Le 10 janvier à Istanbul, le président turc Erdogan s'exprimait dans le cadre d'une cérémonie au palais Yildiz pour le centenaire de la mort du Sultan Abdulhamid II.
Ni le lieu, ni le monarque ne doivent être tenus pour fortuits : ils représentent ce que l'on peut considérer comme les symboles les plus éloignés de notre culture de cet empire que l'on croyait défunt.
Yildizi Sarayi, le palais de l'Étoile fut certes construit sous la direction de l'architecte italien Raimondo d'Aronco : en fait le 34e sultan de Constantinople craignait les vieilles résidences impériales de Topkapi et de Dolmabahçe qu'il jugeait trop proches du Bosphore et de la Corne d'Or.
Ce souverain terrible, Abdulhamid II (1876-1909), fils cadet du sultan Adulaziz (1861-1865) a mis en effet un terme à l'œuvre réformatrice de ses prédécesseurs commencée sous le règne d'Abdül-meçid (1839-1861), refusant d'appliquer la constitution, qui n'entrera en vigueur qu'après la révolution jeune-turque de 1908-1909.
En 1876 il avait obtenu que soit écarté son frère aîné Mourad V. Celui-ci ne régna que 3 mois ; il sera présenté pour fou, alors qu'en fait, adepte de la franc-maçonnerie, il entendait continuer le programme de réformes de ses 3 prédécesseurs, connu sous le nom de Tanzimat. Cette œuvre de réorganisation avait été préfigurée dès 1830 : cette année-là, où fut reconnue l'indépendance de la Grèce, le sultan-calife Mahmoud II (1808-1839) avait publié cette déclaration officielle : "Je fais la distinction entre mes sujets, les musulmans à la mosquée, les chrétiens à l'église et les juifs à la synagogue, mais il n'y a pas de différence entre eux dans quelque autre mesure. Mon affection et mon sens de la justice pour tous parmi eux est fort et ils sont en vérité tous mes enfants."
Abdulhamid II au contraire cherchera à revenir sur tout ce qui tendait à rapprocher la Turquie de l'Europe.
S'il n'est mort qu'en 1918, il avait été d'abord relégué dans son palais par la première révolution jeune turque de 1908, puis déposé en 1909 et remplacé nominalement par son frère, le fantoche Reshad effendi qui régnera jusqu'en 1918 sous le nom de Mehmed. Le dernier sultan-calife Mehmed VI (1918-1922) s'enfuira, craignant d'être accusé de trahison après la victoire de Kemal et la proclamation de la république. Lui succédera, mais en tant que 101e calife seulement, de 1922 à 1924, Abdül-meçid II dont la fonction fut abolie au bout de deux ans, les actuels islamistes cherchant à la rétablir.
Entretemps Abdulhamid II avait créé en 1890 la milice dite "Hamidiyé". Recrutée dans les tribus montagnardes tcherkesses, kurdes, turkmènes, yeuruk et turcs proprement dits, ses principaux exploits consistèrent à massacrer et piller entre 1894 et 1896 les provinces arméniennes, valant à leur maître le surnom de Sultan Rouge. Le génocide arménien, qu'il est toujours légalement interdit d'évoquer en Turquie, ébauché sous ce règne, reprendra sous une forme plus industrielle, sous la direction d'Enver pacha et de Talaat pacha en 1915.(1)⇓
C'est donc en lui rendant hommage qu'Erdogan, a cru pouvoir déclarer : "la République turque est la continuation de l'Empire ottoman".
"La République de Turquie, comme nos états précédents qui étaient la continuité de l'autre, est aussi une continuation des Ottomans. Bien sûr, les frontières ont changé. Les formes de gouvernement ont changé. Mais l'essence est la même, le cœur est le même, même de nombreuses institutions restent les mêmes.", a déclaré
"C'est pourquoi, considère-t-il, le Sultan Abdulhamid est l'un des plus importants, des plus visionnaires et des plus stratégiquement conscients qui ont laissé leur marque au cours des 150 dernières années", a déclaré le président turc qui est allé un peu plus loin en notant:
"Trop de gens essaient constamment de commencer l'histoire de notre pays depuis 1923. Certaines personnes veulent nous couper de nos racines et de nos anciennes valeurs."
JG Malliarakis
À lire en relation avec cette chronique
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Apostilles
- Enver pacha interviendra au congrès de Bakou cf. mon petit livre "La Faucille et le Croissant" Islamisme et bolchevisme au congrès de Bakou⇑
C'est pourquoi cette Turquie actuelle m'apparaît comme un vieux pays modernisé. Regardez pour exemple les "clips" de variété turcs ou les émissions musicales. Ils en sont un témoignage flagrant. Alternent des moments "sexys", et des hommages à la tradition.
Rédigé par : minvielle | mardi 13 fév 2018 à 15:14
Pour Erdogan la repentance n'a pas lieu d'être. Contrairement à nos politiques qui renient leurs valeurs et leurs racines chrétiennes
Rédigé par : Liberte5 | mardi 13 fév 2018 à 22:53
On ne peut franchement reprocher à Erdogan ses références au passé ottoman!
Sa guerre contre les kurdes est une continuation des politiques précédentes; De toute façon les turcs considèrent qu'ils sont entourés d'ennemis!
Rédigé par : jlb | mercredi 14 fév 2018 à 10:05
Il est frappant de voir à quel point cette démarche d'Erdogan est similaire à celle de Poutine dans son propre pays. Là aussi, il y a une tentative strictement réactionnaire, de restauration, tendant à rétablir une continuité avec un passé présumé prestigieux et une identité présumée immuable.
Tout en réhabilitant des épisodes historiques considérés par l'étranger comme déplorables, auxquels le nouveau calife (ou le nouveau tsar) veulent retirer leur caractère infamant. Ce qui passe par un certain négationnisme et un traficotage de l'histoire.
On regrettera que cette tendance se fasse également jour en Pologne, avec la récente loi interdisant de parler de camps de concentration polonais. Pourtant, ce pays, martyrisé par l'histoire, victime à la fois des nazis et des soviétiques, est bien placé pour connaître les périls du mensonge et de la vérité officiels, dont lesquels la Russie était et reste le maître incontesté.
Autre analogie entre Erdogan et Poutine : tous deux se sont fait construire un palais personnel d'un luxe insolent, alors qu'une bonne partie de leur population croupit dans la misère.
https://news.vice.com/fr/article/a-look-at-president-erdogan39s-opulent-615-million-palace-four-times-the-size-of-versailles-fr-translation
http://www.bbc.com/news/magazine-17730959
Rédigé par : Robert Marchenoir | jeudi 15 fév 2018 à 00:22