Les monopoles médiatiques de la parole, dans notre Hexagone, tendent à faire converger les débats. Ceux-ci se résument de plus en plus, centrés autour des interventions, généralement fort courtes, de quelques éphémères vedettes. L'intelligence de la vérité et la clarté des problèmes n'y gagnent pas beaucoup.
Ce 28 janvier Élisabeth Borne, ministre la Transition écologique et solidaire intervenait sur RTL. Cela se passait à une heure considérée comme de grande écoute selon les évaluations des publicitaires. Mais en réalité elles se révèlent des moments d'attention fort superficielle, car beaucoup de Français se lavant les dents, n'acceptent d'entendre les nouvelles que d'une manière distraite.
Haut fonctionnaire, ancienne élève de l'école Polytechnique, largement étrangère aux préoccupations du suffrage universel, le vrai domaine de compétence technique de ce pilier du gouvernement semble celui des Transports. C'est d'ailleurs à ce titre, où elle faisait fonction de ministre délégué auprès de Nicolas Hulot, lui-même écologiste de télévision, qu'elle est apparue en 2017. Quand il a démissionné, elle lui a succédé par défaut.
Elle incarne donc, avec beaucoup de sérieux sans doute, mais aussi avec une certaine maladresse politique, une caractéristique, aggravée d'année en année sous la cinquième république, de présidence en présidence. On appelle cela du nom presque flatteur de technocratie.
Or, on lui demandait son avis sur la dernière sortie de Ségolène Royal. L'ancienne adversaire de Nicolas Sarkozy vaincue en 2007, estime aujourd'hui, – et de telles déclarations du 24 janvier ont fait grand bruit, – que nous vivons "dans un régime autoritaire". On peut certes hausser les épaules et se demander même, d'un point de vue sémantique, si le mot s'applique à une situation, précisément, où l'autorité s'effiloche, quand elle ne se ridiculise pas.
Mme Borne pouvait donc paraître, du fait de son parcours, la personne la plus apte à lui répondre quatre jours plus tard. Préfète de Poitou-Charentes, elle a pu observer la politicienne Ségolène Royal du haut de la tutelle centraliste d'État qu'elle exerçait sur une élue locale et de circonscription. Elle occupa aussi le poste de directrice de son cabinet au ministère de l'Écologie. On peut donc dire qu'elle connaît bien, de l'intérieur, le fonctionnement du personnage.
Or, face à une femme qui ose mettre en doute la nature libérale de notre système politique, Élisabeth Borne juge simplement "très grave de dire des choses de ce type".
Observons cependant les faits.
Dans les institutions de la Cinquième république, démocratiques sur le papier, tout repose, et de plus en plus, sur le pouvoir présidentiel. On peut y voir l'héritage d'un fondateur qui bénéficiait lui-même d'un prestige certain. Son aura rayonnait moins, pourtant, sur l'opinion populaire d'alors qu'on ne semble l'imaginer aujourd'hui. Mais elle s'imposait de façon plus naturelle que celle de ses successeurs.
Or, entre le texte de la constitution de 1958 et la pratique de 2020, le caractère démocratique du régime a évolué d'une façon inversement proportionnelle au respect qu'ont inspiré, l'un après l'autre, les dirigeants. À son tour, chacun d'entre eux a fait regretter le titulaire de la période antérieure. Qu'on réfléchisse seulement au quinquennat, ô combien désastreux, de François Hollande, premier à avoir renoncé à se représenter : il nous semble aujourd'hui moins cafouilleux que le demi mandat qui s'est écoulé depuis 2017. Bientôt, peut-être, il inspirera quelque nostalgie.
En fait, sur une durée plus d'un demi-siècle, non seulement le personnel s'est dégradé mais aussi le mode de gouvernement s'est dénaturé.
Nous nous situons aujourd'hui à 62 ans de vie d'une forme de pouvoir apparue au lendemain des humiliations successives des 14 tours de l'élection de René Coty, de Dien Bien Phu en 1954, de Suez en 1956, etc.
Depuis, quelque trois générations se sont écoulées.
En 1958 les Français avaient adopté une constitution certes formellement parlementaire, où le Premier ministre gouverne et non le chef de l'État, mais qui contenait en germe une évolution strictement inverse. Au point, dernier soubresaut, que la magistrature s'est sentie obligée ce 27 janvier de rappeler au président la théorie de la séparation des pouvoirs. Il ne dispose pas légalement du pouvoir judiciaire - lequel d'ailleurs, formellement, n'existe pas vraiment. Mais il entend tout de même l'exercer...
On ne devrait pas manquer de s'interroger, à ce stade, sur la leçon expérimentale que nous administre l'histoire de l'URSS. On disait la constitution soviétique de 1936, les uns avec humour, les autres avec conviction, la plus démocratique du monde. Or, à partir de la fin de la guerre civile en 1921, la dictature n'a cessé de s'aggraver. Immédiatement le droit de fraction a été retiré aux bolcheviks eux-mêmes. En 1922, année de la formation de l'Union entre la Russie et l'Ukraine, que Lénine disait vouloir égale et fédérale, Staline s'est emparé d'un pouvoir grandissant en qualité de secrétaire général. En 1923, le principe du parti unique a été érigé en norme légale. En 1929 l'opposition de gauche disparaît de fait avec le départ de Trotski. En 1931 le stalinisme triomphe. En 1934, au XVIIe congrès du parti communiste, sur 1 225 délégués disposant du droit de vote, il semble bien que la popularité de Kirov ait été secrètement plus grande que celle du chef. Mais ce dernier ordonne de falsifier les résultats, il fera assassiner Kirov quelques mois plus tard, et il institue le culte de sa propre personnalité géniale de coryphée des sciences et des arts. Ceci s'aggrava, après la victoire de 1945, avec le prétendu complot des blouses blanches et dura jusqu'à sa mort physique en 1953 et au rapport Khrouchtchev de 1956. Il faut attendre 1977 pour que le néo-stalinisme de l'ère Brejnev feigne de redresser la constitution, et 1991 pour que l'Union soviétique elle-même se disloque officiellement.
Sur la base de cette expérience, certes beaucoup plus sanglante que la nôtre, on peut évaluer encore quelques années de survie à un régime de moins en moins démocratique, et de plus en plus dégénéré, comme celui que nous subissons.
Nous gagnerions donc peut-être à partir de cette réflexion de Péguy : "il est quelque chose de pire que d'avoir une âme perverse c'est d'avoir une âme habituée".
JG Malliarakis
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Bonjour à tous
Sur le caractère démocratique de la cinquième, je vous propose un avis d'expert, émis en 1964 :
« Qu’est-ce que la Ve République sinon la possession du pouvoir par un seul homme dont la moindre défaillance est guettée avec une égale attention par ses adversaires et par le clan de ses amis ? Magistrature temporaire ? Monarchie personnelle ? Consulat à vie ? pachalik ? Et qui est-il, lui, de Gaulle ? duce, führer, caudillo, conducator, guide ? » (Le coup d’état permanent. François Mitterrand. Editions Plon)
Étonnant non ?
Rédigé par : Jean-MichelThureau | mardi 28 jan 2020 à 15:06
La remarque de Émile Koch m'a intéressé.
Je rappelle parfois, peut être trop souvent et pour appeler au retour du roi, grâce à la possibilité offerte ici aux lecteurs de l'Insolent d'exprimer leurs libres opinions, que la révolution régicide a entraîné le déclin de notre patrie ; alors que tenant compte des restaurations successives et de la force de l’élan de notre royal pays au cours du 19ème siècle, notre chroniqueur préféré fixe avec plus de connaissances historiques, le début de notre chute au traité de Versailles ; et que d'autres ont vu dans l'abandon des départements Français en Afrique du nord la fin de la France.
Les questions des causes des chutes des nations posent peut être trop facilement celles des responsables politiques en place. Certes des hommes ont joué un rôle décisif lors de basculements historiques de la France. Si Louis XVI avait fait tirer les Gardes Suisses aux Tuileries au lieu de se réfugier au Palais Bourbon … Si Napoléon III n'avait pas déclaré sottement la guerre à la Prusse … Si Clémenceau avait pris sa retraite au lieu de participer au traité de paix à Versailles … Si de Gaulle avait été fusillé pour sa condamnation en août 1940 à la peine de mort … Il nous semble évident que la France eut connu un destin différent. Est ce si sûr ?
De la même manière, la France aurait pu disparaître si Jeanne d'Arc n'avait forcé des chefs de guerre à se battre alors que la Cour royale préférait vivre sous la soumission des Anglais. Il y eut bien sûr d'autres héros, innombrables, et beaucoup d'intelligence et de goût du beau et du bien commun depuis Clovis premier roi des Francs, pour créer et développer la France jusqu’à la mener à être un joyau presque parfait et qui rayonna sur une grande partie du monde.
Mais il y a aussi les rôles des institutions et des corps sociaux et certainement bien d'autres facteurs encore : les hommes et femmes en place ne sont pas à eux seuls responsables. Le dernier empereur romain ne fut pas responsable de la fin de l'empire romain. Et si Vauban avait pu convaincre Louis XIV de taxer la noblesse, l’église et le tiers état selon son projet d'une taxe unique de 10 % nous n'en serions peut être pas là !
Le déclin comme la montée d'une nation s'apprécie dans le temps long selon de multiples critères : comment mesurer alors si nous, Francs héritiers de Clovis, sommes irrémédiablement entraînés vers l'abîme ou si un sursaut et une renaissance à la Jeanne d'Arc sont encore possibles ?
C'est le mérite immense et il me semble unique en France de JGM d’analyser nos forces et nos faiblesses dans la continuité du temps de l'histoire de France, et de l'Europe, et non dans l'instant de l'actualité, pour nous présenter les évènements et dates qui sont des charnières. J'ai enfin compris pourquoi JGM fait si souvent référence au passé de la France.
N'ayons pas un esprit “ habitué “ à la qualité de l'Insolent qui nous ferait passer à côté de l'essentiel.
Rédigé par : Dominique | mercredi 29 jan 2020 à 01:48
Je suis en train de lire une publication remarquable: la vrai différence entre royauté et république avec des arguments clairs! A acheter et à lire d'urgence !
"L'anarchie plus un....une pensée de Hans Hermans Hoppe"
Rédigé par : Colette B. | mercredi 29 jan 2020 à 11:18
Cette constitution de 1958, "gravement" amendée en 1962 et violée allègrement en 1972 quand Pompidou jette Chaban-Delmas et sa nouvelle société, dérive depuis le quinquennat dans tous ses défauts.
Elle n'a plus grand chose de démocratique mais en brosse les oripeaux à l'intention des croyants et des niais.
En fait, elle ment !
Rédigé par : Catoneo | mercredi 29 jan 2020 à 14:01
@ Colette B.
La seule royauté contemporaine possible est la monarchie constitutionnelle comme en Espagne. Bertrand Renouvin l'a clairement et de façon irréfutable démontré. Quand à la république, elle peut s'illustrer sous des "modèles" très différents les uns des autres, et pas seulement comme pratique des "valeurs (dites) républicaines" cosmopolites tant vantées par "nos" dirigeants. Les États-Unis sont en république, tout comme hier l'Argentine justicialiste, et bien d'autres souvent très différents les uns des autres. Une république peut tout à fait être un régime honorable, Paul Déroulède a donné les grands traits d'un tel régime de Salut Public.
Rédigé par : RR | mercredi 29 jan 2020 à 23:04
@ Colette B
Merci pour ce livre de HH Hoppe :
https://www.amazon.fr/laristocratie-monarchie-d%C3%A9mocratie-d%C3%A9clin-%C3%A9conomiques/dp/1660635403/ref=mp_s_a_1_1?qid=1580414588&refinements=p_27%3AHans-Hermann+Hoppe&s=books&sr=1-1
Rédigé par : Dominique | jeudi 30 jan 2020 à 21:08
On observe que les vrais extrêmes aujourd'hui ne sont pas RN ou LFI mais cet extrême-centre bonapartiste sarko-macronniste.
Quand on pense que Salvini était traité il y a peu de fasciste, il a convoqué suite à blocage des Législatives anticipées, en France on envoie la flicaille !
Ne parlons pas du Royaume-Uni qui respecte quoiqu'il en coûte les référendum et aussi convoque Législatives anticipées lorsqu'il y a blocage. Même De Gaulle respectait les référendum et convoquait Législatives anticipées.
Il est donc clair que Macron n'est plus très éloigné de Poutine et que nous ne sommes plus en Démocratie !
Rédigé par : françoise | vendredi 31 jan 2020 à 08:39
Dans son dernier éditorial, Bertrand Renouvin nous donne une très intéressante analyse sur l'évolution de "notre" régime présidentiel:
http://www.bertrand-renouvin.fr/propos-sur-la-dictature/#comments
Rédigé par : RR | samedi 01 fév 2020 à 00:17