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On résiste difficilement à certaines tentations. Après 15 jours d'immobilisation bien involontaire de cette chronique, le transfert inattendu du maire de Bordeaux vers le Conseil constitutionnel vient s'offrir sur un plateau d'argent comme occasion de reprendre le fil.
Reconnaissons en effet que la carrière du personnage relève de la caricature. Chirac, cette bonne vieille boussole fraternelle, indiquant le pôle Sud, ne s'y trompait pas, qui le qualifiait de meilleur d'entre nous.
Aucun joueur au monde n'a marqué, sans doute, autant de buts contre son camp. Et, depuis plus d'un quart de siècle au moins, il n'a jamais déçu. Toujours en pointe de l'erreur, néanmoins péremptoire, indéfectible chevalier du reniement des promesses et du mépris de l'électeur, on ne le retrouve jamais sur sa position de départ, à moins qu'il ait eu le temps de la trahir deux fois.
Son premier exploit d'une longue série remonte à 1989, soit exactement 30 ans, quand il conduit, avec Giscard la liste RPR-UDF aux élections européennes. Celle-ci arrive en tête avec 28 % des suffrages exprimés et obtient 26 des 81 sièges à pourvoir. Mais Juppé lui-même ne reste eurodéputé que quelques semaines, Son rôle se limitait déjà à celui de tête d'affiche électorale mensongère sans l'objectif de siéger.
À partir de cet exemple fondateur, retenons qu'il ne reviendra jamais sur cette pratique du commandement, si contraire aux traditions éthiques de la Marine, et qui consiste pour ce capitaine à quitter en premier le navire qui lui avait été confié.
Essayons dès lors de dépasser les méandres de cette triste carrière erratique, dont les zigzags n'intéressent même plus les caricaturistes. Relèvera-t-on seulement sa dernière défection palinodie : son devoir de réserve l'écartera de la campagne en vue des européennes du 26 mai. Or, depuis plusieurs mois, sous la houlette discrète du président chez qui s'était nouée l'opération, il pilotait discrètement une manœuvre centriste flanqué de Raffarin et de Bayrou.
La vraie question resterait celle des décisions grandes et petites, toutes funestes sauf erreur, prises sous sa responsabilité.[1]
Ministre des Affaires étrangères à plusieurs reprises il s'illustre dans le sinistre labyrinthe des guerres de Yougoslavie, dans lesquelles, répercutant une Lumière venue d'on ne sait où, il désigne clairement les Serbes comme méchants du film. En 1993, il viole l'avis du Parlement européen, en imposant l'entrée de la Turquie dans l'union douanière, décision proportionnellement aussi destructrice que l'adhésion de la Chine à l'OMC sans clause monétaire. En 2011, il réapparaît au quai d'Orsay, le temps de négocier à l'ONU les conditions de la si brillante opération de Libye. Entre-temps on avait retrouvé sa patte inimitable, associée à celle de son vieux compère Toubon[2] dans la rédaction du traité de Nice de 2001, assortit de la Déclaration des Droits, sans doute le texte le plus calamiteux pour la France et pour l'identité européenne dans toute la chaîne dévoyant les principes et les objectifs remontant au traité de Rome.
On n'en finirait plus de retracer ce qu'on pourrait tenir pour ses reniements, mais qui révèle plutôt des marques clairement socialistes en politique intérieure. Son titre de gloire restera évidemment, le fameux plan Juppé de 1995, étatisant la sécurité sociale et rendu possible par la réforme constitutionnelle de 1996. Il continue de faire ses ravages plus de 20 ans plus tard, par exemple par l'effet durable du numerus clausus en médecine. Mais il ne saurait faire oublier, ni la fausse réforme ferroviaire de 1997, ni le sabotage de la loi sur les fonds de pensions qu'il s'employa à ne pas appliquer, etc.
Au regard de cette œuvre déjà lourde de conséquences, sa nomination par Ferrand au conseil constitutionnel, ne doit pas être saluée comme la fin salutaire d'un si lamentable parcours mais au contraire comme son passage à un stade supérieur de nuisance.
Cette nouvelle recrue contribuera au renforcement du gouvernement des Juges non-élus, censeurs des décisions populaires et parlementaires. La pratique n'a cessé de s'en développer depuis les Badinter, Jean-Louis Debré, Fabius, au mépris de l'esprit constitutionnel de 1958 et au nom de la théorie du bloc de constitutionnalité inventée au hasard d'une décision de 1971.
Mais ceci, aurait dit Kipling, peut être considéré comme une autre histoire.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] À sa manière le communiqué de la présidence de l'Assemblée le proposant comme conseiller constitutionnle succédant à Lionel Jospin ne dit pas autre chose : "Alain Juppé est un homme d’État, fort d’une expérience de la décision publique, qui saura avec une véritable exigence républicaine garantir le respect des principes et des règles fondamentales de la Constitution de la république."
[2] Aujourd'hui dévoué aux fonctions [presque bénévoles] de Médiateur de la république.
D’abord, en cette période où le grand débat a remis sur la table les cumuls de rémunérations des anciens Présidents qui siègent au Conseil constitutionnel, l’arrivée d’Alain Juppé, quittant un traitement de 3.694 euros bruts en tant que maire de Bordeaux (mais qui grimpait à 8.435 euros avec la présidence de Bordeaux Métropole) pour accéder à un 13.300 euros nets auquel il pourra ajouter ses multiples retraites, sans écrêtement ni limite, ne redore ni son blason ni celui du pouvoir. L’Obs a calculé qu’il devrait toucher plus de 23.000 euros mensuels. De quoi rivaliser avec son compagnon de route Jacques Toubon, dont les 30.000 euros ont été révélés le mois dernier.
Rédigé par : gelé | lundi 18 fév 2019 à 08:13
J'avais déjà beaucoup plus qu'un gros doute concernant Juppé. Grace à vous c'est devenu un ensemble de certitudes.
Pourriez-vous écrire un truc sur Pécresse ?
Rédigé par : François Martin | lundi 18 fév 2019 à 10:21
Admirable confirmation du Principe de Peter" : "tout employé tend à s'élever à son niveau d'incompétence". Dans son cas, le niveau est stratosphérique.
Rédigé par : Marc | lundi 18 fév 2019 à 10:47
A 73 ans cet honorable virus sera en retraite probable 9 ans plus tard. Des babouches cousues d'or blanc pour le meilleur d'entre eux.
Rédigé par : minvielle | lundi 18 fév 2019 à 12:17
Alain Juppé à mon avis ni meilleur ni pire que les autres.
Le gratin politique français vaut ce qu'il vaut, et en l'occurrence il ne vaut rien et il est nuisible au Peuple.
Rédigé par : RR | lundi 18 fév 2019 à 16:01
C'est une misère qui exprime très bien le ridicule et l'aveuglement des salons bien chauffés parisiens, devant les nécessités de notre temps. Merci JG de cette bonne chronique qui replace l'animal dans son contexte.
Rédigé par : Cédric W | mardi 19 fév 2019 à 15:53
Heureux de vous retrouver cher Jean-Gilles !
Vous avez bien raison de rappeler les principaux méfaits de ce politicien. Il n'est pas un cas isolé mais son palmarès est effectivement hors pair.
Au delà de la nullité, la bêtise, la méchanceté, le mépris, la soif de pouvoir, d'honneur et d'argent de beaucoup de politiciens, ce qui est en cause - depuis deux siècles - c'est à mon avis la république et ses avatars : empire et dictature.
La république est un régime politique qui n'a jamais marché en France. Et ce n'est pas pour rien qu'il existe des républiques ... socialistes ... babannières ... et autres républiques qui sont d'authentiques dictatures en Afrique.
Notre royal pays tombé si bas ne s'en sortira jamais si ce système républicain n'est pas remplacée par une authentique DÉMOCRATIE, comme la Démocratie Suisse. Et dire que ous avons se modèle suisse à notre porte !
Rédigé par : Dominique | mardi 19 fév 2019 à 18:56
“à moins qu'il ait eu le temps de la trahir deux fois“
Cela me rappelle un vieux discours...
Rédigé par : Virano | mardi 19 fév 2019 à 20:10
Bien d'accord et merci de cette récapitulation de carrière du sinistre personnage. Un exemple parmi d'autres. Tandis que cette classe de parasites cumule les retraites sans écrêtement comme vous le dites, les veuves ont vu leur pension de réversion plafonnée. Mais finalement qui les a élus?
Rédigé par : Tonton Cristobal | jeudi 21 fév 2019 à 15:06