Ce 13 mai, s'ouvrait à Dijon le 52e congrès de la CGT. La vieille centrale semble bien affaiblie. Fin 2017, on découvrait[1]déjà que, sous la direction de Martinez les effectifs avaient diminué de 34 % en un an : le nombre d’adhérents ayant réglé au moins un mois de cotisation était passé de 649 899 à 427 431.
Elle le reconnaît, à sa façon elle-même. Mais ne nous leurrons pas : si pendant 50 ans la CGT a pu être analysée comme une courroie de transmission du Parti, celui-ci, réduit politiquement et électoralement à la portion congrue, doit être considérée que comme une sorte de pépinière au service de forces syndicales toujours puissantes, la CGT et la FSU, mais aussi d'autres organisations très actives d'apparence culturelle ou caritative.
L'Huma du 13 mai n'hésite pas à constater le discrédit relatif de la centrale. Mais elle le transfère sur l'ensemble des syndicats. Et elle le fait dans les termes suivants, attribués aux gilets jaunes : "Trop politisés", "trop éloignés des réalités", "inefficaces", "tous pourris", les mots lancés sur les ronds-points à l’encontre des syndicats sont violents constate le journal communiste.[2]
Le grand reproche fait aux appareils est analysé de la sorte : "Loi travail, ordonnances Macron, privatisation de la SNCF… les réformes passent malgré les mobilisations et le monde du travail souffre. Il en va de même au niveau local, quand, malgré les grèves, sites industriels, services hospitaliers et autres bureaux de poste ferment." Remarquons que cela ne met pas en cause les fausses propositions dans lesquelles s'enferre et auxquelles s'accroche l'appareil dirigeant de Montreuil.
La Fédération nationale des industries chimiques a diffusé sa critique en constatant que "la CGT a été dans l’incapacité d’opposer un rapport de force à la déferlante de lois et mesures antitravail, de la loi El Khomri aux ordonnances Macron.[3]"Cette critique interne dénonce seulement la modération des méthodes d'action.
Une nouvelle stratégie est donc suggérée par l'irruption du mouvement des gilets jaunes : "Depuis le 17 novembre, constate encore le journal communiste, la colère accumulée jaillit. Salariés, chômeurs, autoentrepreneurs, assistantes maternelles, retraités, fonctionnaires, équipés de leur gilet jaune s’organisent, sans les syndicats, en portant souvent les mêmes revendications : hausse des salaires, des pensions, développement des services publics, justice fiscale.[4]"
Il faut donc, toujours si on suit la ligne de raisonnement des communistes nouvelle manière, en finir, avec la séparation très nette jusque-là entre "deux mondes du travail qui ne se côtoient pas. Si la CGT, Solidaires et la FSU tentent la convergence, [bien que] de part et d’autre, la méfiance demeure.[5]"
Il existe donc certainement des débats. La direction stalinienne rêve de quitter la Confédération européenne des syndicats pour rejoindre la FSM, créée en 1945 à Prague, revigorée par le congrès de La Havane de 2005. Elle n'y parviendra que difficilement.
Le syndicat est doublé dans le secteur privé par la CFDT. Et, de ce fait, la défaite et les difficultés divisent, une fois encore. Le congrès cégétiste commencera même par une démarche qui nous rappelle le bon vieux temps. Autrefois, toutes les organisations communistes du monde appelaient cela l'autocritique. Sans doute la manière de présenter la chose aura quelque peu évolué. Qu'on se rassure cependant. La direction cégétiste ne faillira pas à la règle. Elle fera, en apparence du moins, le bilan de ses erreurs, comme tout croyant face à ses confesseurs.
Rappelons quand même ici ce qui s'est passé dans les dernières années. Le mandat du camarade Bernard Thibault se terminait en 2013. Dirigeant communiste lui-même, quoiqu'ayant adopté une position plus discrète que les Frachon, Séguy et autres Krasucki, il avait été désigné à l'unanimité en 1999. Or, en 2012, une rivalité de personnes, et un conflit de fédérations professionnelles, empoisonnait la question de sa succession, lors même que le bureau politique du parti n'était plus à même de trancher. En mars, fut rejetée la candidature d'une infirmière, Nadine Prigent, la favorite du secrétaire général lui-même. À titre de compromis, celui-ci se trouva contraint de laisser nommer, en octobre, un véritable ouvrier de l'industrie capitaliste ex-Moulinex, en la personne de Thierry Lepaon. Militant syndical depuis l'âge de 17 ans, il ne pouvait se prévaloir d'aucun antécédent connu dans l'appareil autrefois international, - c'est-à-dire, alors, soviétique, - du mouvement. En mars 2013 il devint le patron nominal de l’organisation. Mais très vite furent lancées contre lui les accusations staliniennes les plus diverses[6]. On fabriqua entièrement un faux scandale sur les travaux de l'appartement mis à sa disposition par la CGT elle-même.
Il dut donc démissionner en janvier 2015 pour laisser sa place à Martinez, fils d'un militant communiste combattant des Brigades internationales créées par le Komintern durant la guerre d'Espagne. Lui-même membre des Jeunesses communistes dès ses années de lycée à Rueil-Malmaison, puis du Parti communiste français, travaille ensuite un temps chez Renault, etc. Un parcours rectiligne.
Or, une chose ne sera pas remise en cause : un seul candidat sera présenté pour succéder à Philippe Martinez et ce sera qui ? Philippe Martinez lui-même. "C’est un syndicaliste affaibli", — soulignent pourtant dans Le Monde[7] Michel Noblecourt et Raphaëlle Besse Desmoulières — "et qui ne s’en cache plus, qui sollicite un nouveau mandat de secrétaire général de la CGT."
Le concept du candidat unique demeure donc intact, insensible à l'érosion comme à la marche du temps. Mais personne, dans l'Hexagone, ne semble se soucier de cette survivance stalinienne.
Ainsi, l'unanimité communiste continue, en l'absence d'un appareil PCF vraiment visible. L'Humanité nous annonce que"la liste PCF sera la surprise des élections européennes"grâce au si merveilleux, au si génial, au si jeune, Ian Brossat. Un camarade d'une fidélité totale… y compris à la mémoire de ses ascendants staliniens.[8] Il ne convient pas d'ironiser d'ailleurs. Les sondages semblent assez pessimistes quant à son score le 26 mai. Les chiffres réels ne pourront donc surprendre les sympathisants qu'en bien, si leurs montants dépassent 2 ou 3 %, audience électorale réelle du parti. La dérision de tels sauts de puce ne doit pas nous induire en erreur. Le vieux PCF dispose encore d'une presse, moribonde certes... mais où en sont donc les journaux et radios de ses concurrents ?
Et lorsqu'il a décidé, contre toute attente de soutenir le mouvement des Gilets jaunes, il a fini, à partir de décembre, par entraîner sur ce terrain, inattendu en novembre, pratiquement toute la gauche marxiste et militante.
La CGT aujourd'hui n'est plus le seul syndicat à suivre une ligne finalement très proche des orientations sinueuses du vieux parti démonétisé : la FSU, majoritaire dans l'Éducation nationale, et SUD Solidaires, réservoir gauchiste la suivent pratiquement en toutes circonstances.
Méditons, nous aussi, la fameuse formule de Bertold Brecht et constatons que le ventre qui engendra la bête, effectivement immonde, du stalinisme demeure intact en France : l'idéologie et la praxis marxistes impunies.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf.Le Canard enchaîné27 décembre 2017
[2] L'éditorial de L'Huma du 13 mai était intitulé de manière significative : "A l’heure des gilets jaunes, le syndicalisme face à ses défis."
[3] cf. article "A la CGT, comme un air révolutionnaire" in Libérationdu 11 mai
[4] cf. éditorial de L'Huma du 13 mai.
[5] cf. éditorial de L'Huma du 13 mai.
[6] dès 2012, les rumeurs de ses éventuelles sympathies maçonniques devinrent accusation au point que le blog maçonnique de L'Express dut démentir : "Thierry Lepaon n’aime pas les francs-maçons". On sait que depuis la création du Komintern, aux 21 conditions imposées par Lénine en 1919 à tous les partis, considérés comme autant de sections nationales d'un mouvement mondial, une 22e condition fut imposée par le IVe Congrès de l'Internationale en novembre-décembre 1922, celle de démissionner de la franc-maçonnerie. L'incompatibilité absolue s'est, officiellement, vaguement estompée au sommet à partir de la seconde guerre mondiale, mais l'antagonisme culturel demeure.
[7] cf. article "Philippe Martinez affaibli, mais sûr d’être réélu à la tête de la CGT"
[8 ]Lecteur du chapitre XVIII du Livre d'Ézechiel je ne pense pas que l'on soit comptable des fautes de ses parents.
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Le Parti communiste tente de récupérer les Gilets jaunes. Rien d'étonnant à cela. Il avait déjà essayé de récupérer Mai-68.
Les Gilets jaunes, c'est le fantasme absolu de tous les révolutionnaires et de tous les çavapétistes. Depuis des années, ils nous répétaient : ça va péter, ça va péter, je le sens, je le veux... et puis, ça pète.
Le çavapétiste n'en croit pas sa chance. Son heure est venue, il va enfin pouvoir réaliser ses rêves. Il est donc fondamental que le mouvement s'approfondisse et se radicalise, pour que ça "pète" vraiment.
Le gilétiste devient donc un saint laïc (voire catho, pour les bigots politico-religieux). Il est absolument interdit de dire quoi que ce soit à son égard qui ne serait pas 100 % élogieux. Le gilétiste c'est le Peuple, le Peuple c'est moi, et critiquer les Gilets jaunes c'est barrer le chemin à la toute-puissance de mon égoïsme et de mes illusions politiques.
D'où le déchaînement d'insultes, quand ce n'est pas de violences et même de menaces de mort, contre quiconque ne soutient pas les Gilets jaunes de façon carrément vociférante -- et ne parlons pas de les critiquer, bien entendu.
Naturellement, comme toujours en pareil cas, ça ne pète pas. Bien au contraire, ça se termine en eau de boudin, parce que les Gilets jaunes réunissent des mécontentements très divers voire même opposés, qu'il n'y a aucune stratégie, que les revendications sont même contradictoires, etc.
Mais une fois de plus, on aura assisté à ce phénomène grotesque de tentative de révolution par procuration. Tout ce que la France compte de mécontents, ou de pas spécialement satisfaits, a interprété le mouvement des Gilets jaunes à l'aune de ses désirs à lui.
C'est ainsi que certains ont assuré mordicus que les Gilets jaunes représentaient l'opposition à l'immigration (tandis que des Gilets jaunes réclamaient des mesures en faveur des réfugiés), d'autres ont prétendu à rebours de toute vraisemblance qu'il s'agissait d'une émeute libérale (alors que le rétablissement de l'ISF avait été mis en avant dès le début), et ainsi de suite.
La croyance résolument anti-démocratique, et anti-libérale, qu'il faut tout casser pour se faire entendre, et mettre les choses à plat pour recommencer à partir de zéro, a fait saliver des millions de révolutionnaires en pantoufles (ou en cagoule).
On a raté l'avant-garde de la classe ouvrière (le prolétariat n'a pas voulu de nous), on a essayé de se servir des immigrés comme masse de manoeuvre (mais ça nous est revenu dans la figure), maintenant on a sous la main une bande de metteurs de bololo déchaînés, on ne va pas rater la fête. Cette fois-ci, c'est la bonne, on va y arriver. Pas question de se laisser voler sa révolution, et c'est nous (moi, je) qui allons lui imprimer notre marque. Les manants feront ce que nous voudrons.
On a vu... 17 milliards de cadeaux avec l'argent gratuit des autres, c'est à dire, d'une manière ou d'une autre, 17 milliards d'impôts ou de dette en plus. Mais il en faudrait plus pour faire changer d'avis les idolâtres du "peuple".
Je constate que même des esprits supérieurs, libéraux proclamés (et effectivement libéraux, lorsqu'ils ne s'égarent pas dans le poutinisme), ont tenté de manipuler l'émeute gilétiste pour parvenir à leurs fins -- électorales, personnelles et familiales, en l'occurrence ; j'ai nommé Charles Gave et sa fille Emmanuelle.
Rédigé par : Robert Marchenoir | mardi 14 mai 2019 à 17:22
"(…) Brigades internationales créées par le Komintern durant la guerre d'Espagne"
Utile rappel. Quand on pense que ceux qui en ont été bénéficient grâce à l'ancien vendeur de l'Humanité Jacques Chirac du statut d'Ancien combattant français au même titre que nos Anciens de 14-18 et de 39-45! C'est une honte.
Je le dis d'autant plus que je n'ai aucune sympathie nostalgique pour le franquisme.
Rédigé par : RR | mardi 14 mai 2019 à 18:17
Affaire Vincent Lambert
Il est malheureusement impossible de savoir ce que souhaite Vincent Lambert : pour ou contre l’arrêt de son maintien en vie dans les conditions qui sont les siennes. Dans le cas contraire évidemment seule sa décision et elle seule devrait être respectée sans discussion que nous la partagions ou pas. Mais dans l’ignorance, il parait être la moindre des choses de ne pas le laisser mourir.
Je pense par ailleurs que si c’est à sa famille de décider, que c’est l’avis des parents et des enfants de l’intéressé (en l’occurrence ici uniquement des parents, l’accidenté n’ayant pas d’enfant) qui doit prévaloir. De quoi se mêle le neveu ?
Il est inadmissible que la « Justice » (dont on connait les orientations) ait son mot à dire dans cette décision.
https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2019/05/13/vincent-lambert-la-procedure-darret-des-traitements-sera-mise-en-oeuvre-la-semaine-du-20-mai_868875
Petite réponse
Quelle passage de la chronique ce commentaire commente-t-il ?
Rédigé par : RR | mardi 14 mai 2019 à 23:32
Que doit penser le père de Ian Brossat lui qui mangea du Stalinien matin midi et soir au Comité central de la LCR!.
Une sorte de révolte contre le père, mais dans la même basse cour. Un combat de petit coqs.
Rédigé par : Laurent Worms | mercredi 15 mai 2019 à 09:09
"Petite réponse
Quelle passage de la chronique ce commentaire commente-t-il ?"
Mes excuses pour cette intervention en effet sans rapport avec la chronique sur la CGT. Je me suis permis cet écart uniquement en raison de la gravité de cette affaire au terrible dénouement visiblement proche. Et je vous remercie vivement de m'avoir publié.
Rédigé par : RR | mercredi 15 mai 2019 à 14:42
@ Robert Marchenoir
Votre "çavapétisme" à vous s'exerce à domicile derrière votre ordinateur. À défaut de nous épargner de vos insanités "littéraires" présentes sur une quantité impressionnante de blogs (où vous foutez la m...), il a le mérite au moins de nous épargner de vos odeurs.
Rédigé par : RR | mercredi 15 mai 2019 à 15:02