Qu'a-t-on encore commémoré, au juste, rituellement, le Onze-Novembre ? Si je m'en tiens aux calendriers officiels, il s'agit de l'armistice signé à Rethondes le 11 novembre 1918 dans le wagon du maréchal Foch. Il était supposé mettre fin à un conflit certes abominable et dont on ne dénombre plus les victimes.
Mais revenons au fait lui-même : cet arrêt des combats intervenait au moment même de la proclamation de la république en Allemagne, le 9 novembre, et alors que la ligne de front avait épargné pendant quatre ans le territoire allemand. D'un tel point, de vue toutes les conditions de la reprise future du conflit étaient d'autant mieux réunies que les clauses des futurs traités de paix, qui allaient être dictées au vaincus, demeuraient encore dans le flou.
Naguère, on entendait encore de nombreux combattants de cette Grande Guerre. L'essentiel de leurs propos ne ressemblait en rien à ce que l'on a pu nous expliquer, depuis que les vrais survivants n'ont plus la parole. Ils ne prononçaient certainement pas le mot boucherie, qui semble prévaloir aujourd'hui chez les bons esprits. Certains évoquaient, tout au plus, le sentiment d'une immense stupidité générale. Ils l'imputaient en très grande partie aux cercles de pouvoirs parisiens. Que diraient-ils aujourd'hui ?
Tous les combattants français de 1918 ne pensaient évidemment pas la même chose. Un historien comme Beau de Loménie, par exemple, ne cache pas son admiration pour Clemenceau. C'est la chose la plus déroutante de son immense et géniale fresque critique échelonnée sur deux siècles : elle s'explique évidemment par le mythe du Père la Victoire chez les gens qui, comme lui, avaient combattu. Chez les personnes les plus estimables, ce même culte fut longtemps associé à celui du Vainqueur de Verdun, celui qu'un Léon Blum considéra longtemps comme lui aussi comme le seul maréchal républicain de l'armée française.
Dieu sait pourtant le mal que fit Clemenceau, y compris à la France victorieuse, et bien entendu à l'Europe centrale et danubienne. Son acharnement laïcard priva cette partie essentielle de notre continent de son épine dorsale habsbourgeoise. Il semblait fondamental pour nos radicaux-socialistes de prolonger le conflit de 12 mois, 12 mois pendant lesquels des centaines de milliers d'hommes moururent, 12 mois pendant lesquels les bolcheviks perpétrèrent et consolidèrent leur coup d'État liberticide à Petrograd, 12 mois au cours desquels les États-Unis, financiers des Alliés purent imposer autant à la France et à l'Angleterre qu'aux vaincus, leurs conditions de paix, quitte à ne plus les assumer, une fois dictés les traités de Versailles, Trianon, etc.
Dois-je dire aussi que, dans le souvenir des combattants, on n'entendait évoquer le soldat adverse d'autrefois qu'avec respect.
Alors, puisque cette fête d'automne paraît bien problématique on pourra se consoler aussi à l'idée que nous avons vécu en ce onze novembre les dernières lumières d'un été de la Saint-Martin des Gaules. Le beau temps tardif horripile peut-être nos climato-réchauffistes et, à ce titre, voilà un double motif de satisfaction.
Mais il convient aussi de prendre conscience que l'opération de destruction de la civilisation européenne ne s'est, hélas, arrêtée ni à cet armistice de 1918, ni au traité de Versailles, ni aux accords de Yalta de 1945.
Le Onze-Novembre, qui ne saurait être une fête proposée aux autres Européens, devrait inciter les Français à mieux appréhender le caractère "national-européen" de leur destinée.
Au contraire, les divisions, les ambiguïtés et les médiocrités de chaque jour continuent et s'amplifient.
Et les développements des dernières semaines jours nous le confirment : tant qu'une ligne de défense claire n'aura pas été définie, tant que les moyens matériels indispensables, tant que les budgets de défense, n'auront pas été mis en place, alors que les ressources existent, tant que nous laisserons instrumentaliser le droit d'asile et la libre circulation intra-européenne par des mouvements migratoires, tels que l'on n'en avait pas vu depuis la conquête de l'Espagne par les Arabes ou l'avancée turque vers Vienne, oui les dangers ne cesseront de s'accumuler sur l'Europe.
La disparition symbolique de Helmut Schmidt ou l'accueil fait aux revendications britanniques ou même le désordre du séparatisme en Catalogne, nous confirment dans le sentiment d'un malaise grandissant. Et si elles ne se réforment pas, les institutions issues du fouillis des traités, qui se sont empilés depuis Maastricht, ne feraient que justifier et amplifier ce hiatus dommageable entre l'Europe vivante et ceux qui parlent au nom des États.
À lire en relation avec cette chronique
"Psychologie de la Guerre" de Gustave Le Bon" à commander aux Éditions du Trident, sur la page catalogue ou par correspondance en adressant un chèque de 29 euros aux Éditions du Trident, 39 rue du Cherche-Midi 75006 Paris.Si vous aimez cet article
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Merci pour ces justes propos, vous êtes dans la Vérité.
En regardant l'Europe de l'Atlantique à l'Oural de 1914 à nos jours, on a vraiment l'impression d'un immense gâchis.
Comment le massacre de Verdun fut il possible ? Comment l'assassinat de la famille du tsar fut il possible ? Comment l'ascension des nazis fut elle possible ? Comment le goulag fut il possible ?
Cela fait tant de questions auxquelles les historiens ne donnent pas LA réponse.
Et comment aujourd'hui, les nations européennes peuvent elles précipiter leur anéantissement ?
Rédigé par : Dominique | jeudi 12 nov 2015 à 15:34
Je n'ai jamais bien compris la raison pour laquelle les vainqueurs de 1918 auraient dû se comporter plus généreusement envers les vaincus que les vainqueurs de 1870...ou de 1815 ne l'avaient fait eux-mêmes. Je n'ai jamais non plus très bien compris pourquoi, tandis que la responsabilité de la France dans les guerres européennes de 1680 à 1815 ne fait pas tellement débat, celle de la Prusse dans les guerres de 1863 à 1945 semble aussi difficile à accepter, en dehors des premiers intéressés, naturellement, ce qui peut se comprendre. Ce n'est tout de même pas de la faute de Bismarck si les armes à feu des XIXème et XX siècles sont plus destructrices que celles des XVII et XVIIIème siècle !
Comme l'a observé il y a quelques années un haut responsable allemand, son pays a finalement atteint par son dynamisme économique la place qu'il avait cherché à obtenir, vainement, par les armes précédemment.
Si l'Empire allemand ne faisait que se défendre en 1914, pourquoi venir le faire jusqu'à Noyon, Soissons et Reims ?
Quand on peut défendre aussi efficacement les frontières du Reich (le second...) pendant quatre ans, à l'aide de fortifications de campagne, loin en pays étranger, et donc hostile, ne peut on le faire encore mieux derrière la ceinture fortifiée patiemment et savamment constituée après 1870, sur des positions choisies en connaissance de cause (la crête des Vosges, etc...) ?
Et si le danger russe était si redoutable, pourquoi masser 88% de ses forces militaires à l'Ouest en Août 1914 ?
Voilà une curieuse conception le la défensive, qui fait de la chute de Paris et de la prise de Troyes ou de Dijon un préalable à la défense du Rhin ou des marches orientales, quand un certain 22 Août 1914 démontre que l'armée française n'est simplement pas capable de pénétrer en Belgique ou en Lorraine, sans parler d'assiéger Metz ou Strasbourg...une défensive qui fait irrésistiblement penser aux "frappes préemptives"des USA en Orient...pour "se défendre", bien entendu.
Et qu'est-ce qui pousse enfin mes compatriotes à être si bêtement germanophile quand il n'y a aucune raison de l'être, et à ne pas l'être quand il serait souhaitable de le devenir, pour éviter la faillite d'un état "social" tellement inspiré du pseudo "modèle rhénan" qui est en réalité....prussien ?
La Grande Guerre ne fut pas un suicide, mais un homicide involontaire, commis en réunion par une aristocratie et une bourgeoisie allemandes soucieuses de montrer à leur gauche si puissante mais tenue encore éloignée des affaires de l'état qu'elles pouvaient réitérer le "coup" de 1870 contre un voisin si bien fourni en colonies malgré sa piteuse correction de Sedan et ainsi garantir aux électeurs une prospérité renouvelée..
Les allemands sont parfois maladroits, au moins autant que nous sommes prétentieux. Est-ce si dur à admettre qu'il faille invoquer le laïcisme de Clemenceau, et que sais-je encore, pour atténuer les résultats effroyables produits avant tout par l'immense désinvolture d'une puissance intoxiquée de sa propre réussite économique et démographique ?
N.B : l'Empire des Habsbourg, construction aussi anachronique en 1914 que l'était l'Empire ottoman, se décompose complètement à partir de 1916 sous le poids de la guerre devenue totale, soit plus d'un an avant l'arrivée au pouvoir de Clemenceau (Novembre 1917)
Laïciste ou pas, Clemenceau (surnommé "perd la victoire" par une partie de l'opinion à l'époque...compte tenu de sa magnanimité envers les vaincus !) ne pouvait réaliser ce que seul le Christ parvient à faire : ressusciter les morts.
Rédigé par : MP | vendredi 13 nov 2015 à 00:32
Comment les monarchies n'ont pas compris le risque mortel qu'elles prenaient pour leur existence, en participant à une guerre générale ?
Rédigé par : Dubitatif | vendredi 13 nov 2015 à 12:02
JGM, pourriez-vous développer le thème de la monarchie parlementaire ? Merci d'avance.
Petite réponse
Je vais essayer dans quelques jours. Merci de l'intérêt que vous y portez.
Rédigé par : Dubitatif | vendredi 13 nov 2015 à 12:07
Novembre 1918 : Les Stosstruppen sont détruites, les Spartakistes sont à Strasbourg, les usines d'armement de la Ruhr sont en grèves. Clemenceau "perd la victoire"...
Rédigé par : Dubitatif | vendredi 13 nov 2015 à 12:13