Poignée de main glaciale. Ce 15 novembre à Ankara où les deux ministres des Affaires étrangères l'Allemand Steinmeier et le Turc Cavusoglu se rencontraient. Leur échange public est clairement sorti des ronds de jambes habituels aux diplomates, même au bord de la guerre. Voici comment le conservateur Die Welt résume la situation :
"Jamais une visite allemande en Turquie n'a jamais été aussi froide. Pour la crise des réfugiés ou pour combattre l'État Islamique : l'Europe aurait besoin d'Ankara. Mais les négociations sont maintenant très difficiles. La visite en Turquie de Frank-Walter Steinmeier, qui était censé calmer les choses le démontre. Le gouvernement turc a servi des allégations mensongères à Steinmeier.
Le ministre turc des Affaires étrangères Cavusoglu prétend que l'Allemagne est un refuge pour les terroristes du PKK. Steinmeier récuse ces allégations et exhorte la Turquie à respecter le droit."
Walter Steinmeier sait qu'il joue serré. La pauvre petite Mogherini propulsée responsable de ce qui tient lieu de diplomatie de l'Union européenne ne fait à l'évidence pas le poids. Et les fautes répétées de François Hollande ont sérieusement mis à mal l'entente franco-allemande.
De la sorte c'est bien à Berlin que se joue, pour le meilleur et pour le pire, le destin de l'Europe. Or, actuellement ministre, Herr Steinmeier membre du parti social-démocrate est officiellement candidat à la succession du pasteur Gauck comme président de la république fédérale. Ceci déplaît à toute une partie de la droite, et sans doute aussi à l'énigmatique chancelière. L'élection présidentielle allemande aura lieu au printemps et les élections législatives à l'automne 2017. Toute [nouvelle] faute dans un dossier aussi sensible que le dossier turc risque fort de compromettre le fragile équilibre de la Grande coalition socialo-conservatrice et de conduire à une alliance à gauche "rot-rot-grüne" incluant les nostalgiques de l'Allemagne de l'est de Die Linke. On passerait de la Große Koalition à une Große Katastrophe.
Dans une telle partie les régimes autoritaires comme celui d'Erdogan tirent facilement, au début, leur épingle du jeu.
Mais Walter Steinmeier semble tenir bon. Souhaitons qu'il ne cède pas. Non la Turquie des islamistes ne doit pas entrer en Europe.
Rien de cela n'étonnera vraiment ceux qui ont pris le soin de lire mon petit livre sur "La Question turque et l'Europe" publié en 2009, à une époque où pourtant le totalitarisme rampant de l'AKP ne se dessinait qu'en demi-teinte.
Les docteurs Tant Mieux ne voulaient pas l'admettre. Et pourtant nous y sommes.
J'avançai accessoirement alors une certitude : la diplomatie turque saurait reprendre la route de Moscou. C'est ce qui s'est produit – en dépit des désaccords profonds sur de nombreux dossiers, y compris en Syrie. Et plus encore, sur le dossier kurde où Erdogan a fait délibérément le choix de plonger les Kurdes de Turquie dans une guerre que l'on croyait finie.
Le directeur de l'Obs, Matthieu Croissandeau, parmi tant d'autres qui avaient cru en la Turquie européenne, se lamentait le 10 novembre à propos de cette "fragile démocratie".
Depuis l'étrange tentative coup d'État de juillet, Erdogan a mis en place une répression sans précédent, totalement arbitraire, frappant tous ceux qui lui déplaisent, les dénonçant comme des "comploteurs" : plus de 35 000 personnes ont été jetées en prison, appartenant à l’armée, à l’administration, à l’enseignement, à la magistrature, aux médias ... Il a dû vider les prisons des voyous pour les remplir des honnêtes gens.
En vain les hauts magistrats internationaux ont-ils demandé à visiter leur collègue diplomate et juriste Aydin Sefa Akay qui fut arrêté le 21 septembre. Juge des Tribunaux criminels internationaux des Nations Unies, il travaillait en particulier sur les crimes au Rwanda. On ne sait rien sur son sort – présent et à venir – ni sur celui des autres prisonniers.
Personne ne peut plus fermer les yeux.
JG Malliarakis
Cher Jean-Gilles, effectivement cet Erdogan c'est de la graine de dictateur. Mais on aimerait savoir, tout de même, comment ça se fait qu'un type comme ça ait pu parvenir au pouvoir dans un pays comme la Turquie, dont on pensait depuis Kemal Ataturk, qu'il était un nid de francs maçons. C'est tout de même très curieux.
On surestime probablement ces frères trois points, puisqu'ils peuvent se laisser dégommer comme ça par un vulgaire démagogue de rue, vaguement musulman.
Pouvez-vous nous dire comment vous, qui vous intéressez à cette question, vous expliquez ça? Et aussi, on sent bien que votre sang grec ne fait qu'un tour et donc vous ne pouvez pas piffer cet individu. Mais n'y a-t-il pas tout de même un aspect positif là dedans?
On peut tout de même se demander si ce pouvoir confessionel, mais électif, ne se rapproche pas du système que nous avons connu en Suisse dans les cantons catholiques, et qui a duré de 1850 à 1960 avec beaucoup de succès. En fait c'est le concile qui l'a démoli. Ca consistait dans le fait que le parti conservateur s'appuyait sur les curés, et à chaque élection, ou votation, c'était le curé du village qui disait aux gens quoi voter. Magnifique comme système, c'était très efficace au point de vue électoral. Ca marchait comme sur des roulettes et ces cantons ont été bien gouvernés, avec quelques petits abus, bien humains.
Il est de bon ton de nos jours, de dire pis que pendre de ces "noirs". Mais moi, je trouve qu'on est injuste. Tous comptes faits ils avaient bien des mérites.
Je vous signale juste une chose: dans les années 1930 il y a eu une initiative populaire qui demandait l'interdiction pure et simple de la franc maçonnerie. Elle a été rejetée bien entendu, parce que la Suisse était protestante en majorité et les cantons protestants étaient tous radicaux. Alors vous pensez bien... Mais imaginez-vous que dans le canton de Fribourg, catholique, cette initiative a été acceptée à une majorité écrasante, tellement l'évêque avait bien travaillé. Vous avouerez qu'il y a de quoi y penser avec nostalgie.
C'est pourquoi je me suis demandé, bien que tout le monde fronce le nez en parlant d'Erdogan, si son système ne ressemble pas un peu au règne du parti Katholisch Konservative Partei, "les noirs", en Suisse.
Tout cela est très étrange.
Certains nous disent qu'Erdogan se rêve en sultan. Bon, pourquoi pas? C'est ridicule évidemment, mais dans un pays tellement marqué par la dynastie ottomane, ça peut se comprendre. En France, tout chef d'état parvenu au pouvoir ne va-t-il pas, inévitablement à un moment ou un autre, se rêver en successeur des rois? Ils ont tous eu ce spleen. Alors pourquoi pas Erdogan?
Personnellement je me méfie de lui, tout comme vous, mais il est quand-même à la tête d'une très grande nation et il a des marges de manoeuvre. C'est comme Poutine, pas votre tasse de thé non plus, mais il est là. Il faut bien le prendre en considération.
On attend aussi de vous lire au sujet de Trump. Vous n'avez fait qu'effleurer le sujet. Personnellement je suis très content de cette victoire du populisme sur la racaille des médias et le marxisme culturel politiquement correct. J'espère que vous n'allez pas nous dire que vous auriez préféré Hillary Clinton.
Petite réponse
Cher Réformateur
Votre longue et intéressante question appelle au moins une réponse. Non je n'avais aucune sympathie pour l'horrible Hillary.
Erdogan n'est pas "un vulgaire démagogue de rue vaguement musulman". Dans son collège "imam hatip" il fut chargé à 11 ans de diriger la prière, etc.
Les frères trois points vont rencontrer en effet pas mal de déconvenues dans le monde qui vient, et nos excellents amis Anglais aussi : l'élection de Trump plus le vote en faveur du Brexit ont fait que nous sommes passés à un monde nouveau.
Par exemple...
Le jeu des nations va se jouer à 192 (si je me base sur les États membres de l'Onu… mais il y'a aussi des nations sans État, le Kurdistan, mais aussi l'Écosse, la Catalogne, la Flandre, etc.). Ce jeu sera passionnant et nous n'en connaissons qu'une règle : "malheur aux vaincus", en fait "malheur aux faibles". Ce n'est pas nouveau dans l'Histoire du monde, mais cela nous change des blocages de Yalta.
Rédigé par : Zwingli | mercredi 16 nov 2016 à 00:23
Le patronat allemand avec ses travailleurs immigrés turcs a placé l'Allemagne en situation de dépendance vis à vis de la Turquie, Erdogan ou pas, Islam ou pas.
Rédigé par : Dubitatif | mercredi 16 nov 2016 à 10:52
Vous n'avez pas tort. Les frères trois points vont avoir du mal à affronter le monde qui vient et qui verra des fortes oppositions populaires, instinctives, contre leurs projets. Malgré tout je suis tellement complotiste que je ne parviens pas à voir ça sans inquiétude. On sent leur nervosité, facile à déceler dans tant de commentaires affolés, dans les médias qu'ils contrôlent.
Je pense qu'il peuvent réagir de deux façons, et à mon avis, avec leur système de "porte paroles",ils feront les deux choses en même temps:
Premièrement: infiltrer les mouvements populistes, tenter d'en occuper les postes dirigeants, et ainsi, le moment venu, les faire dérailler.
Deuxièmement: sentant que des pouvoirs conservateurs se mettent en place, qui leur sont défavorables, ils renoueront avec leur vieille praxis révolutionnaire et déclencheront une agitation d'extrême gauche qui pourra même être violente et insurrectionnelle.
Je ne sais pas si vous partagez mon analyse, mais moi c'est ce que je vois venir. Ils pourraient aussi continuer la méthode Valls c'est à dire suspendre les libertés publiques et passer à la dictature en prolongeant indéfiniment l'état d'urgence. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! Ca ne les gênerait pas et ils l'ont fait souvent au cours de l'histoire avec des types comme Clemenceau et d'autres. Ataturk etait un bon exemple et c'est pourquoi je ne parviens pas à trouver Erdogan tout à fait mauvais. Je lui reconnais au moins le mérite d'avoir rompu avec le kémalisme.
Evidemment dans le contexte actuel ce sera difficile et il pourraient être pris de court par des événements imprévus qu'ils seront peut-être incapables d'empêcher comme l'élection de Marine Le Pen. Election que personnellement je souhaite, car ça mettrait un beau bazar.
Je continue de penser que ce milieu est puissant et je m'inquiète des coups tordus qu'ils pourraient monter pour changer la donne, si elle leur est défavorable.
Si je raisonne à partir de l'exemple Suisse, je fais le constat suivant: Quand les maçons sont au pouvoir, ils deviennent conservateurs. En tous cas ils le sont devenus en Suisse, pays qu'ils gouvernent depuis 1848, contrairement à la France où ils sont devenus radicaux-socialistes. Je me demande souvent pourquoi cette évolution en France. Peut-être à cause de la puissance plus grande de l'Eglise catholique sur tout le territoire. Alors qu'en Suisse les catholiques étaient minoritaires et cantonnés dans certains endroits.
Ceci dit, nos radicaux suisses nous ont fait une bonne petite politique de droite, qui nous a permis de vivre assez agréablement, somme toute. Je crains que, face à l'adversité, les loges, même en Suisse, ne redeviennent méchantes et poussent à la subversion grave.
À votre avis, qu'est-ce qui vaut mieux: être gouvernés par des francs maçons de droite, bien amortis, ou par des gens de droite purs et durs, mais devoir affronter des troubles révolutionnaires déclenchés par des francs maçons devenus desperados?
La question se pose.
Rédigé par : Zwingli | mercredi 16 nov 2016 à 12:13