Pour recevoir régulièrement les liens de L'Insolent, il suffit de le demander à son rédacteur en cliquant sur ce lien.
Connue du public le 18 septembre, au gré d'un entretien publié par L'Express, la demi-démission du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb fait couler beaucoup d'encre. Elle est assortie de commentaires les plus divers, et les plus fantaisistes. On présente ainsi comme absolument exceptionnelle l'annonce de son départ qu'il prévoit entre les élections européennes de 2019 et le combat municipal de l’an 2020 qu'il entend mener à Lyon.
On fait mine de s'en étonner, parfois même de s'en indigner, comme si les membres du gouvernement étaient attachés à la glèbe, exerçaient un mandat invariant…
On en retourne le sens comme si la constitution ne les rendait pas, au contraire et selon une procédure, claire dans la pratique encore que relativement obscure dans sa rédaction[1], dépendants du bon plaisir présidentiel…
On l'évoque comme si les départs simultannés de Marielle de Sarnez, de François Bayrou, de Sylvie Goulard, et de Richard Ferrand, ou plus récemment de Nicolas Hulot, n'avaient pas marqué des ruptures autrement plus fortes et plus dérangeantes, durant les 12 premiers mois du quinquennat.
Sans chercher à faire particulièrement ici l'apologie d'un vieux franc-maçonnard centriste, je crois cependant utile de mieux considérer la valeur du mandat local dans nos démocraties.
L'oubli et l'inversion du cursus politique traditionnel auront formé la tare de la cinquième république. Elle a transformé ses hauts fonctionnaires en ministres et ses ministres en députés, au lieu de considérer que l'on reste plus proche des gens, donc mieux préparé à les représenter, et à répondre à leurs aspirations, en commençant comme maire d'un village, conseiller d'un département, puis parlementaire, etc.
Les deux fondateurs, De Gaulle comme Pompidou n'ayant rien accompli de ce parcours, on a pensé cette exception pour un modèle. Et cela nous a donné un président, bon élève sans doute, complètement hors sol. Espérons que cette aberration ne se renouvellera plus.
Ces temps-ci, d'excellents esprits se préoccupent, par ailleurs, de l'apparition de régimes se présentant eux-mêmes comme autant de démocraties illibérales. Ce mot ne figurant dans aucun dictionnaire de ma bibliothèque s'expose par là même à ma suspicion. On parle aussi de démocratures. De tels termes et concepts, sans doute utiles, restent encore entachés d'un défaut de définition précise.
Presque tous les gouvernements du monde, y compris les plus dictatoriaux, se réclament aujourd'hui de la démocratie. Ils en respectent les apparences constitutionnelles, les procédures, les rites. Même lorsque le pouvoir est accaparé par un parti unique, on y organise des élections. Jacqueline de Romilly a démontré dans plusieurs ouvrages[2] qu'en la matière, le véritable héritage institutionnel de l'Antiquité, ne se caractérise pas par des procédures mais par l'existence du débat et par sa liberté.
Dans la pratique, les théories démocratiques modernes n'ont guère été retouchées depuis Montesquieu et Rousseau. Ces auteurs de référence ne connaissaient guère de régimes réels conformes au type qu'ils préconisaient. Tocqueville, lui-même pas tellement démocrate, n'a observé concrètement qu'une "démocratie en Amérique" (livre publié en 1825) où subsistait l'esclavage (aboli en 1863) et où les deux partis actuels n'avaient pas été organisés (le parti républicain date de 1854 et le parti démocrate de 1828).
L'expérience nous montre que sur quelque 180 pays théoriquement démocratiques, sur quelque 40 qui le sont réellement, tous les modes de représentation se rencontrent. De plus, tel système qui aura fonctionné pendant un demi-siècle, comme celui adopté par l'Allemagne en 1949, déraille aujourd'hui avec la multiplication des partis.
Les constitutions les plus solides, qu'il s'agisse de celles de l'Angleterre, des États-Unis, ou de la Suisse, si différentes, ont pu survivre à leurs crises en tournant le dos aux remèdes factices et mortels du jacobinisme et du bonapartisme.
Aucun de ces trois pays ne se laisse gouverner par des politiciens hors sols, idéologues coupés du réel, marionnettes de la capitale.
Au total les institutions fonctionnent plus durablement et résistent mieux quand les élus représentent un territoire et des habitants plutôt qu'une opinion.
Plus de la moitié des Français vivent dans des communes de moins de 10 000 habitants. Le pays compte 35 000 villages. C'est beaucoup plus que la ville de Paris, laquelle ne compte jamais que 80 quartiers, et pas seulement ceux des ambassades, des ministères et des palais nationaux.
Pour toutes ces raisons il me semble aujourd'hui raisonnable de ne pas se laisser manipuler par les médias et ne pas condamner si vite, indépendamment de sa personnalité, la fonction du maire de la bonne vieille ville de Lyon, capitale des Gaules.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf. article 8 de la Constitution : "Le président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions."
[2] cf. notamment Problèmes de la démocratie grecque, par J. de Romilly, éd. Hermann 2006, 198 p.
N'hésitez pas à soutenir L'Insolent en cliquant sur ce lien.
Pompidou, normalien, était fondé de pouvoir chez Rothschild avant que d'être appelé en politique.
Ce n'était pas pour autant un ministre déconnecté des réalités. Chirac, à certains égards, lui ressemble.
Finalement il y a des nuances. Mais pour revenir à Collomb, il n'a ni le tempérament ni la résilience de la fonction que Macron lui a confié pour n'avoir peut-être pas à la donner à quelqu'un d'autre. Permettez-moi de douter qu'à la mairie de Lyon il fasse mieux. Je le trouve très "liquide".
Rédigé par : Catoneo | jeudi 20 sep 2018 à 14:38
Sous "l'ancien régime" les parlements représentaient un territoire et ses élus défendaient leur cahier de doléances.
Mais le bon abbé Siéyes se méfiait des territoires, du peuple et à fait voter la "démocratie représentative" donc la démocratie d'opinion. Une fois élus, nos élites se reconnaissent dans des familles de pensée qui ne sont pas ancrés dans la tradition des peuples.
Seule les élites pensent bien et si le peuple vote mal, changeons le peuple!
Rédigé par : Jean Dionnot-Enkiri | vendredi 21 sep 2018 à 11:27