Le 26 février, dans une intervention télévisée depuis Matignon, Édouard Philippe annonçait solennellement la perspective de ce qu'il appelle un "nouveau pacte ferroviaire".
Le Premier ministre a d'emblée capitulé, ou plutôt a-t-il botté en toucher sur la question de ce qu'on appelle la suppression des petites lignes. A l'entendre, la SNCF "ne peut pas décider de la fermeture de 9 000 kilomètres de rails depuis Paris sur des critères administratifs et comptables."
Et les commentateurs agréés se sont précipités dans la brèche. Ils confondent allègrement l'infrastructure et le train. Fermer une ligne exploitée par la SNCF ne veut pas dire supprimer la voie ferrée correspondante : elle peut servir à toute autre compagnie régionale, ou subventionnée par la région, distincte de la SNCF monopolistique. Il existe ainsi déjà depuis longtemps de trop rares situations de ce type. Les TER, aujourd’hui supportées financièrement par les régions échappent à la gestion locale : du jour au lendemain, Paris pourrait rendre aux différents centres de décisions payeurs la responsabilité de ces lignes. Nous renversons même la phrase : Paris devrait rendre, Paris doit rendre, aux régions ce qui leur appartient puisqu'elles payent.
La condition n'échappe à personne : elle suppose le libre choix par ces nouveaux employeurs de contrats librement négociés avec leur personnel. En clair cela veut dire : suppression du statut du cheminot.
Sur cette question le pouvoir actuel semble acculé à ne pas dissimuler l'existence d'une telle éventualité. Et c'est ce qui amène les bureaucraties syndicales à pratiquer une surenchère. Celle-ci peut certes leur apporter quelques voix supplémentaires aux élections professionnelles, mais aussi un surcroît d'impopularité dans le pays.
La prétention de deux centrales réputées modérées, minoritaires dans l'entreprise, UNSA et CFDT, à frapper plus fort que la CGT et Sud-Rail, doit être considérée comme caractéristique. Ceux-ci proposent simplement pour le moment une participation à la manifestation des agents du service public le 22 mars ; ceux-là n'hésitent pas à envisager une grève reconductible le 12 mars.
Pendant ce temps on entend d'innombrables affirmations ridiculement peremptoires. Elles viennent de gens qui n'ont évidemment jamais lu les 127 pages du Rapport Spinetta. Certes les 43 propositions auxquels il se livre méritent plus qu'un examen attentif et certainement plusieurs débats. Mais il faut aussi partir de certains constats, par lesquels commmence le rapport. Il ne devraient échapper à personne que la SNCF est actuellement divisée formellemnt en 3 unités distinctes, 3 "EPIC" dans le jargon technocratique. Mais elle ne doit pas redevenir la compagnie unique, créée en 1937 et qu'elle a cessé d'être, à juste titre, en 1997. Cette année-là, Juppé crut bon de confier la direction du Réseau à un cadre du parti communiste : Claude Martinand. Membre du PCF, il avait été directeur du cabinet de Charles Fiterman, ministre des Transports, lui aussi PCF, dans le gouvernement Mauroy (1981-1984). Martinand dirigea ensuite l’Institut géographique national (IGN), puis il passa quelques années au ministère de l'Équipement. Nommé en 1997, par le gouvernement, à la tête de Réseau ferré de France nouvellement créé, il présida l'établissement public chargé de l'infrastructure ferroviaire jusqu'en 2002.
Avec une telle direction, aucune crainte de privatisation ou même de mise en concurrence de la structure ferroviaire. Sa mission était uniquement de tromper Bruxelles et la Banque centrale européenne en masquant la dette publique de l'Hexagone : 20 ans plus tard, on voit le résultat. Malgré les efforts de ses successeurs, la compagnie, rebaptisée en 2013-2014 SNCF-Réseau, est surendettée et l'État central parisien ne sait pas comment s'en sortir.
On pourrait lui dispenser ce simple conseil : sortez d'abord du mensonge, dans ce domaine comme les autres, et cessez de pratiquer via vos commentateurs agréés, et leur langue de bois, ce qu'il est à la mode d'appeler "fake news" et qui s'appelle, en fait, de la désinformation.
JG Malliarakis
Sujet emblématique qui m'a donné l'envie d'amener dans ce billet de Jean-Gilles une optique comptable.
https://www.sncf.com/fr/groupe/finance : il est possible d'importer par un simple clic le Rapport Financier de 212 PAGES ... oups !
Regardons les comptes financiers. L'ambiance est posée dès le début, la Sncf est en marche pour :
" 5.1 Permettre une mobilité durable des voyageurs p. 16
5.2 Réduire notre empreinte environnementale p. 17
5.3 Favoriser le développement humain p. 19
5.4 Contribuer à la cohésion sociale et au développement des territoires p. 20
5.5 Gouvernance RSE, éthique et transparence p. 20"
Les paragraphes se succèdent pour apporter de l'information comptable hélas seulement de grands agrégats et au bout des 212 pages le lecteur en ressort moins bien informé sur les aspects financiers qu'il serait en droit de l'être.
Pourquoi ?
- essentiellement : il n'y a AUCUNE COMPTABILITE ANALYTIQUE. On ne saura donc pas combien coute un train, un employé, un km de ligne ancienne, de ligne tgv, combien coute l'énergie par voyage et passager selon les moyens de transports : fer, bus ...et vélo ! Or seule une compta analytique permet de mesurer, pour réfléchir et prendre de bonnes décisions.
Ce sont les mêmes grands agrégats qui sont repris tout au long des 212 pages : chiffre d'affaire, personnels, achats extérieurs, énergie etc.
Plus gênant : on reste perplexe sur l'apparente faiblesse des amortissements de la Sncf : 2.400 Millions.
Je n'ai pas lu de note à ce sujet et je n'ai pas pu appréhender les comtes de Sncf Réseau (ex RFF); sinon que SNCF facture 6,4 Milliards de prestations et travaux à SNCF RESEAU.
- et, surprenant pour une entreprise en difficulté AUCUNE PREVISION PLURIANNUELLE ( 5 à 10 ans) selon un ou plusieurs scénarios. Juste 1 seule page insipide ou hilarante sur 2018.
Regardons quelques chiffres :
Pour un CA total de 33 Milliards, le chiffre d'affaires des voyageurs transportés par fer est de 16,5 milliards, moitié courtes distances (intercités etc.) et moitié voyages au sens traditionnel.
- Un CA de 8 Milliards pour l'activité "VOYAGES" représente 130 eur par habitant ce qui est faible et en tout état de cause hors de proportion avec l'importance que prend la Sncf dans le débat national.
Cette activité mythique emploie moins du DIXIEME des 247.000 salariés :-) et son Résultat Opérationnel approche 900 Millions (à comparer avec un Résultat Net pour l'ensemble de la Sncf de 1.400 millions). Cette catégorie dégage ainsi la plus forte part du résultat de l'entreprise. Avec (seulement) 24.000 salariés !
- L' activité "INTERCITES et autres" est à 8,6 Milliards pour un Résultat Opérationnel de 250 Millions soit 4 fois moindre que l'activité "Voyages" . Avec 50.000 salariés ... CQFD ?
D'autres activités sont :
- LOGISTICS ( Dont une façon de ne pas nommer une sous activité frêt) : CA de 10 Millards et RO de 180 Millions ... sans commentaire, avec 50.000 salariés
- KEOLIS diverses activités France et hors France : cf. page 46 " Keolis est un opérateur de transport public de voyageurs présent dans seize pays à travers le monde. Son expertise s’étend à l’ensemble des modes de transport (train, bus, car, métro, tramway, navette maritime, vélo) ainsi qu’à la gestion des nœuds d’interconnexion (gares, aéro
... "
avec 5,5 Milliards de CA et un minuscule Résultat Opérationnel de 80 Millions de RO : no comment également. Or Keolis c'est PLUS DE 60.000 SALARIES soit un RO de 1.600 eu par salarié, insignifiant.
Regardons les pages 46 et 47 :
" Toujours à l’international l’année commerciale a été riche avec de nombreux appels d’offres offensifs et défensifs et ouvertures de nouveaux réseaux : ouverture de Manchester (tramway, Royaume-Uni), d’Aarhus (tramway, Danemark), de Teutoburger-Wald-Network (rail, Allemagne), de Zwenzwoka et Almere (rail et bus, Pays-Bas), gain de Foothill (bus, États-Unis), lancement de Newcastle (multimodal, Australie), renouvellement de Melbourne, extension Gold Coast
46tramway, Australie), démarrage d’Hyderabad (métro, Inde), gain de Doha (métro, Qatar), gain du métro de Pudong (Chine) " ouf ...
Peut on penser qu'il y a de beaux voyages pour peu de résultat ? Oui et non, puisqu'il n'a pas de résultat analytique
Suite :
- " Keolis a créé Keolis Santé par la prise de contrôle des sociétés Douillard et Intégral (France) et une alliance avec Jussieu Secours : avec un chiffre d'affaires d'environ 70 M€ et 1.650 ( ! ) salariés Keolis Santé devient le numéro 1 du transport sanitaire en France."
Mais est ce la vocation de la Snc-ferroviaire, et est ce RENTABLE ? Le rapport ne le dit pas. Remarquons que le CA par salarié n'est pas élevé : 42.000 euros. Contre 333.000 eu pour l'activité Réseau Grandes Lignes.
- Autres activités :
On y découvre par exemple que la Sncf a 100.000 logements.
N.B.
Le poste " péages " est de 800 millions (dont Eurotunnel) : la Sncf utiliserait donc quasi gratuitement les réseaux nationaux ?
Je n'ai pas trouvé chez Sncf RESEAU la valeur actuelle de ce 2ème réseau d'Europe : 30.000 km de rails, 15.000 passages à niveaux, des milliers d'aiquillages, des ouvrages d'art : tunnels et ponts, etc.
Le montant doit être colossal et les coûts d'entretien, d'amélioration, et de développement également très importants. 800 Millions pour utiliser le réseau national m'apparait être insignifiant ; d'autant que la SNCF refacturerait 6 WILLIARDS de travaux à Sncf Réseau !
D'utiles commentaires n'apparaissent pas dans le Rapport sauf erreur de ma part
P.S.
Le document mérite d'être lu malgré les réserves concernant l'absence d'une comptabilité d'analytique. La cause est que la technostructure étatique de notre pays n'y est pas habituée : il suffit de regarder le Budget de la Nation (alors qu'aux Usa le budget y est au contraire exclusivement analytique ).
Néanmoins ce rapport permet de se rendre compte qu'il conviendrait de faire exploser la structure juridique de la SNCF en autant d'entités - privées évidemment, ce qui n'interdit pas les subventions régionales et nationales - qu'il y a de " grands métiers " ;
et ce faisant de couper les branches mortes et les gadgets dispendieux, que des startup pourraient tenter de reprendre :
- le ferroviaire des grandes distances avec ses moyens de grandes lignes et Tgv : travaux neufs ET entretien des réseaux
- le ferroviaire de proximité avec ses petites lignes ; id
- le frêt (... ou ce qu'il en reste)
- le ferry : transporter des trains de passagers ou de frêts sur la mer est un métier.
- les autocars de grandes lignes nationales et internationales (bonne réforme Macro ministre)
- les autobus de proximité
- la location de logements MDR
- voire une entité "avantages sociaux" (billets gratuits. retraites précoces etc.) Évidemment subventionnée.
Fiat Lux.
A chaque entreprise ses moyens propres : matériels, humains, services extérieurs ... ;
ses ressources propres : capital social, emprunt, éventuellement subventions d'investissements
et ... des comptabilités analytiques dignes d'un pays qui dit parier sur le numérique : au 21è siecle les systêmes comptables le permettent très facilement.
C'est au politique que de décider d'y voir clair, pour enfin pouvoir privatiser afin que les meilleurs puissent travailler et être rétribués ; en dehors des manif de rues, et des sempiternelles "négociations" technocrates - syndicats.
Rédigé par : Dominique | mercredi 28 fév 2018 à 21:48
Je propose une solution simple et efficace, nous devons DONNER (donner l'intégralité des titres) la SNCF et ex. RFF aux agents de la SNCF et leurs syndicats Ils pourront ainsi faire ce qu'ils ne cessent de nous demander, c'est à dire contrôler/gérer avec leurs propres deniers l'excellence du rail
Rédigé par : goufio | jeudi 01 mar 2018 à 15:15
"Juppé crut bon de confier la direction du Réseau à un cadre du parti communiste : Claude Martinand."
Et voilà encore un joli petit secret de la République connu de personne, ou alors des seuls initiés. Des comme ça, je suis bien certain qu'il en existe des dizaines de milliers, que l'on se garde bien de crier sur les toits à l'intention des Français ordinaires.
C'est pourquoi lorsque j'explique que la France est un pays communiste, et que la fonction publique a remplacé le comité central, on me regarde avec un air bizarre en se demandant s'il ne faudrait pas me faire interner.
Rédigé par : Robert Marchenoir | lundi 05 mar 2018 à 23:49
@ Robert Marchenoir. Bienvenue au club.
Rédigé par : JG Malliarakis | mardi 06 mar 2018 à 11:39