→ Retrouver l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
L’année 2016 devrait voir, en principe, une innovation dans les pratiques politiques françaises : une campagne de primaires, ouverte aux candidats “de la droite et du centre” en vue du scrutin présidentiel prévu pour mai 2017.
Les électeurs de droite sont fort nombreux à se souvenir de ce que fut la présidence Sarkozy, l’écart entre les promesses et les réalités. Inutile sans doute de revenir sur cette déception : elle assombrit la candidature pour les primaires du président des républicains, apparemment en perte de vitesse, quoiqu’il dirige le parti supposé organiser la consultation.
Curieusement, son principal rival actuellement déclaré, le maire de Bordeaux Alain Juppé semble bénéficier d’un meilleur oubli.
Ceci l’amène à se construire une image de réformateur résolu, publiant un livre d’entretien, avec Natacha Polony, d’une centaine de pages où il plaide pour ce qu'il appelle un État fort.
Or, "L'Humanité" du 30 décembre évoquait avec une pointe de nostalgie un grand moment de l'époque où Juppé se prétendait "droit dans ses bottes". Le journal communiste exalte ici ce que l'on fait mine aujourd'hui encore d'appeler le "mouvement" de 1995. Et il donne ainsi la parole à un représentant un peu oublié du fameux "mouvement" en la personne de Michel Deschamps.
Ce dernier avait été, à partir de 1993 le premier secrétaire général de la FSU. Ce syndicat, avait été créé, deux ans avant ledit "Mouvement" par la minorité proche du parti communiste au sein de la vieille Fédération de l'Éducation nationale, et cette fondation ne doit pas être considérée comme étrangère à l'apparition du fameux slogan "tous ensemble" lors des mobilisations et grèves contre le plan Juppé. Le camarade Deschamps en arrive à considérer cette date comme représentative de "l'irruption des enseignants sur la scène sociale".
Quoi de plus instructif que la chronologie de cette crise qui s'étala exactement sur un mois.
En septembre, la cour des comptes, dans le cadre de la loi Veil de juillet 1994, publie son premier rapport destiné au parlement, relatif à la sécurité sociale. Celui-ci fait apparaître une situation catastrophique, financièrement illégale, alors même que Chirac avait fait à la Sorbonne en septembre une vibrante apologie du système né des ordonnances de 1945, présentées pour fondatrices d'une part de l'identité francaise.
Le 15 novembre 1995, à l'Assemblée nationale le Premier ministre Alain Juppé, celui que Chirac a toujours considéré comme son héritier politique, – le "meilleur d'entre nous" disait-il, – prononce un discours très maladroit. Il lance une vaste annonce de réformes supposées viser la protection sociale en général, ciblant en particulier les régimes spéciaux de retraite mais portant aussi sur l'assurance maladie et divers aspects du régime des fonctionnaires.
Ce plan, qui donne de très mauvaises réponses à de bonnes questions, est très mal reçu par les centrales syndicales et surtout par Force Ouvrière dont les apparatchiks président alors à l'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie.
Le 24 novembre les syndicats de cheminots, conduits par la CGT, engagent une grève reconductible pour faire obstacle au projet de loi annoncé mais non encore déposé.
Cette action va durer 3 semaines. On la présentera arbitrairement comme majoritaire dans l'opinion de sorte qu'elle fera plier le chef du gouvernement.
Le 2 décembre, Marc Blondel secrétaire général de Force ouvrière appelle à la généralisation du mouvement. C'est sans doute le moment décisif qui va faire basculer durablement la ligne de FO.
Le 5 décembre manifestation de lycéens et d'étudiants "pour les [privilèges supposés des agents des] services publics". Ces rassemblements auraient réuni entre 700 000 et un million de jeunes.
Au bout de quelques jours, Juppé recule et la CGT imposera l'arrêt de la contestation.
Le premier ministre commence par nommer un médiateur dans le but de résoudre le conflit avec les cheminots.
Le 10 décembre il renonce au contrat de plan, capitule sur le retraite à 50 ans pour les roulants de la SNCF et de la RATP.
Le 11 décembre c'est pour l'ensemble des personnels SNCF et RATP que notre Juppé déclare renoncer à repousser l'âge de la retraite.
Le 12 décembre cependant nouvelles manifestations qui vont rassembler [peut-être] 2 millions de personnes sur toute la France.
Le 15 décembre, après 3 jours supplémentaires de blocage, Juppé annonce qu'il renonce à réformer les régimes de retraite de la fonction publique et les régimes spéciaux.
Il se replie donc sur la seule réforme de l'assurance maladie, qu'il mettra en place en 1996 et 1997 sous forme d'ordonnances signées Barrot, en alliance avec la CFDT.
L'assurance maladie passa alors entièrement sous la coupe de l'État, sous la gestion de Bercy, échappant totalement au contrôle démocratique des cotisants. Devenant de plus en plus coûteuse et remboursant de plus en plus mal, elle en est arrivé aujourd'hui au point de rendre obligatoires les assurances dites complémentaires.
Cette reculade "suffit à la Fédération CGT des cheminots". C'est ce que déplorent aujourd'hui encore les trotskistes du NPA (1)⇓. La centrale communiste envoie alors une circulaire appelant ses militants à "d'autres formes d'action".
"Ce sera un coup de sifflet final pour me mouvement", les secteurs en lutte reprenant peu à peu le travail.
Dernières flammèches, deux journées de manifestations eurent encore lieu: le 16 décembre, dans toute la France, sera l'occasion pour les gauchistes de crier leur colère contre le renoncement des directions syndicales, puis le 19 à Paris seulement.
Le 24 décembre enfin les "partenaires sociaux" se retrouvent pour un "sommet social" à Matignon.
Juppé, roseau peint en fer, appartient donc à une catégorie animale très répandue chez nos hommes politiques: celle des taureaux à cornes d'escargot. Dans le parler de la Guyenne que cet agrégé de lettres classiques aujourd'hui maire de Bordeaux comprend sans doute, on les appelle des cagouilles.
→ Retrouver l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101Apostilles
- cf. la revue "Anticapitaliste" N°71 décembre 2015 p.22⇑
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Merci Jean Gilles pour cet utile rappel des grèves et manifestations de 1995 qui ont forcé le premier ministre à une reculade honteuse. Qu'a pu retenir Alain Juppé de ces événements ? En quoi son parcours politique ultérieur - au Quai d'Orsay sous la présidence Sarkozy ou à la mairie de Bordeaux, avec le calamiteux projet de grande mosquée - nous permet-il de penser qu'il serait l'homme du redressement de la France après plus de trente ans d'immobilisme, voire de déclin ( déclin économique et social à tout le moins).
Rédigé par : Jacques Carbou | jeudi 07 jan 2016 à 01:28
La question est de savoir qui les bureaux du Mondialisme choisiront à Washington, New-York etc. comme candidats au bureau parisien de l'Elysée ? Tous acceptant d'être leur futur exécutant.
Un jeu d'enfant par les zélections, mode opératoire où les délinquants, les ignorants, les fainéants, les voleurs et les abrutis qui regardent la télé 5 heures par jour ont plus de poids que les membres des académies.
Rédigé par : Sparte | jeudi 07 jan 2016 à 12:41
Juppé, un "roseau peint en fer".
Rarement votre plume fût plus heureuse, Jean-Gilles, bravo !
Si, ce qui est effectivement probable, les français décident en 2017, majoritairement, de confier leurs destinées à cet imbécile, qu'ils en supportent les conséquences.
Un peuple habitué à voter pour les moins compétents depuis tant d'années (et je m'inclus dans le troupeau pour Chirac en 1995) ne mérite que ce qu'il lui arrive.
Rédigé par : MP | jeudi 07 jan 2016 à 20:49
Ce personnage cassant et suffisant,compte tenu de sa formation d'énarque,de ses erreurs et reculades,de son étatisme clairement affiché,de son ignorance des menaces majeures qui mettent en péril notre liberté et davantage encore -il avoue n'avoir pas lu le Coran-constitue l'une des pires hypothéses!
Rédigé par : jean Baud | jeudi 07 jan 2016 à 22:15
Juppé a-t-il été trop mou ou trop brutal lors de cette tentative de réforme ? On ne peut pas lui reprocher les deux.
Petite réponse
Cher ami : à vous de juger. Les faits sont ce qu'ils sont. Je tenais simplement à les rappeler, 20 ans après. Je serais tenté de paraphraser Bainville : trop faible dans ce qu'il fait de dur, trop dur dans ce qu'il avait de faible (cf. traité de Versailles). En réalité c'est le cas typique d'un technocrate. Le fait qu'il a piteusement échoué. Sa seule "réussite" [à moins de considérer l'affaire libyenne comme une réussite] fut d'imposer en 1993 l'entrée de la Turquie dans l'union douanière.
Rédigé par : Robert Marchenoir | jeudi 07 jan 2016 à 22:41
Voici où je veux en venir : je n'ai aucune estime particulière pour Alain Juppé, qui est une homme de gauche, une espèce de Chirac en moins sympa.
Mais l'histoire montre que le pouvoir en France est détenu par la caste fonctionnariale, laquelle sabotera toujours les tentatives de réforme des hommes politiques, qu'ils soient durs, mous, mous avec des morceaux de dureté dedans ou durs quand il faudrait être mou et vice versa.
En sorte que les élus, quelles que soient leurs convictions et leur pesonnalité, ne font guère que de la figuration et de la com.
Voyez Sarkozy et ses "réformes" menées au bulldozer : quand on regarde de près, on s'aperçoit que chacune a été suivie d'une reculade silencieuse, allant parfois jusqu'à aggraver la situation telle qu'elle était avant la réforme annoncée à sons de trompe.
Cela étant, je suis tout à fait partisan de lui rentrer dans le lard, à la fonction publique. A condition de traiter par le mépris la "colère populaire" qui s'ensuivra à coup sûr, et de ne pas faire porter le chapeau ensuite à l'initiateur, qu'il s'appelle Juppé ou n'importe quoi d'autre.
Petite réponse
Là nous sommes bien d'accord.
Rédigé par : Robert Marchenoir | vendredi 08 jan 2016 à 17:25
N'est pas Mme Thatcher qui veut, hélas. Y a t-il aujourd'hui un homme politique proposant de réformer ces iniques régimes spéciaux ?
Rédigé par : Saint-Surge | vendredi 08 jan 2016 à 17:37