Déroutante par son ampleur la victoire de Tspiras dans le référendum qu'il a provoqué devrait appeler autre chose que des lamentations à droite et des trépignements joyeusement impulsifs à gauche. On peut malheureusement interroger l'Histoire, celle du peuple grec autant que celle de l'Europe pour trouver d'autres exemples mais aussi de contre-exemples, la psychologie de la guerre découlant de la psychologie des foules.
Visiblement en effet les dirigeants européens actuels ne jouent pas tous la même partition. Mais plus grave encore, ils ne jouent pas dans la même cour que les deux dirigeants grecs. On nous assure que Mme Lagarde, juriste brillante, disposait de toutes les qualités pour diriger une haute technocratie comme le FMI. J'observe cependant qu'elle n'a jamais livré un combat politique. À sa façon elle a parfaitement exprimé son agacement de ne pas parler le même langage que ses interlocuteurs en demandant de réserver la négociation de Bruxelles à ce qu'elle appelle des personnes adultes.
Or, face au désespoir des peuples, les équations de la technocratie, les artifices des juristes et les raisons des diplomates ne tiennent pas.
La décision de fermer les banques, techniquement inévitable, si elle n'a pas provoqué les paniques violentes redoutées, a sans doute puissamment contribué, par l'humiliation répétée, à rendre aux gens le sentiment, peut-être illusoire mais objectivement mobilisateur, que leur dignité dépendait du "non" de leur chef.
Le même mot avait résumé la réponse du général Metaxas en octobre 1940, auquel se rallia tout un pays, victorieusement rassemblé contre l'ultimatum.
Tous ces souvenirs se sont emparés des moteurs irrationnels pour renverser une situation initialement défavorable au gouvernement. Ne perdons pas de vue qu'il a bénéficié de l'apport de trois partis extrêmement différents de Syriza.
Si l'on se base sur les élections de janvier, derniers chiffres disponibles, on retrouve en effet un rapport de forces arithmétiques inchangées. Le parti communiste avec ses 5,5 % de voix a voté non comme un seul homme. S'y ajoutent l'Anel des Grecs indépendants, l'équivalent de nos villiéristes (4,8 %) l'Aube dorée (8,8 %). C'est avec de telles composantes, pour le moins disparates que M. Tsipras peut se prévaloir d'une majorité provisoirement écrasante.
Les 3 partis proeuropéens n'avaient obtenu alors que 27,8 % pour nouvelle Démocratie, en progression de 5 points, le PASOK 4,7 % et 6,1 % pour le parti réformiste de centre gauche To Potami (1) : additionnés c'est à peu près exactement le pourcentage de 39 % que l'on retrouve pour le oui, auquel appelaient pourtant toutes les forces raisonnables et constructives de la société civile. Saluons la décision très digne d'Antonis Samaras qui, prenait acte de ce qu'il considère comme sa défaite à su démissionner de la présidence de son parti. Et disons au revoir à l'un des très rares hommes d'État grec digne de ce nom.
Les petits hommes gris et les grands roublards qui nous dirigent disposeront des cartes les plus fortes dans les jours qui viennent. Se montreront-ils capables de maîtriser un processus qu'ils n'ont pas appris dans leur cursus de temps calme ? cela dépendra de l'habileté, et de la capacité de modération, dont fera preuve, de son côté, le gouvernement d'Athènes. Dès son discours enregistré hier soir, Tsipras s'est essayé à ce registre, nouveau pour lui, mais certainement préparé, calculé, peut-être même téléguidé. Annoncé ce matin, le départ de son complice Varoufakis, présenté comme 'le' provocateur le confirme.
C'est au pied du mur qu'on voit le maçon.
Rappelons que jusqu'ici, en presque six mois, ce gouvernement n'a accompli aucune réforme, n'a fait voter aucune loi nécessaire pour redresser l'administration publique, faire mieux fonctionner la justice, adapter l'université aux besoins du pays, redonner l'espoir et le sens de l'entreprise, etc.
Que l'Histoire recommence toujours reste ma conviction (2) : on ne jugera pas cette réalité nécessairement rassurante.
JG Malliarakis
Apostilles
- lire l'entretien de son président Stavros Theodorakis publié par Le Monde le 5 juin : il considère que "Syriza fait partie de l’ancien système politique" ⇑
- J'ai accepté de faire une conférence sur la situation grecque ce soir à 20 h dans le cadre toujours amical du Café Liberté, au "Coup d'État" (c'est le nom de la salle !) 164 rue Saint-Honoré 75002 Paris. Vous y êtes les bienvenus …⇑
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Déroutant mais explicable : ce vote "Non" serait il la réponse d'un peuple à la façon des Français qui votèrent "Non" à Maastricht ? (Avant qu'un président ne fasse avaler ce traité au parlement convoqué à Versailles.)
Comme une fatigue et une certitude d'être sur la mauvaise voie : plutôt que de s'abstenir on jette le bébé avec l'eau du bain, pensant qu'il y aura de toute façon une crise d'où sortira une autre solution !
Car les Grecs savent bien qu'avant les cocos actuels leur économie avait réellement redémarré ; ils savent qu'ils avaient accepté et commencé un programme de réduction des dépenses (comme la France est toujours incapable de le faire) et que ce programme portait du fruit.
Ils savent aussi et surtout qu'obtenir de nouveaux subsides de l'Europe quasiment uniquement pour rembourser des emprunts ... cela ne fera pas redémarrer leur économie : il eut fallu accompagner les réductions de dépenses démago-socialo-communistes, par un plan à la façon du Marshall américain post 1945 pour créer des usines, éventuellement allemandes. Bref il a manqué un plan d'investissements pro-duc-tifs.
C'est peut être, donc, l'exaspération qui a motivé le "Non" des Grecs, devant des solutions pour les banques et les institutions financières (afin qu'elles récupèrent leurs avoirs) ; et qu'ensuite continue ce qu'il faut dénoncer comme "le manège des dépenses sociales et démagogiques financées par de la dette bancaire".
Comme en France hélas !
Notre tour approche.
Rédigé par : Hermès | lundi 06 juil 2015 à 12:23
Aucune réforme ? Des mesures rétrogrades et nocives, en tout cas : réembaucher les journalistes-fonctionnaires de la télévision d'Etat qui avait été fermée pour cause d'économies, réembaucher un groupe de femmes de ménage-fonctionnaires "en lutte"...
Alors qu'ils auraient dû profiter des "erreurs" de leurs prédécesseurs pour, au moins, ne pas revenir sur ces décisions.
Les "ultra-libéraux" ont fermé la télé d'Etat ? OK, c'est très mal, mais on va faire semblant de n'avoir rien vu, et laisser les choses en l'état... C'était trop compliqué, apparemment.
Petite réponse
Aucune réforme positive : retour au bon vieux clientélisme.
Rédigé par : Robert Marchenoir | lundi 06 juil 2015 à 13:50
Un coup de pompon dans ce sirtaki!
Rédigé par : minvielle | lundi 06 juil 2015 à 15:17
Je n'ai aucune sympathie pour le rouge Tsipras. Mais je voudrais expliquer à mon ami Malliarakis qu'un résultat de référendum rassemble toujours, et par définition, des gens aux motifs divers et même opposés.
Il n'y a absolument rien de choquant dans le fait que ce résultat massif, - dont pour ma part je me réjouis -, soit du à l'addition des voix de gauche et d'ultragauche et de celles de l'Aube dorée fasciste, des nationalistes et des souverainistes de tendance villièriste.
On a fait cette même critique des motivations contradictoires lors du référendum du 29 mai 2005 en France. On nous fait la même critique aussi en Suisse, lors de notre votation sur l'interdiction de construire des minarets. La proposition était issue d'un réflexe identitaire chrétien et conservateur, mais n'aurait jamais passé la rampe sans l'appoint de 10% de féministes de gauche.
Un référendum consiste à mesurer s'il existe un consentement, ou non, à une certaine évolution. En 2005 la France a refusé nettement son consentement à l'Europe supranationale. C'est cela l'essentiel. Peu importe que les motivations des uns et des autres aient été contradictoires. On ne mesure pas les motivations. On mesure le consentement, ou non.
Le vote minarets en Suisse a marqué le non consentement fondamental d'un peuple européen au multiculturalisme. Les leçons auraient du en être tirées par l'ensemble de l'Europe car le résultat avait valeur de sondage pour le continent entier.
Le NON grec d'hier comporte aussi des contradictions. Rien de commun entre le rejet nationaliste d'une Europe supranationale arrogante (c'est celui de l'ANEL et d'Aube dorée sans doute) et les intentions gauchistes de Tsipras qui voulait le beurre (rester dans l'Euro) et l'argent du beurre (la fin de l'austérité).
Quel sera le résultat?
Personnellement je suis très inquiet de ce que l'exemple grec pourrait donner des ailes aux mélenchonistes et aux gauchistes de Podemos. Soutenus par une finance internationale sans foi ni loi, représentée par les USA et des gens comme Mathieu Pigasse, ces gens ont un agenda consistant à franchir le pas vers la "transferunion" supranationale pour une politique collectiviste de new deal à l'échelle européenne. On peut compter sur l'establishment international des trotskistes néo conservateurs de la haute finance pour tenter de faire fléchir l'Allemagne, ce pays occupé, et imposer cette solution révolutionnaire qui pour le coup irait à l'encontre du référendum français du 29 mai 2005. Ce serait l'accomplissement du projet européiste qui n'est rien autre en réalité que le projet révolutionnaire des Lumières avec tout ce que cela comporte depuis 1848.
Donc cette menace doit être prise au sérieux.
La seule parade à cela c'est l'exclusion de la Grèce de la zone Euro. C'est là dessus qu'il faut faire porter l'effort. Pour y arriver il faut tabler sur l'intérêt national allemand et les intérêts électoraux des grands partis allemands (CDU/CSU et SPD confondus).
Il faudrait que Mme Merkel ait l'estomac de faire comme Tsipras, c'est à dire de convoquer un référendum en Allemagne pour poser la question: "voulez-vous une Transferunion oui ou non?" Et à à 80% la réponse sera non.
Ainsi, l'impossibilité de la solution mélenchono-tsiprasiste ayant été actée par un acte de souveraineté des Allemands comparable à celui des Grecs, il ne restera plus d'autre solution que le retour à la drachme, pour le plus grand bien du continent européen et de la civilisation.
Le référendum est un excellent moyen de gouvernement. Encore faut-il que les gouvernements aient la force de l'utiliser.
Tsipras a eu cette force. C'était bien joué. A l'Allemagne maintenant de jouer sa partie.
Et quant aux Français il faut qu'ils cessent de crier l'Europe! l'Europe! l'Europe! en sautant sur leurs chaises comme des cabris.
Rédigé par : Helveticus | lundi 06 juil 2015 à 15:36
Bonsoir, M. Malliarakis.
Il y a quelque temps, d'après ce que vous croyiez discerner dans les manifestations en Grèce, vous laissiez entendre que les "proeuropéens" y étaient plus nombreux que les soutiens à Tsipras. Erreur. D'autre part, vous jetiez le doute sur la représentativité du premier ministre, au motif des scores électoraux qui l'avaient conduit à son poste. Le référendum annule cet argument. Par ailleurs, Tsipras vient de sortir spectaculairement du piège politique qui se serrait autour de son gouvernement et qui visait ni plus ni moins à le renverser de l'extérieur, piège tendu par des pouvoirs supranationaux tellement sûrs d'eux-mêmes et de leur bon droit! Chez nous, cette petite humiliation de leurs grands leaders en rend certains furieux. Et aussi, ce référendum met dans la gêne morale et intellectuelle tout un monde fédéraliste. Pas mal, pour quelqu'un que vous avez qualifié d'amateur indigne de gouverner un état! Ce n'est pas que je m'identifie à la coalition qui dirige la Grèce, mais à quel titre exactement devrais-je considérer comme étant plus dignes et légitimes Juncker, Schulz et Sarkozy, pour ne citer qu'eux? Dès qu'il s'agit de la Grèce et de ses rapports à la prétendue "construction européenne", votre langage est particulièrement intéressant et, si je puis me permettre, significatif. Ainsi encore, dans ce dernier message, vous associez le "non" à de la démagogie et à une psychologie des foules qu'emporte l'irrationnel. Bien. Une demande de précision, alors: Supposant que vous admettiez que tous les Européens sont fabriqués à peu près de la même manière, les partisans actuels de "l'Europe" doivent bien, eux aussi, obéir à de la démagogie et à des mouvements collectifs irrationnels. Selon vous, quels sont-ils?
A bientôt, j'espère, pour de nouveaux échanges.
Didier Viard
Rédigé par : Didier Viard | lundi 06 juil 2015 à 20:26
Excusez moi cher ami mais étant donné mon expérience permettez moi de corriger votre affirmation. Ce n'est pas au pied du mur que l'on voit le maçon mais en haut lorsque le mur est terminé est-il ou non bien droit ?
Rédigé par : jc.daviet | lundi 06 juil 2015 à 23:31
Sans vouloir répondre à la place de Jean-Gilles Malliarakis, je dirais que pour ma part, l'irrationalité des Grecs consiste à voter pour des gens qui se disent contre l'Union européenne, mais ne veulent pas sortir de l'euro.
Cette irrationalité se confirme sous nos yeux : le non aux propositions des Européens est massif, mais Varoufakis, le ministre rock'n'roll, déclare que c'est un oui à l'Europe ; Varoufakis annonce qu'il démissionnera en cas de oui, mais démissionne car le non a vaincu ; Tsipras dit que personne ne peut sortir la Grèce de l'Europe, mais son ministre du redressement productif (et de l'écologie...) annonce à un dirigeant syndical partisan du oui que, hum, je cite, hum, "On va enculer les Européens et on ne remboursera jamais la dette" ; etc, etc.
C'est amusant, le dadaïsme, le rock'n'roll et la motocyclette, mais en politique c'est assez dangereux.
Et puis, il faudrait peut-être veiller à ne pas trop fatiguer les contribuables étrangers qui vous financent ?
Rédigé par : Robert Marchenoir | mardi 07 juil 2015 à 00:31
Je pense que ce genre de référendum aurait le même succès en France.
Mais les peuples savent ils se remettre en question et qu'est ce qu'ils veulent?
Rédigé par : jlb | mardi 07 juil 2015 à 12:51
Que veulent les peuples? Pour les Grecs c'est très simple: ils veulent le beurre et l'argent du beurre. Rester dans l'Euro et pas d'austérité.
Le poids irrésistible des réalités va les obliger à choisir et les deux termes de l'alternative sont:
A)le Grexit. Dans ce cas, après un choc et un moment difficile à passer la Grèce ayant retrouvé sa monnaie peut se redresser comme un pays européen marginal, avec sa culture particulière, ses atouts touristiques et mercantiles, sa capacité à jouer un rôle de drogman universel. Il n'y pas de raison qu'un pays ne puisse pas s'épanouir dans un modèle de développement différent de celui du capitalisme industriel rhénan.
C'est comme le mezzogiorno italien. Le royaume de Naples était prospère, avec son modèle d'économie principalement agraire, mais riche et autosuffisant, avec la contribution de grands pâtissiers confiseurs et même quelques fabricants textiles et autres (souvent suisses) qui auraient pu créer une puissante industrie agro alimentaire et textile pour le XXe et le XXIe siècle. (Disons un ou plusieurs Nestlé et/ou LVMH méridionaux).
Se gouvernant elle-même, se développant à son rythme, sans ingérence étrangère, l'Italie du sud aurait certainement développé son propre modèle à succès. Mais l'oppression du système piémontais, depuis l'unité italienne, avec son modèle qui ne convenait pas aux Napolitains, ni aux Siciliens, l'ont plombé. 150 ans plus tard le territoire des Deux Siciles ne s'en est pas encore remis. Son inaptitude congénitale au modèle économique du Nord et la contrainte politique à laquelle le territoire est soumis, l'ont fait dériver dans le sous- développement et le parasitisme mafieux, comme c'est le cas dans tous les gouffres à subventions.
Il en sera de même de la Grèce si on veut la contraindre à tout prix à se soumettre à un système qui culturellement ne lui convient pas.
B) la transformation immédiate de l'Union Européenne en une seule unité fiscale, avec des transferts annuels des pays riches aux pays pauvres équivalant mathématiquement à la différence des capacités entre les économies respectives. Ce serait le rêve des européistes supranationalistes, qu'ils soient d'extrême droite ("nationalistes" européens partisans de la forteresse Europe comme au temps d'Adolf H.) centristes liberalo démo chrétiens à la Marielle de Sarnez, ou gauchistes à la Piketty ; tous faisant le beurre des négociants de dette publique qui depuis le XVIIe siècle sont toujours les mêmes. (Nulle malveillance dans ce constat factuel). En effet, les Eurobonds, quel rêve pour Lazard Frères, Goldman Sachs & consorts!
L'hypothèse B. est impraticable car les résistances sont trop fortes, tant dans les pays créditeurs d'Europe du Nord que chez les cigales qui ont été contraintes de se transformer en fourmis (Espagne, Portugal).
Et de toute façon, il n'existe pas de majorité politique - dans aucun pays - pour passer à un super état supranational de la zone euro.
Donc, même si l'on voulait passer à la réalisation de l'hypothèse B. (union de transfert avec un fisc européen unique) il faudrait le faire sans la Grèce, car ce pays, pour des raisons culturelles ancestrales, impossibles à déraciner, ne possède pas de fisc du tout. Donc sa présence dans le système rendrait le succès impossible.
Rédigé par : Helveticus | mardi 07 juil 2015 à 18:33