inférieurs à leurs concurrents qui, depuis les années 1980, caracolent avec plusieurs années d'avance. La raison en est, et elle demeure, que dans ce secteur, à la fois hautement stratégique et complexe[5], deux ingrédients restent indispensables : les fonds investis, dont le gouvernement de Pékin croit faussement pouvoir disposer de manière illimitée, mais aussi les talents et les techniciens. C'est sur ce deuxième point que le bât blesse.
Le 22 avril à Pékin, la célèbre université Tsinghua annonçait la création d’une école des circuits intégrés destinée à la formation des ingénieurs et techniciens de ce secteur stratégique de la concurrence industrielle actuelle. Deux jours plus tôt, le maître du régime communiste Xi Jinping s'était rendu dans un laboratoire de recherche spécialisé dans les puces électroniques et n'avait pu que constater le retard de l'Empire du milieu dans ce domaine. "On fait moins bien, reconnaissent les commerciaux chinois, que les États-Unis, la Corée [du sud] ou le Japon, alors on veut rattraper notre retard." Évidemment, on n'avoue pas à Pékin que le premier fabricant mondial est installé dans la République de Chine nationaliste, à Formose. Certains, préemptant peut-être une annexion forcée de l'île refuge anticommuniste, imaginent sans doute qu'il s'agit du même pays…
Le déséquilibre s'est aggravé en juillet 2020 quand l'entreprise taïwanaise TSMC, appliquant les sanctions décidées, sous la présidence Trump par l'administration américaine, avait en effet annoncé que depuis la mi-mai, elle avait cessé d'honorer les commandes de Huawei, déstabilisant gravement l'avenir de ce groupe pionnier de la technologie chinoise.
En octobre 2020, le Parti communiste et l'Assemblée nationale populaire qu'il contrôle entièrement, approuvaient 14e Plan quinquennal pour la période 2021-2025. Celui-ci fait à nouveau des semi-conducteurs une priorité, et l'État chinois prévoit d'investir, cette fois, 1 400 milliards de yuans soit l'équivalent 180 milliards d’euros.
Les journaux et les télévisions aux ordres du gouvernement de Pékin vantent à ce sujet la perspective d'un futur "Grand Bond en avant des semi-conducteurs".
Cette expression fâcheuse de "Grand Bond en avant" avait déjà servi en 1957 pour le plan industriel du même nom. Lancé par Mao, balayant toutes les critiques, celui-ci supposait la confiscation étatique de la propriété paysanne et de la production agricole. Il s’était soldé par une famine qui fit 36 millions de victimes, probablement la pire du XXe siècle, pire que celle de l'Ukraine à la dimension du continent chinois, ce géant aux pieds d'argile...
JG Malliarakis
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Apostilles
[1] cf. "La Terreur rouge – théorie et pratique" par Jean-Gilles Malliarakis et Charles Culbert, à commander directement sur le site de l'éditeur
[2] Lire à ce sujet L'Insolent du 31 août 2020 L'Ombre de Staline sur Hidalgo city
[3] On s'en doutait. A lire son livre "État d'Urgence" publié en 2011 dans la perspective de l'élection présidentielle on apprend qu'il confond déficit des Comptes publics et déficit du Commerce extérieur.
[4] Organisation européenne de coopération économique, remplacée en 1961 par l'OCDE, organisation mondiale à laquelle souscrivirent alors les 18 pays européens libres.
[5] Il suffit de considérer qu'une machine à ultraviolets extrêmes, nécessaire à la fabrication des puces, contient quelque 100 000 composants et que la précision avec laquelle un rayon ultraviolet doit toucher une galette de silicium est considérable.
Macron nous a menés au bord du gouffre ? Avec Bayrou, faisons un grand pas en avant !
Rédigé par : Philippe JOSSELIN | mercredi 28 avr 2021 à 17:40
Injecter dans l'économie de l'argent préalablement ponctionné dans l'économie, çà n'a pas de sens.
À moins que l'on ne prenne aux bons (les entreprises bénéficiaires) pour donner aux mauvais (les entreprises déficitaires, les chasseurs de primes, les copains etc).
Serait-ce la raison du retour du planisme ?
Rédigé par : Jean Michel THUREAU | mercredi 28 avr 2021 à 18:18
"Rocard, chantre de la planification démocratique et de l'autogestion."
D'ailleurs... l'un ne serait-il pas légèrement contradictoire avec l'autre ?
Rédigé par : Robert Marchenoir | mercredi 28 avr 2021 à 21:02