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Face à la consternante sottise contemporaine, deux pensées du XIXe siècle se révèlent salubres et prémonitoires, celles de Nietzsche et de Dostoïevski. Hélas souvent mal comprises, on les aborde en général trop tôt, sous l'influence bien intentionnée d'éducateurs et de conseilleurs imprudents, les ayant lus eux-mêmes dans le désordre. Si l'on se fixe, en effet, sur la Naissance de la tragédie, pour l'un, sur Crime et Châtiment pour l'autre, on passe à côté de l'essentiel du message de leurs auteurs.
La publication par le Magazine Littéraire[1] d'un dossier consacré à Nietzsche (1844-1900), 23 pages inégales sur une revue de 98 pages, a pu attirer le chaland, y compris parmi les lecteurs de cette chronique. Ils y ont dès lors, éventuellement, trouvé 2 ou 3 articles non-dénués d'intérêt.
En particulier, malgré une absence regrettable des dates correspondantes, indication essentielle dans toute étude historique, même s'agissant de philosophie, l'amalgame, insupportable mais courant, entre pensée nietzschéenne et national-socialisme[2], est clairement dénoncé.
Dommage en revanche qu'en 23 pages de revue, le nom de Heidegger (1889-1976) n'apparaisse pas. Il reste pourtant l'auteur de deux volumes, intitulés Nietzsche I et Nietzsche II à partir des 6 séminaires qu'il consacra, entre 1936 à 1942, à la réfutation de l'œuvre nietzschéen au point qu'on a pu le présenter comme son "adversaire le plus intime".[3]
On pourra apprécier dans cette même livraison un plutôt joli portrait du philosophe dessiné par Edvard Munch. Cette œuvre, crayonnée d'après une photo bien connue, est hélas datée de 1905, alors que notre cher Fritz était mort depuis 5 ans. La couverture de la revue est réalisée, quant à elle, à partir d'une autre photo, cent fois utilisée, qui date de son hospitalisation à Iéna en 1889.
Ayons la faiblesse, ici, de préférer un Nietzsche dans toute la force de sa jeunesse passionnée et tourmentée.
Le principal auteur de ce dossier, Dorian Astor connaît assez bien son sujet. Ce qu'il ne dit pas compte donc au moins autant que ses aveux. Rappelons en cette occasion, parmi les innombrables et déroutantes affirmations nietzschéennes, cette idée paradoxale que l'on écrit pour dissimuler sa pensée.
Venons en donc à une mauvaise action, accomplie avec autant de plaisir que de conviction, par votre chroniqueur préféré, il y a quelque 30 ans de cela. Elle m'a été involontairement suggérée par Georges-Arthur Goldschmitt dans l'inutile avant-propos qu'il insérait en 1977, accolée à l'édition de la belle biographie écrite par Daniel Halévy[4], prohibant d'avance toute réédition de la Volonté de Puissance, idée centrale de l'auteur dont a pu dire qu'elle constitue le péristyle du temple dédié à Zarathoustra. 30 ans après avoir réédité la traduction de Henri Albert : aucun regret. Au contraire : de précieux, amicaux[5] et instructifs souvenirs autour de cette petite bataille.
On doit savoir en effet qu'Élisabeth Förster, sœur tant soit peu abusive de Nietzsche, n'a joué, en l'occurrence[6], aucun autre rôle que de celui de confier les Fragments posthumes des Archives Nietzsche au musicien Heinrich Köselitz (1854-1918). Également connu sous le surnom de Peter Gast[7], celui-ci que N. considérait comme son seul véritable disciple et partisan de la révolution aristocratique à laquelle il aspirait, classa et regroupa, d'abord 483 aphorismes posthumes, qui furent édités en 1901 sous le titre prévu de "La Volonté de puissance" et les compléta par 584 autres en 1906.
Ces pages, clairement mises en ordre, éclairent toute la pensée de celui qu'il faut d'abord considérer comme un poète.
Nietzsche ne se réclame pas du nihilisme, et il explique, au contraire, dans la Volonté de puissance combien il s'oppose au nihilisme européen contemporain. Il ne reprend aucunement à son compte la rumeur de la mort de Dieu, criée dans Zarathoustra par un forcené.
Les gens qui ne l'ont pas lu[8] devraient cesser de salir ce constructeur en le mettant au service de la destruction.
N'a-t-il pas écrit, dans la Naissance de la philosophie à l'époque de la tragédie grecque : "C'est de la même source que coulent la lumière éblouissante de la vie et l'ombre de la mort".
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf. Magazine Littéraire N°15 daté d'avril 2019.
[2] Le nom de Nietzsche est à peine cité, une seule fois sauf erreur, et de façon méprisante, par le philosophe officiel du IIIe Reich Alfred Rosenberg, dans son "Mythus des 20. Jahrhunderts".
[3] traduits en français, dans la collection Idées chez Gallimard.
[4] "Nietzsche" par Daniel Halévy, 1977, 726 pages, dans la collection Pluriel, alors chez Grasset, sous la direction de Georges Liébert.
[5] En particulier celui d'un entretien chez Giorgio Locchi, qui se prolongea tard dans une nuit enneigée de janvier, et dont je sortis convaincu qu'il fallait entreprendre cette réédition.
[6] Chaque fois qu'elle voulut tirer les idées de son frère vers celles de son défunt mari, Förster, tant Nietzsche que, plus tard son ami Köselitz, s'y opposèrent vigoureusement. "Cette pauvre Lama [surnom que lui donnait son frère] n'a pas la tête philosophique".
[7] Témoignage de leur amitié et de leur proximité intellectuelle les 278 lettres de Nietzsche à Peter Gast, échelonnées entre le 27 mai 1876 et le 4 janvier 1889 ont été traduites et publiées en français.
[8] Il est évidemment malheureux que ses traducteurs anglais aient transformé le titre allemand "der Wille zur Macht" en "The will of power", introduisant un contresens total. Les magnifiques traductions françaises de l'Alsacien Henri Albert, lui-même parfait bilingue, sont très supérieures.
Cher Jean-Gilles vous ne dites pas clairement que cette réédition de la Volonté de puissance se trouve dans votre catalogue du Trident (dont le lien est après le dernier ouvrage présenté à gauche). Il s'agit donc d'une bonne et non d'une mauvaise action : votre modestie peut nuire à notre information !
J'en profite pour écrire ici que les ouvrages que vous publiez au Trident sont tous d'un intérêt exceptionnel, notamment pour comprendre notre monde. Nous devrions les lire tous. Soyez chaudement remercié d'élever notre connaissance, avec l'Insolent et avec le Trident :-)
Petite réponse
Ouah... merci pour la pub. Mais ce n'était pas le propos:)
Rédigé par : Dominique | samedi 30 mar 2019 à 22:25
Nietzsche était à mon programme de terminale mais n'ayant pas été particulièrement assidu en cours de philosophie c'est le moins qu'on puisse dire (avec le recul je le regrette d'ailleurs maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire comme c... quand on est gamin !), je l'ai en fait découvert comme beaucoup au contact de la Nouvelle Droite dont il était une référence centrale sinon LA référence.
Il est certain que c'est une figure marquante et dont on peut tirer des enseignements. Contrairement à certains autres disons "grands auteurs", il est toujours actuel.
Comme introduction à son œuvre, on peut déjà lire les pages que lui consacre Alain de Benoist dans Vu de droite.
(je me rappelle de la réédition de La Volonté de puissance, même si je ne l'ai pas acheté à l'époque; toutefois, je finirai bien par le faire un jour je pense).
Rédigé par : RR | dimanche 31 mar 2019 à 01:49
Comme je l'ai dit, Nietzsche était au programme du cours de philosophie de terminale.
Notre prof nous avait demandé de nous procurer "Ainsi parlait Zarathoustra" en version bilingue français-allemand. Je ne l'ai en fait lu que des années après au contact de la Nouvelle Droite.
Un passage m'a assez marqué: "la morsure de la vipère", que j'ai déjà du lire une bonne cinquantaine de fois et que je relis encore de temps à autre.
Je trouve ce passage tout simplement extraordinaire, une leçon pour la vie.
J'ai découvert il n'y a pas très longtemps que l'acteur Michael Lonsdale en avait fait un enregistrement vocal:
https://www.youtube.com/watch?v=61vfPXDQa1k
Rédigé par : RR | mardi 02 avr 2019 à 01:47