C'est un copieux entretien du chef de l'État avec deux intellectuels de qualité, habituellement soumis à une moindre promiscuité, Marcel Gauchet et Pierre Nora, que Le Monde a fait partiellement connaître à ses lecteurs en ligne le 15 septembre, après que la revue Le Débat l'eut publiée [1].
En gros, Hollande s'y réclame à nouveau de la social-démocratie. Dans le propos, on doit y voir cette variante mal définie du socialisme censée se caractériser par une prise de distance d'une distance avec le marxisme et d'une volonté de "réformes".
On doit donc rappeler d'abord que la sociale démocratie allemande est le parti auquel s'était rallié Karl Marx, mais en tant qu'opposant interne, minoritaire et critique.
Es cette époque la critique de Marx critique porte, pour faire court, sur les moyens : réforme, pour les sociaux-démocrates ; révolution pour les marxistes. En France, un siècle plus tard le PSU de Michel Rocard inventera le concept nègre-blanc de "réforme révolutionnaire" : on n'arrête pas le progrès conceptuel.
Or, aujourd'hui, en France, ceux qui parlent de "réformer" le pays sont considérés comme les partisans du libéralisme le plus échevelé.
Le même mot n'a plus le même sens. On entend ainsi souvent reprocher à Hollande de n'avoir procédé à aucune réforme, alors qu'il a accompli, depuis 2012, de vraies avancées sur le terrain de la destructrion de notre société et de ce qui reste de libertés.
Si l'on se base sur le fameux programme de Gotha, adopté en mai 1875 par le parti social-démocrate allemand, on doit d'abord savoir que ce manifeste que Marx et Engels trouveront trop "démocrate bourgeois", commence cependant par la pétition de principe suivante :
"Le travail est la source de toute richesse et de toute culture, et comme en général le travail productif n'est possible que par la société, son produit intégral appartient à la société, c'est-à-dire à tous les membres de celle-ci, tous devant participer au travail, et cela en vertu d'un droit égal, chacun recevant selon ses besoins raisonnables."
On doit bien comprendre que, dans ce contexte que "la société" (en allemand "Gesellschaft" y a une connotation encore plus forte) cela veut dire "l'État". La social-démocratie allemande évoluera par la suite, et aboutira à une rupture définitive avec le marxisme en 1959 tout en demeurant tributaire de l'influence du rival réformiste de Marx, Ferdinand Lassalle (1825-1864).
Or, la Critique du programme de Gotha, texte fondamental du marxisme, manuscrit de Marx écrit en 1875, édité par Engels en 1891, reprend de façon systématique l'écart qui sépare la pensée de Marx de celle de Lassalle. Dès le lendemain de la mort de celui-ci, disparu en 1864 Marx lui-même l'avait souligné :
"Tout d'abord, écrit-il, permettez-moi de vous exposer brièvement mes rapports avec Lassalle.
Pendant toute son agitation nos relations furent suspendues :
1° à cause de ses fanfaronnades et de ses vantardises doublées du plagiat le plus honteux de mes œuvres ;
2° parce que je condamnais sa tactique politique ; et
3° parce que je lui avais déclaré et "démontré", avant même qu'il eut commencé son agitation dans le pays, que c'était un non-sens de croire que "l'État prussien" pourrait exercer une action socialiste directe."[2]
Cette "illusion" cependant n'en était pas tout à fait une. Elle a donné naissance, en effet, à une réalité puisque l'État prussien sous le gouvernement de Bismarck mit bel et bien sur pied, 20 ans plus tard, le système de sécurité sociale allemand qui, contrairement à son ersatz français, donne encore de bons résultats : protection sociale contre les risques maladie (depuis 1883), accidents de travail (1884), vieillesse et invalidité (1889).
En gros, donc, la social-démocratie fille de Ferdinand Lassalle peut être considérée au départ comme une variante réformiste du marxisme dont elle partage les mortifères vues étatistes, au contraire du socialisme proudhonien.
On lui sait gré d'avoir rompu avec toute référence marxiste lors de xson congrès de Bad Godesberg de 1959. À la même époque, et pour les mêmes raisons, — savoir : l'intervention soviétique à Budapest en 1956, [3] — le parti socialiste français SFIO se refuse certes à toute alliance avec le PCF, réduit à 10 députés aux élections législatives de 1959.
Mais les amis de Guy Mollet refuseront toujours de rompre le cordon ombilical avec le socialisme étatiste. [4]
Et, dès l'échec du projet Defferre en 1964 les socialistes français reprennent la voie d'une union de la gauche qui se concrétisera en 1965 autour de la candidature de François Mitterrand alors plus proche du radicalisme que du socialisme.
Qu'un demi-siècle plus tard Hollande, disciple de l'opportuniste Mitterrand, se rallie à ces vieilleries permet certes de marquer sa [petite] différence avec Pierre Laurent, les communistes et leurs compagnons de surplace ès-Melenchon, ès-Montebourg, ès-Hamon, etc. Cela n'en fait pas un homme de l'avenir. Ni lui ni aucun de ses comparses de la déliquescente gauche hexagonale.
Apostilles
[1] cf. Le Débat n° 191 septembre-octobre, 2016
[2] cf. lettre à Kugelmann du 23 février 1865
[3] On tend à oublier l'importance de cette affaire dans la conscience européenne de l'époque. Pourtant elle avait amené Malraux à dire dans une de ces formules lapidaires dont il avait le secret : la Condition humaine est morte à Budapest. C'est aussi dans ce contexte que l'Académie suédoise avait attribué le Prix Nobel à Boris Pasternak (1958) et, avant lui, à Albert Camus (1957).
[4] Le 22 janvier 2015 à Nanterre dans le cadre de l'Institut d'Histoire sociale Marcel Gauchet défendra de la sorte le point de vue pro-Marx dans un débat contradictoire fondamental avec André Senik, sur le thème "De Marx à Lénine, filiation ou mystification ?" Débat publié par la revue Histoire et Liberté
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Me semble que malgré les ruptures formelles sociales-démocrates, la vision marxiste de la société prègne encore la pensée française et même occidentale y compris dans la gauche modérée mais surtout au sein des mouvements dits alternatifs (Nuit debout, Attac, Créatifs culturels,...) lesquels en dernière analyse pratiquent une lecture paléo-marxiste du monde !!!
Ainsi il me semble que les "systèmes" ou les "régimes" "capitalistes" sont surtout des fictions idéologiques
Le "capitalisme" - mot aux connotations affectives éminemment péjoratives - n'existerait pas s'il n'avait pas été inventé par l'idéologie marxiste.
Le fonctionnement "capitaliste" d'une économie tient simplement à certains aspects de la nature humaine.
Dont on corrige ou pas certains effets jugés néfastes en fonction d'objectifs et de valeurs comme la solidarité par exemple.
Mais si on bride trop son dynamisme intrinsèque on gaspille la puissance productive et créatrice d'une société.
De toute façon, jamais la gauche extrême ou "alternative" n'abandonnera son ferment vital: la vision dichotomique d'un monde divisé entre dominants (USA en tête) et dominés (importance de la symbolique de la Palestine) qui ne tiendrait plus sans la fiction conceptuelle du "capitalisme".
Rédigé par : Ronald | mercredi 28 sep 2016 à 10:02
Le produit intégral du travail appartient à la société : c'est exactement le principe qu'appliquent sans le dire tous les gouvernements français de "droite" et de gauche.
C'est ainsi que l'Etat ne dépense pas, il "débloque" des fonds : l'Etat insuffisamment socialiste est assis, avec ses grosses fesses, sur un geyser inépuisable d'argent gratuit des autres, et lorsqu'il consent enfin à lever son séant, les fonds se "débloquent".
A l'inverse, lorsque l'Etat baisse les impôts, il s'agit d'une "dépense". Quand il consent à ponctionner un peu moins les entreprises, il "fait des cadeaux aux patrons". Quand il est un peu moins en déficit que d'habitude, il possède une "cagnotte".
Si, essoré par les voleurs socialistes, vous vous résignez à l'exil vers des cieux plus libéraux, la vox populi réclamera que vous remboursiez "tout ce que l'Etat a dépensé pour votre éducation et pour votre santé".
Etc.
Cette arithmétique de gribouille est propulsée sans moufter, à des millions d'exemplaires, par tous les journalistes de gauche comme de "droite".
Rédigé par : Robert Marchenoir | mercredi 28 sep 2016 à 22:02
On n'en sortira jamais !
D'autant que le "globalisme" a repris l'escroquerie de la "redistribution" pour convaincre les classes (pourtant) spoliées par les idéologues de gauche, de voter ("démocratie" oblige) à gauche".
Ce qui manqué après la Chute du Mur, c'est bien un grand procès international du communisme et du socialisme, à la façon du Procès de Nuremberg.
Ce procès restera nécessaire pour pardonner, pour mettre aux oubliettes ces mythes politiques, économiques, anthropologiques etc.
En son absence on se dirigera de plus en plus vite vers l'Apocalypse. Puisqu'un des buts - et des moyens - des "globalistes" est de détruire le Christianisme, en tant que la Parole de Dieu apportée aux hommes, par son Fils en personne Jésus-Christ.
Ils ont des yeux pour voir et ils ne voient pas ! Ils ont des oreilles pour entendent et ils n'entendent pas !
FAISONS TOUT POUR NE PAS NOUS COMPTER PARMI CES MALHEUREUX. Et gardons notre chandelle allumée !
C'est ce que nous faisons ici et c'est très, très bien :-) Merci Jean-Gilles
Rédigé par : Dominique | mercredi 05 oct 2016 à 15:51