On entend chaque jour parler de nouvelles futures réformes. Celle qu'on annonce le lundi cède la vedette, le mardi, à une suivante et on ne parlera plus des deux précédentes quand arrivera la promesse du mercredi. Et nous commençons à comprendre que ce quinquennat risque fort de poser plus de premières pierres qu'il n'inaugurera d'ouvrages achevés.
Il s'est écoulé un mois depuis le 11 février. Ce jour-là, paraissait dans le Journal du Dimanche un entretien avec le chef de l'État. Or, celui-ci affirmait son intention de "poser les jalons de toute l’organisation de l’islam de France." Il se fixait même une échéance, celle du premier semestre de l'année en cours, ce qui lui laisse désormais moins de 4 mois pour aboutir, s'il s'en tient à ses intentions affichées.
Or, pour commencer, ce n'est pas tant sur l'effet d'une nouvelle organisation rêvée d'un islam français que l'on doit s'interroger. C'est plutôt d'abord sur les conséquences du débat, purement théorique lui-même, qu'il convient de se pencher.
On a ouvert une bonde. S'y sont déjà engouffré, au gré de tribunes publiées par Le Monde, trois intellectuels musulmans : Rachid Benzine, présenté comme islamologue et chercheur associé au fonds Ricoeur, Houari Bouissa, professeur d’histoire, et le sociologue Tarik Yildiz. Leurs textes étaient mis en ligne ensemble le 6 mars, le journal les regroupant sous le titre du premier incluant un avertissement opportun "Islam de France : gare aux fausses bonnes idées".
Or, l'expression "une fausse bonne idée" doit être comprise comme un euphémisme pour désigner une intention erronée, vouée à l'échec ou contre productive.
Pas besoin d'être étiqueté islamologue, ni associé au fonds Ricoeur, pour découvrir, dans le texte quelque peu confus, et très confusionniste, de Rachid Benzine que tous les technocrates qui prétendent réformer l'organisation de l'islam ne connaissent le sujet que d'une manière très superficielle, et ne l'abordent que d'un point de vue laïciste.
Cela ne date pas d'hier. Les ministres de l'Intérieur successifs, à droite comme à gauche, s'y sont essayés. En 1990, Pierre Joxe avait lancé un Conseil de réflexion sur l'islam de France (Corif). En 1993 Charles Pasqua avait créé le Conseil représentatif des musulmans de France (CRMF), présidé par Dalil Boubakeur. Ce médecin officiait, depuis l'année précédente, en tant que recteur de la Grande mosquée de Paris. Or, ladite institution, édifiée en 1926 a été financée par l'État français, en vertu d'une loi de 1920. Elle dérogeait en Métropole, de fondation, à la loi dite de Séparation de 1905. Mais elle allait être désignée, en 1995, par le gouvernement comme l'unique représentant de ce que l'on commence alors à considérer comme la deuxième religion de l'Hexagone.
En 1999, Jean-Pierre Chevènement, déjà lui, croit pouvoir miser, au contraire, sur la diversité des fédérations, y compris les plus proches des frères musulmans, du tabligh, etc.
En 2002, Nicolas Sarkozy, à son tour, reprend le dossier du CFCM, Conseil français du culte musulman, salué comme un succès au départ mais dont la faillite désormais n'est plus à démontrer.
Toutes ces politiques successives ont échoué pour des raisons faciles à identifier. Procédant de la culture dominante des dirigeants français, aveuglées par le laïcisme de ceux-ci, elles ignoraient tout du phénomène politico-religieux de la foi mahométane.
Leurs interlocuteurs musulmans se sont eux-mêmes employés à les désinformer, manipulant habilement les conceptions laïcistes.
Dès 1956, André Malraux observait avec juste raison : "c’est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l’islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine." Et il ajoutait alors que "les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles."
Aujourd'hui la logique politico-religieuse de cette poussée islamique échappe encore à nos responsables. Issus eux-mêmes de la haute administration, on les soupçonne de ne guère connaître la France réelle elle-même, dès lors que sa réalité franchit la frontière du boulevard périphérique parisien.
Comment s'étonner par conséquent de leur ignorance abyssale de la réalité islamique ?
JG Malliarakis
À lire en relation avec cette chronique
les deux livres de Henri Lammens à commander sur la pagecatalogue de l'éditeur, ou, par correspondance, en adressant un chèque de 35 euros pour les deux volumes [20 euros pour "Islam croyances et institutions" ; 15 euros pour "Qui était Mahomet ?"] aux Éditions du Trident, 39 rue du Cherche-Midi 75006 Paris.
Note de 1956, guerre d'Algérie, c'était peut-être l'occasion d'offrir au monde musulman un autre modèle de développement ...
Rédigé par : Dubitatif | mardi 13 mar 2018 à 21:22
1- Je crois que les responsables politiques, économiques et médiatiques ne font pas preuve d’une coupable ignorance mais d’une très coupable compromission. Ils ont été achetés pour bon nombre d’entre eux et n’ont pas cherché à résister à cette tentation. Cf le livre : « nos très chers émis » de Chesnot & Malbrunot. Peut-être que certains n’ont pas vu la portée réelle à terme de leur compromission ; mais, sauf exception, ils ne sont pas idiots et le savaient.
2- Je crois aussi que les pays du Proche et Moyen Orient savent bien des choses sur certains de nos responsables. C’est une vieille tradition française d’aller se défouler dans ces pays. Il doit bien y avoir des photos et des vidéos sur des soirées très dénudées. Révélées au public, on pourrait avoir de jolis petits scandales.
3- Mais ce qui, à mon avis, les guide le plus fortement c’est le mépris et pour tout dire la détestation que la caste éprouve envers le peuple. Elle cultive ces aversions depuis maintenant 50 ans.
Rédigé par : Ribus | mercredi 14 mar 2018 à 22:51
L'islam est un système total (une religion, un Etat, un droit). La loi de séparation de 1905 ne peut s'appliquer. L'islam ne comprend pas la notion de laïcité qui suppose la séparation de l'Etat et de la religion.
Rédigé par : Jacques Peter | vendredi 16 mar 2018 à 17:38
Avant Malraux, dès 1932, l'historien Louis Bertrand (oublié) écrivait en substance, à la fin de son introduction à son ouvrage "Histoire de l'Espagne" :
J'ai écrit ce livre pour montrer que l'histoire moderne est un affrontement constant entre l'Orient musulman et l'Occident chrétien ; nous voyons actuellement à des signes certains la résurgence de l'Islam qui, s'y nous n'y prenons garde, amènera l'occident à faire appel à de nouveaux "Rois Catholiques" pour rétablir la paix.
C'était 3 ans après la fondation des Frères Musulmans.
Rédigé par : Dupuy | vendredi 16 mar 2018 à 18:33
D'où vient cette citation de Malraux, étonnamment visionnaire en 1956 ?
Rédigé par : Ronald | vendredi 16 mar 2018 à 19:27
Malraux et l’Islam – 1956
La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion. Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau. Elle sera contrainte de trouver sa valeur fondamentale, ou elle se décomposera. C’est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l’islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles. A l’origine de la révolution marxiste, on croyait pouvoir endiguer le courant par des solutions partielles. Ni le christianisme, ni les organisations patronales ou ouvrières n’ont trouvé la réponse. De même aujourd’hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème de l’islam. En théorie, la solution paraît d’ailleurs extrêmement difficile. Peut-être serait-elle possible en pratique si, pour nous borner à l’aspect français de la question, celle-ci était pensée et appliquée par un véritable homme d’État. Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s’établir successivement à travers le monde arabe. Quand je dis « musulmane », je pense moins aux structures religieuses qu’aux structures temporelles découlant de la doctrine de Mahomet. Dès maintenant, le sultan du Maroc est dépassé et Bourguiba ne conservera le pouvoir qu’en devenant une sorte de dictateur. Peut-être des solutions partielles auraient-elles suffi à endiguer le courant de l’islam, si elles avaient été appliquées à temps. Actuellement, il est trop tard ! Les « misérables » ont d’ailleurs peu à perdre. Ils préféreront conserver leur misère à l’intérieur d’une communauté musulmane. Leur sort sans doute restera inchangé. Nous avons d’eux une conception trop occidentale. Aux bienfaits que nous prétendons pouvoir leur apporter, ils préféreront l’avenir de leur race. L’Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce processus. Tout ce que nous pouvons faire, c’est prendre conscience de la gravité du phénomène et tenter d’en retarder l’évolution.
André Malraux, le 3 juin 1956. Elisabeth de Miribel, transcription par sténographie. – Source : Institut Charles de Gaulle. Valeurs Actuelles, n° 3395.
Rédigé par : JG Malliarakis | samedi 17 mar 2018 à 00:43