Difficile, entendant le discours de Mulhouse de ce 25 mars, de demeurer stoïque, figé au garde à vous, le petit doigt sur la couture du pantalon, un moment interminable. On restera sans doute civique, le temps de la crise. On accepte la discipline car, dans une pareille période, on doit suivre les consignes des autorités. Cela fonctionnera pour peut-être 90 % d'entre nous, car au moins 10 % des habitants de l'Hexagone s'y refusent déjà. Les princes qui nous gouvernent craignent, ou plutôt savent, que notre obéissance ne durera pas bien longtemps.
Si l'on en croit le quotidien Le Monde "le sommet de l’État redoute de devoir rendre des comptes".[1]
À Beyrouth, ce 19 mars dans un pays déchiré à la fois par un affrontement culturel séculaire et par une crise financière majeure, le pouvoir était "accusé de tirer profit du coronavirus pour intimider les protestataires".[2]
Cela n'arrive-t-il qu'aux autres ?
En cette Fête de l'Annonciation, que dédaignent les gros moyens d'information, deux extraits de presse nous éloignent peu ou prou de la sidération universelle de l'épidémie. Et pourtant, comme on va le voir, leurs points de vue en dérivent de façon explicite.
Premier article du jour : l'éditorial du camarade Francis Bergeron dans Présent. Il était consacré à la vedette du jour, le professeur Raoult. Et il souligne, sans doute à juste titre, certains aspects de ce personnage, à l'allure pittoresque que le regretté Uderzo eût sans doute caricaturé sous les traits d'un druide gaulois.[3]
Il remarque en effet : "Le professeur Raoult a mauvaise réputation à la CGT, car ses collaborateurs sont loin de respecter les 35 heures. Les écologistes lui reprochent d’avoir émis des doutes sur la théorie du réchauffement de la planète. Par ailleurs il conteste l’approche gouvernementale dans son ensemble : la politique de confinement et, en parallèle, la non-systématisation des tests. Mais paradoxalement, c’est lui, le trublion, qui semble avoir une vision claire des voies à emprunter, alors que les aréopages d’experts qui entourent Macron et le ministre Véran envoient à longueur de journée des signaux contradictoires." Comment ne pas agréer à cette description de la situation ?
Or, de son côté l'hebdomadaire Le Point semble pouvoir observer, au contraire, un phénomène inverse : "Emmanuel Macron renoue avec son plus haut niveau de confiance"titre-t-il, dans la mesure où "la cote du chef de l'État bondit de 14 %, pour retrouver le niveau du début du quinquennat, dans notre baromètre mensuel Le Point-Ipsos".
Est-ce entièrement contradictoire ? J'ai la faiblesse de ne pas le penser.
Un souvenir de sa lointaine jeunesse donne à votre chroniqueur l'occasion d'évoquer ce genre de phénomène. Le pittoresque chanoine Kir (1875-1968), immortalisé par l'apéritif vin blanc cassis qui porte son nom, avait provoqué à l'Assemble nationale les grognements de ses collègues élus à Lyon et à Marseille.
Il était encore légal de siéger comme député maire, double et belle fonction qu'il exerçait dans la capitale des ducs de Bourgogne. Or, il avait qualifié un jour Dijon de troisième ville de France. Il prenait argument de l'addition des habitants venus applaudir en 1944 le Maréchal Pétain [4] et de ceux des Dijonnais qui, quelque temps plus tard, avaient tenu à saluer son successeur: le général De Gaulle[5]. L'uniforme était sans doute le même, mais on ne pouvait croire qu'il s'agissait des mêmes Bourguignons. Le chef de la France libre était devenu entre-temps président du gouvernement provisoire.
Notre génération d'après guerre avait entendu, souvent ad nauseam, les rhétoriques de nos aînés, présentant l'homme de Londres pour le glaive, et celui de Vichy pour le bouclier. Nos jeunes successeurs, ne connaissant pas cette ritournelle, pourraient ne pas comprendre qu'en cas de danger collectif, un peuple se raccroche un peu à n'importe quelle bouée. Il salue autant, et alternativement, ceux qui semblent le protéger, et ceux qui lui donnent des lueurs d'espoirs.
La mémoire collective oublie très vite, surtout en France, de tels sentiments partagés.
Souvenons-nous au moins de la solidarité, nécessaire mais éphémère, autour de François Hollande en janvier 2015. Deux ans plus tard l'intéressé, pour la première fois sous la cinquième république, ne pouvait même plus envisager de solliciter un deuxième mandat.
JG Malliarakis
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Apostilles
[1] cf. article publié à 19h15, avant même le discours présidentiel.
[2] cf. in L'Orient le Jour "Le pouvoir accusé de tirer profit du coronavirus pour intimider les protestataires"
[3] cf. "Le professeur Raoult bouscule le système" in Présentn° 9582
[4] cf. Vidéo du 2 juin 1944 sur le site de l'INA "Voyage du Maréchal Pétain à Nancy, Épinal et Dijon".
[5] cf. "23 octobre 1944 : l’enthousiasme du général de Gaulle à Dijon".
Helveticus
Ce genre de basculements brusques donnent le vertige et permettent de relativiser l'idée que "le peuple a toujours raison".
Le plus souvent le peuple passe avec armes et bagages du côté du plus fort et ça peut se produire en une nuit "overnight".
Quelques exemples qui me viennent à l'esprit. Le bon mot du chanoine Kir était très bien vu! Il est confirmé par les images du maréchal Pétain adulé par la foule de Paris, quelques jours avant l'effondrement. D'autres exemples viennent à l'esprit: Daladier revenant humilié de Munich et accueilli en triomphe à Orly, et disant entre ses dents: "ah les cons!" Pensons aussi à la réélection triomphale de Jacques Chirac, qui devait être battu en 2002, parce qu'"against all odds" Le Pen était au 2ème tour. J'ai revu un film sur l'Anschluss: le chancelier Schuschnigg s'apprêtait à organiser un référendum où le peuple autrichien allait dire à une majorité de 75% son désir de rester indépendant protègé par les puissances. Schuschnigg était assuré de gagner. Il y avait eu des sondages très sérieux à ce moment-là. Hitler a senti le danger pour ses projets et il a pris les devants en occupant le pays sans autre forme de procès. Il a été acclamé par une masse extatique et quand il a organisé son référendum à lui, il a recueilli 99.5% de majorité.
Encore un exemple, le dernier c'est promis: j'ai lu récemment le roman "Eine deutsche Wanderschaft" de Jakob Schaffner, que plus personne ne lit. C'était un romancier suisse-allemand aussi connu en Allemagne il y a un siècle que Romain Rolland en France à la même époque. Je le mettrais d'ailleurs au même niveau littéraire que Romain Rolland. Il est oublié car il a eu la mauvaise idée de devenir nazi. Mais c'était un exceptionnel romancier populaire qui mériterait d'être réédité.. Mon exemplaire, trouvé dans les bacs d'un bouquiniste, est encore imprimé en Fraktur (caractères gothiques). Il raconte le tour d'Allemagne d'un apprenti cordonnier avant la grande guerre. Un tableau exceptionnel de la vie quotidienne dans l'empire wilhelminien. Un chapitre m'a énormément frappé: l'apprenti cordonnier se mêle à la foule en liesse lors d'une visite du Kaiser à Strasbourg. Il faut lire ça: parades militaires, flons flons, rues pavoisées, mais de noir, blanc rouge, pas de bleu blanc rouge, bals, mais pas musette, hurrahs à n'en plus finir, une liesse indescriptible au passage de Guillaume sur son cheval entouré de ses paladins!
Ce chapitre serait peut-être insupportable à lire pour un Français. Et pourtant je suis sûr que Jakob Schaffner, qui était cordonnier, avait bien vécu lui-même cette scène-là et la restituait exactement.
Alors, bien-sûr, il y avait aussi ceux qui étaient derrière leurs persiennes à Strasbourg et ne participaient pas aux réjouissances, ceux sans doute qui rêvaient de la Revanche et lisaient les albums illustrés de Hansi. De même lors des visites du maréchal Pétain, puis celles de de Gaulle il y avait aussi des gens serrant les poings. Et à Vienne quand Hitler paradait près l'Anschluss, evidemment. Mais ceux qui sont calfeutrés chez eux, désespérés, on ne les voit pas.
Alors Macron peut bien voir sa popularité remonter un peu ou même beaucoup. Jusqu'à quand? Qui est-il d'ailleurs ce Rastignac sorti d'un chapeau? Que valent les 66% de son élection sur un coup de dés?
Ce soir Mr Parmelin, ministre suisse de l'économie, a annoncé des mesures historiques pour soutenir les entreprises: plus de 40 milliards qu'on pourra doubler au besoin. C'est colossal, mais la Suisse peut le faire sans se ruiner. Toute proportions gardées, la France ne le peut pas, hélas.
Mr Parmelin, de l'UDC, un petit exploitant agricole et viticole avant son élection, a observé que cette crise était au moins 5 fois plus grave que celle de 2008-2009.
Alors pour la France, moi je me demande comment la belle majorité "En Marche" de Mr Macron va éviter d'être balayée par une vague de mécontents "populistes" qui balaiera tout quand l'économie française s'effondrera à cause du confinement total des Français.
https://www.rts.ch/play/tv/emission/19h30-?id=1798883
Rédigé par : Helveticus |
Rédigé par : Helveticus | jeudi 26 mar 2020 à 03:01
Cette épidémie du virus de Wuhan ne nous frapperait pas si fortement si la médecine n'était pas en France totalement entre les mains des hommes-de-l'état.
Tant le financement que les moyens et surtout l'hôpital public, et la stratégie sanitaire nationale.
Je m'étonne donc que personne ne parle de la nécessité de dénationaliser la médecine francaise ! Ou je comprend très bien pourquoi : la médiocrité de nos dirigeants politiques et hauts fonctionnaires.
Attention : Macron parle déjà " d'améliorer encore plus le système de santé, nls hôpitaux ( publics ) etc." lorsque le virus de Wuhan en aura terminé.
Il y a donc une impérieuse nécessité à rappeler aux politiciens d'opposition qui prétendent être des Conservateurs, qu'il ne pourra y avoir une médecine de qualité que si elle redevient libre.
Liberté, responsabilité, propriété, à tous les niveaux : enseignement car la médecine commence par là, exercice, dialogue patient-médecin, et financement.
C'est tout le système actuel qu'il faut renverser - ou plus exactement ne pas relever puisqu'il est à terre. L'enseignement est à refonder, les hôpitaux publics sont ruineux et de très mauvaise qualité ( hors CHU ), les médicaments chinois défectueux, et le système d'assurance est inéquitable et en lui seul une atteinte aux droits individuels :
La Sécu taxe les " assujettis " selon leurs revenus ( les enyreprises du secteur privé en meurent chaque jour ! ) sans expliquer les garanties. C'est ensuite qu'on s'aperçoit qu'il faut absolument une " complémentaire "...
Notre chroniqueur préféré nous a souvent entretenu de cela. Il va falloir un débat national sinon on va tomber dans un système britannique ( NHS ) ou de pays sous-développé. Je vois cela gros comme une montagne car le chef de LREM voudra imposer " sa " réforme mondialiste, c'est à dire très exactement communiste, dans un ensemble de mesures post virus de Wuhan pour reconstruire la France " encore plus belle ". A coups de 49.3 ou de généraux comme pour Notre-Dame de Paris, comme il en raffole.
Rédigé par : Dominique | vendredi 27 mar 2020 à 01:48
J'ai ete tourmenté toute la journée depuis que ma mémoire m'a susurré que j'avais peut-être écrit une ânerie dans mon commentaire ci-dessus où je compare le romancier suisse-allemand Jacob Schaffner, oublié de tous sauf de moi, à Romain Rolland. Vérifications faite, j'ai en effet commis cette bourde! C'était par pure distraction et c'est absurde. J'ai pensé Jules Romains et j'ai écrit Romain Rolland. Il n'y a rien de commun entre Romain Rolland et ce pauvre Jacob Schaffner, qui appartient à cette école du roman fleuve, unanimiste, comme Jules Romains et ses Hommes de bonne volonté. A l'époque c'était la mode d'écrire des suites romanesques peignant toute une société et toute une nation. On pourrait aussi penser à Georges Duhamel et sa suite Salavin. Ou Roger Martin du Gard et ses Thibault. Mais Martin du Gard était un grand bourgeois et ça ne colle pas avec Jacob Schaffner le cordonnier. Et puis de toute façon il n'existe aucun écrivain français qui ressemble à ce curieux romancier populaire de langue allemande, Jacob Schaffner, qui est unique en son genre.
Ouf! C'est rectifié. Je suis rempli de confusion.
Je recommande à ceux qui lisent l'allemand de se procurer Johannes, le roman fleuve de Jacob Schaffner, qu'ils ne trouveront que par internet dans une librairie d'occasion. Ca vaut la peine.
Rédigé par : Helveticus | mardi 07 avr 2020 à 01:16