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Un lecteur m'écrit, de façon fort pertinente, comme pour me poser une question, dont il devine certes que ma réponse ne différera pas de la sienne, à propos de ma chronique datée du 24 janvier[1] et intitulée "L’inquiétude de ce qu'on appelle les territoires."
On ? "Ce on désigne, écrit-il, ceux qui nomment ainsi ce qu'ils croient nécessaire de ne pas nommer proprement. La question est, pourquoi le jugent-ils nécessaire. Pourquoi, une fois de plus, un mot juste est-il remplacé par un mot employé à tort si ce n'est à travers ?"
"Ce mot territoires, poursuit mon correspondant, s'est répandu en très peu de temps dans le discours officiel. Son emploi est vide de sens. Il a été choisi par les tenanciers de la novlangue. Il appartient désormais au jargon par lequel les individus de la caste politico-médiatique se reconnaissent." Sa conclusion toutefois me paraît un peu discutable quand il écrit : "Il sert donc à ne pas employer le bon mot, soit pour ne pas révéler l'intention, soit pour ne pas révéler la vacuité du discours."
Techniquement, juridiquement, constitutionnellement[2], la réalité de ce que désigne ce mot s'appelle les collectivités territoriales ou locales. "On" a pris l'habitude de les désigner sous le nom de territoires de façon [presque] légitime, dans la mesure où l'on ne prend en compte ni l'étiquetage des opinions ni la diversité de leurs statuts respectifs. En ce sens la séquence politique actuelle, où, droite et gauche confondues, villages, régions et métropoles se dressent dans une même protestation contre la mainmise technocratique de l'État central parisien, confirme le bien-fondé de cette conceptualisation.
Le régime que nous appelons républicain se montre ici incapable, une fois de plus, non plus seulement de décentraliser[3], mais même de prendre acte que la France n'existe que comme un ensemble de terres fort diverses rassemblées par l'Histoire.
Pour nos dirigeants, ce pays ne s'identifie qu'à une idée. Il ne s'agit même plus seulement du programme en 17 articles, jamais appliqué, de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789. On voit mal, d'ailleurs, pourquoi celle-ci, se voulant déjà[4] universelle, ne s'appliquerait pas à l'Italie, à la Belgique, etc. On va donc au-delà. On veut réduire le pays à l'idéologie sous-jacente à cette déclaration.
Laquelle idéologie a, certes, passablement dérivé depuis deux siècles, mais par nature, elle ne se reconnaît pas de frontières.
La qualifier de jacobinisme semble dès lors presque une litote ou bien un compliment immérité. Les jacobins de 1793 restaient encore attachés à leur terre, sinon à leur terroir. Ils désignaient leur parti du mot de patriotes, tout en utilisant ce vocable pour brûler les chaumières de Vendée ou noyer les Nantais dans la Loire.
Et c'est encore à eux que le maître de Martigues répond en 1947 quand il leur lance que "Le Patriotisme ne doit pas tuer la patrie."[5]
En vérité ce que l'on appelle, en France, le régime républicain s'éloigne de plus en plus d'un pouvoir représentatif des territoires. Il se construit comme gouvernement d'opinion, liquidant la représentation des contribuables, des fonctions sociales et de la diversité des terres sans laquelle l'impôt ne saurait se prétendre légitime. Le Sénat que la Troisième république respectait encore comme le Grand conseil des communes de France, à égalité avec une Chambre des députés, elle-même dominée par les partis, ne fonctionne plus sous la Cinquième qu'au titre de chambre consultative.
Dans la légende arthurienne, le roi et la terre ne font qu'un. Ceux qui ont tué le roi et le père ont, de façon très logique, transformé leur régime en dictature des ennemis de la terre et du peuple.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf. "L’inquiétude de ce qu'on appelle les territoires"
[2] cf. article 34 et titre XII de la constitution de 1958. Le terme de collectivité territoriale est apparu avec la constitution de 1946.
[3] Ce que le Félibrige provençal et son disciple Maurras dénonçaient déjà au XIXe siècle.
[4] Rappelons que, depuis 1948, est reconnue par l'ONU une Déclaration universelle des droits de l'Homme, rédigée par un Français, sensiblement différente de la Déclaration française de 1789, elle-même assez divergente du Bill Of Rights américain ratifié en 1791 mais qui était composé des Dix Amendements rajoutés dès 1787 à la Constitution de Philadelphie, ce qui lui confère l'antériorité par rapport aux travaux de la Constituante française.
[5] C'est le titre d'une brochure 32 pages. Ce texte publié en 1947 répond au sectarisme de la propagande gaulliste de l'époque. Il porte comme marque d'édition celle de La Seule France, c'est-à-dire qu'il fut édité par le mouvement d'Action française alors semi-clandestin, son chef se trouvant emprisonné. Les bibliophiles se le procureront aisément en occasion. Les politologues pourront s'interroger, l'ayant lu, sur le mariage de la carpe et du lapin dont est issu le souverainisme "gaullo-maurrassien".
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