À l'instar de ses alliés Frères musulmans, le président désormais tout puissant de la ci-devant démocratie turque se pose avec habileté en défenseur des droits de l'Homme et des libertés. Cela peut se comprendre dans certains pays de traditions dictatoriales. Jusqu'aux printemps arabes de 2011 régnaient des régimes à partis uniques plus ou moins laïcistes, comme en Tunisie, en Irak ou en Égypte.
Bien différente était la situation de la Turquie. Ce pays jouissait, depuis 1946, d'un statut certes chaotique, mais infiniment plus libéral. De façon très claire sa réforme constitutionnelle adoptée par référendum en avril 2017 lui confère des pouvoirs sans commune mesure avec ceux d'une démocratie présidentielle.
Néanmoins la naïveté internationale sans limites prend au sérieux le rôle qu'il prétend jouer de lutte contre le régime baasiste de Damas. Violant ouvertement la souveraineté de la Syrie voisine, il justifie son intervention militaire aux côtés de rebelles, essentiellement islamistes, en invoquant les droits qu'il muselle chez lui.
Cette tartufferie échappe de moins en moins aux responsables européens. Mais il semble que le but de ses agissements échappe encore à l'intelligence de nos technocrates.
Sans doute doit-on se féliciter des réactions indignées, dans divers pays de l'Union européenne, dénonçant le chantage turc à l'invasion migratoire. On ne peut qu'approuver ainsi celle de M. Le Drian. Le ministre français des affaires étrangères a en effet déclaré à la tribune de l'Assemblée nationale ce 3 mars : "l'usage par la Turquie des migrants comme moyen de pression et de chantage sur l'Europe est absolument inacceptable".
On doit souligner aussi la nouveauté d'une solidarité, affirmée dans la défense des frontières européennes, aussi bien par Charles Michel que par Mme von der Leyen au nom de la Commission. Cette avancée géopolitique nécessaire doit être saluée.
Ne doutons pas cependant que le politiquement-islamiquement correct n'en restera pas là. Dès le premier jour après avoir lui-même déclenché la ruée vers l'Europe de milliers d'immigrants illégaux, Erdogan et son dévoué ministre Cavutoglu agitaient, avec beaucoup de conviction maintenant, le drapeau des droits de l'Homme.
Remarquons qu'ils ont très rapidement été relayés par nos moyens de désinformation. Le message hypocrite prétend faire honte aux habitants pacifiques des îles de la mer Égée qui, submergés et exaspérés, osent réagir contre ces réfugiés vrais ou faux, qu'ils ont accueillis ou supportés en surnombre depuis 5 ans. Les gens des fameuses "ONG" subventionnaires se montrent plus arrogants encore.
Mais le fond du sujet, l'objectif réel que poursuit le président turc, ne doit pas être dissimulé. C'est là que réside la cause de ces évènements et des interventions de la Turquie chez sa voisine méridionale, État souverain qui ne fait plus, depuis bientôt un siècle partie de l'Empire ottoman.
Le 26 février Recep Tayyip Erdogan s'exprimait devant le Türkiye Büyük Millet Meclisi, le parlement d'Ankara. Il affirmait ce jour-là, sur le ton agressif qu'on lui connaît, avoir dit à son allié d'hier Poutine, ennemi d'avant-hier, rival d'aujourd'hui et adversaire probable de demain : "Ôtez-vous de notre chemin" en Syrie.
Quel chemin ? Vers quel but ?
Le lendemain 27 février, il se souvenait de son appartenance à l'OTAN et demandait à celle-ci de se solidariser, sur le fondement du traité de Washington de 1949.
Le 28 février, le secrétaire général Stoltenberg s'exécutait de bonne grâce et s'exprimait dans ce sens lors d'un point de presse. Il semble toutefois avoir surinterprété le traité d'alliance. C'est l'article 6 de cet accord, remontant à la guerre froide qui en définit le périmètre d'application. Celui-ci comprend le territoire de ses membres, y compris les départements français d'Algérie. Cette dernière disposition, devenue caduque en 1963 semble difficilement extensible aux anciens vilayets ottomans de Syrie et d'Irak où s'aventure l'armée turque.
Dès lors, le 29 février, Erdogan entreprenait de tordre le bras à l'Union européenne, la menaçant sur ses frontières en exigeant que celle-ci s'aligne sur la position de l'OTAN.
Le 2 mars, le président bulgare Borissov se rendit aussitôt à Ankara pour tenter d'organiser une négociation, ce que son interlocuteur refusa.
Certains ne veulent y voir que la conséquence de sa mégalomanie ou des difficultés de sa politique intérieure voire de son économie. C'est méconnaître le fond du personnage et de la synthèse islamo-nationaliste qui l'inspire désormais. Sa nouvelle doctrine est tournée vers la restauration d'un Empire que l'on croyait disparu depuis un siècle. Et cette idée fait novation par rapport aux traditions politiques de la république jacobine fondée par Mustafa Kemal.
En 2016, en effet le maître d'Ankara se trouvait en conflit à la fois
1° avec les musulmans modernistes du mouvement Hizmet inspirés par Fethullah Gülen. Ceux-ci, ses anciens alliés, semblent avoir découvert sa dérive mafieuse en 2013. Avec les Gülenistes, dès lors, il pratiqua, d'une part la calomnie systématique les rendant responsables de l'étrange tentative de coup d'État militaire, d'autre part une surenchère religieuse sunnite en se servant des réseaux des Frères musulmans chassés d'Égypte.
2° vis-à-vis des kémalistes, qu'il a toujours combattus, il entendait se montrer plus nationaliste que ces démocrates, ces laïcs de gauche, qu'il dénonce comme "crypto-francs-maçons".
Pour comprendre sa politique il faut ne jamais perdre de vue la forte personnalité de son épouse née Emine Gülbaran. Recep Tayyip Erdogan l'a rencontrée en 1977. Agée de 22 ans, elle militait en tant responsable de l'Association des femmes idéalistes, mouvement de jeunesses du parti MHP clairement fasciste plus connu sous l'appellation des Loups Gris. L'occasion était lors d'un meeting du parti islamiste dit du salut national, Millî Selamet Partisi. Depuis son adolescence, Erdogan avait été formé dans les rangs de cette organisation islamiste flamboyante, fondée et dirigée par Necmettin Erbakan. Il ne se séparera de son vieux chef que pour des raisons d'efficacité, 20 ans plus tard, après un séjour en prison.
Or, le parti des Loups Gris, le MHP, nationaliste et pantouranien, tourné vers les terres ancestrales de l'Asie centrale, longtemps rival des islamistes, est aujourd'hui ouvertement associé à la majorité gouvernementale de l'AKP.
La réaffirmation par Erdogan du pacte national turc Misak i-Milli de 1920, correspond ainsi à une surenchère par rapport au kémalisme qui remonte aux années 2015-2016, période très trouble après que l'organisation État islamique se soit emparé de Mossoul en juin 2014 et que les kémalistes aient accusé les services spéciaux d'Ankara, le MIT, de lui avoir fourni des armes.
Le pacte national, Misak-ı Milli, réaffirmé par Erdogan en 2016 est le nom du manifeste en six points adopté à l'unanimité le 28 janvier 1920 par la dernière assemblée ottomane, Meclis-i Mebusan.
A l'époque les revendications turques visaient les territoires suivants : 1. Une partie de la Thrace occidentale 2. Rhodes et le Dodécanèse 3. le district arménien de Kars, Ardahan et la ville aujourd'hui géorgienne de Batoumi 4. le vilayet d’Alep en Syrie, incluant la zone que les Kurdes appellent Rojava, mais aussi le sandjak syrien d'Alexandrette et l'ancienne Antioche sous mandat français, devenu la province turque de Hatay, ainsi que Lattaquié 5. Le vilayet alors majoritairement kurde de Mossoul et Erbil en Irak 6. Le sandjak de Deir ez-Zor et 7. L’île entière de Chypre.
Au gré d'accords successifs, avec Lénine en 1921, avec les anglo-français en 1939, au prix de l'occupation du nord de Chypre en 1974, ce programme, morceau par morceau, a été mis en œuvre par les kémalistes sur un siècle.
Erdogan veut le réaliser par la force et la ruse, prétendant combattre le "régime" de Damas et en y réimplantant les 3,7 millions de Syriens qu'il menace sinon de nous envoyer.
Y parviendra-t-il ?
Il prend les Européens pour des lâches et des imbéciles. A-t-il tort ?
JG Malliarakis
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Je crains que la politique anti-Russe des Anglais, depuis toujours, reprise par les Américains, n'ait appuyé la Turquie après sa défaite de la Grande guerre.
Aujourd'hui la présence de la Turquie dans l'Otan, qui est une alliance militaire offensive, en dit aussi beaucoup sur l'aide apportée au redéploiement ottoman depuis 1920 !
Et les armes de l'Otan sont tournées vers la Russie.
1920 c'est aussi la date de la création du Cfr - pardon de ramener les banquiers mondialistes - qui dirige de fait l'État profond américain, et donc la majeure partie des pays occidentaux.
Je suis donc sceptique quant aux technocrates européens qui leur sont dévoués. Ainsi Merkel offre déjà à la Grèce de ... la soulager de 10.000 "migrants-mineurs", et Von der Leyen offre 350 millions, reconductibles, pour construire de nouveaux camps et acheter des ouvertures.
Puisque vous nous apprenez que la reconquête ottomane a été entreprise dès 1920, ( et avec quelle barbarie assassine à Smyrne et en Arménie ! ) c'est donc la civilisation chrétienne en Europe et au delà qui est en jeu. Car l'attaque n'est pas uniquement turque.
Il faudra donc une volonté résolue d'Européens pour inverser et anéantir cette conquête islamiste. Tels les Bulgares et les Grecs, et les pays du groupe de Visegrad, et d'autres qui viennent.
Quelques vedettes de Frontex en mer Égée et nos soldats au Mali ne suffiront pas.
Rédigé par : Dominique | jeudi 05 mar 2020 à 18:11
Il apparaît, à la description des ambitions d'Erdogan une grande similitude entre les manœuvres d'Hitler dans les années 1930 et celles d'Erdogan décrites par JG Malliarakis. Les motivations m’apparaissent les mêmes : rétablir un grand empire qui a existé dans un passé lointain. Mais peut-être ne suis-je pas bien renseigné ?
Petite réponse
Il est même possible qu'il s'en inspire. Mais "l'histoire et la science des faits qui ne se répètent pas" (Paul Valéry)
Rédigé par : Pierre Allemand | jeudi 05 mar 2020 à 18:21
https://www.ekathimerini.com/250326/article/ekathimerini/business/eib-gives-greece-support-for-tackling-migration
Ce journal grec apporte, en anglais, des informations intéressantes. J'écris sous le contrôle de notre chroniqueur préféré qui le connait certainement. Ici, la Banque d'investissement européenne qui accorde un prêt de 200 millions aux Grecs pour ... mieux accueillir des envahisseurs. Le journal révèle par ailleurs qu'ils sont essentiellement afghans et pakistanais : la grande réserve d'Erdogan.
Il y a d'autres nouvelles, plus réjouissantes, comme la venue d'identitaires allemands à la frontière gréco turque ; le soutien de la Pologne qui propose à Athènes d'envoyer 200 gardes frontières en Grèce ; la déclaration du Chancelier autrichien dans le même sens qui s'oppose à la répartition, par Bruxelles, des envahisseurs dans toute l'Europe ; etc.
Visiblement de plus en plus d'Européens défendent concrêtement la Grèce aux frontières de l'Europe.
Petite réponse
Vous avez raison de lire Kathimerini qui me semble la meilleure source d'information sur la Grèce, la plus équilibrée en tous cas. Je n'ai jamais lu l'édition anglaise, l'édition originale me servant pour perfectionner ma connaissance [limitée] du grec moderne. Une des particularités de ce journal et de la politique actuelle du gouvernement grec, qu'il soutient, est l'union, grosso modo, entre le centre et la droite nationaliste.
Son court éditorial daté du 6 mars sur "Le patriotisme du sang froid" mérite réflexion.
Voici la traduction : "Le patriotisme du sang froid.
Il a été démontré ces derniers jours que les défenses de l'État constitutionnel fonctionnent. Les forces armées et les forces de sécurité remplissent leur mission. Cette mission est exclusivement la leur. Ce n'est pas le lieu de l'activisme ou de surenchère patriotique. La garde des frontières est la tâche des fonctionnaires autorisés - pas celle des bénévoles, quelle que soit leur motivation. La situation est très inflammable et tout faux pas peut se révéler fatal. Le véritable enthousiasme patriotique c'est le sang froid."
Rédigé par : Dominique | vendredi 06 mar 2020 à 17:58
Merci beaucoup de votre petite réponse.
Effectivement un clic sur ce journal diffusé ( gratuitement semble-t-il ) par internet permet, ce 9 mars, d'apprendre que Chypre envoit à la Grèce des forces de sécurité, après la Pologne. Chypre, trahi par les grands états européens vient au secours des Grecs, et ainsi aussi des Européens ! Cela les Français ne l'apprendront pas par nos gross medias.
Je regrette depuis longtemps qu'une langue commune européenne ne soit pas enseignée dans les pays européens. Entre amis nous avions pensé à la langue grecque, puisque la Grèce a fondé la civilisation européenne. Ce choix aurait pu mettre d'accord tous les pays européens, au lieu que la langue dominante devienne finalement celle des anglo-amécains.
Nous Francs rechignons à traduire nos journaux, sites, blogs, etc. c'est certainement dommage pour le rayonnement de nos (bonnes) pensées, et le rapprochement entre conservateurs européens. Cela permettrait également à des étrangers de se perfectionner en français, en disposant de versions en leur langue et la nôtre. Je m'étais bien amélioré en anglais et en allemand, grâce à une revue française ( papier) qui publiait un éditorial traduit dans les trois langues. Aujourd'hui il y a des outils élaborés de traduction numérique, chez Guugle notamment.
Rédigé par : Dominique | lundi 09 mar 2020 à 18:51
Si l'Etat héllénique proclame qu'il faut que le contrôle des frontières soit assuré par police et armée, n'est ce pas qu'il craint que la pression populaire grecque ne passe à l'action. A Lesbos les îliens ont mis le feu à des installations des O n g pour étrangers !
Je me souviens avoir contemplé il y a quelques années dans la grande église orthodoxe de Nauplie - la première capitale de la Grèce libérée des Ottomans - une peinture de la ville de Smyrne à feu et à sang, placée sur un tréteau en bonne place pour demander les prières. La mémoire est vivante.
Les dirigeants technocratiques et mondialistes de Bruxelles connaissent ils l'histoire de la Grèce pour oser mettre 500 millions sur la table, comme un encouragement pour Erdogan, afin que les Grecs construisent de nouveaux camps en Grèce pour loger des envahisseurs envoyés par " l'Ottoman " ? Ils réunissent alors aveuglement et complicité coupables.
Rédigé par : Dominique | lundi 09 mar 2020 à 19:00
Une autre bonne nouvelle : " aucun migrant ne passera comme en 2015 ". En Autriche le ministre de l'Intérieur a annoncé 2.200 soldats à la frontière.
https://orf.at/stories/3157126/
En allemand, et en français sur https://www.fdesouche.com/1346763-lautriche-deploie-2-200-soldats-a-ses-frontieres-nous-ne-laisserons-passer-aucun-migrant-nous-avons-tire-les-lecons-de-2015
Je m'arrêterai là puisque les Chroniques de l'Insolent ne sont pas un fil d'actualités.
Rédigé par : Dominique | lundi 09 mar 2020 à 21:48