Le cessez-le-feu décidé à Minsk ce 12 février a donc débuté ce dimanche 15 février à 00 h 01. Combien de temps durera-t-il ?
Commençons par bien délimiter le point de vue de tous les Européens encore libres.
Nous ne devrions pas hésiter, en effet, depuis 2013, à souligner la faute des dirigeants moscovites, qui fut alors d'avoir ouvert une boîte de Pandore, celle de la révision des frontières à l’Est de l’Ukraine. Les acquis de la conférence d'Helsinki de 1973-1975, voulue par l'URSS, ne peuvent pas être impunément remis en cause. La Crimée, brutalement annexée en mars 2014, ne peut pas passer par profits et pertes.
Retenons le premier commentaire de la chancelière allemande : cette affaire est une catastrophe pour la Russie aussi. Et la politique des sanctions économiques, réponse la moins brutale, coûte déjà très cher. Rappelons que les étapes suivantes consistant à livrer à Kiev les armes dont ses soldats ont besoin, puis à intégrer l'Ukraine dans l'Union européenne et dans l'Otan, feront peut-être inutilement hurler quelques perroquets, naïfs ou stipendiés. Mais elles ne peuvent qu'être encouragées par la rigidité arrogante des représentants "grands-russiens".
Regardons d'ailleurs comme la grande menace que les désinformateurs agitaient, celle de la « fin des livraisons de gaz russe », qui eût été suicidaire pour Gazprom, s'est évanouie. On n'en parle même plus…
Hélas les comportements post-staliniens ne peuvent appeler qu'une seule réponse réaliste, en forme d'escalade, du type de celle du président de la commission parlementaire de défense à la Rada ukrainienne de Kiev. « Le seul notaire possible pour un accord avec la Russie, souligne en effet Sergueï Pachinski, c’est le soldat ukrainien ».
Après l'expérience de la guerre froide dont Yalta constituait un point de départ, nous savons que la seule attitude saine fut celles, rompant avec les pataugeages occidentaux du temps de Roosevelt ou de Jimmy Carter, d'un Kennedy disant sa solidarité aux habitants de Berlin, d'un Ronald Reagan désignant le bloc communiste comme l'Empire du mal, rappelant que les États-Unis n'avaient jamais reconnu l'annexion des pays baltes en 1940, et disant clairement à Gorbatchev de détruire le mur de Berlin.
Boris Souvarine, sans doute le meilleur connaisseur du phénomène communiste au XXe siècle, nous avertissait. « Il faut connaître, disait-il, la sinistre histoire d'hier pour comprendre la tortueuse politique d'aujourd'hui et de demain. » Jamais ce jugement n'a été autant d'actualité. Certes les recommencements ne sont jamais identiques. Hollande n'est pas Daladier, M. Poutine n'est ni Staline ni Hitler, à peine une sorte de composé artificiel édulcoré des deux, le Donbass n'est pas les Sudètes, etc.
Mais il est de plus en plus clair que l'imbroglio des accords artificiels de Minsk et, plus encore, de leurs zones d'ombre, tendront de plus en plus à produire, non pas seulement des situations illégales mais gelées, comme celle de Chypre qui dure depuis 40 ans, ou comme l'a été le reliquat du statut quadripartite de Berlin pendant 44 ans, ou comme l'armistice coréen depuis 1953 – mais, si on ne déjoue pas le plan du Kremlin une sorte de conflit « tiède ».
Pire qu'une amputation territoriale, l'Ukraine subirait dès lors une forme de subversion de sa constitution dont Moscou se voudrait alors la gardienne comme elle le fut au XVIIIe siècle dans la Pologne paralysée par le liberum veto. On doit donc se féliciter à cet égard que le président du Conseil européen soit l'ancien chef du gouvernement polonais le courageux Donald Tusk, dont la mémoire historique ne semble pas défaillante.
Il est au contraire à déplorer qu'une forme d'encouragement a été donnée aux erreurs du Kremlin avec l'absence de référence au statut de la Crimée : celle-ci passe à la trappe alors même que l'on proclame l'intangibilité des frontières ukrainiennes.
Le grand frère russe ne peut même pas assumer la charge financière de l'Ukraine orientale, ruinée et ensanglantée par le conflit. Même sa responsabilité morale est esquivée par la déclaration du Kremlin du vendredi 13 février indiquant que « n'étant pas partie prenante dans le conflit en Ukraine, la Fédération de Russie n'était pas tenue de mettre en œuvre les accords de Minsk. » Pourquoi même M. Poutine a-t-il dès lors demandé à Angela Merkel et François Hollande de se déplacer en Biélorussie ?
Demain d'ailleurs il désavouera ses mercenaires, – lui ou son successeur – comme il a commencé à le faire pour ses militants sincères et ses plus impudents propagandistes, et le pouvoir moscovite se débarrassera de ses larbins comme d'un kleenex.
L'expérience de l'après-Yalta l'enseigne : les zones d'ombre doivent être éclairées.
« L’Ukraine, écrivait Voltaire, a toujours aspiré à être libre. » Ne peut-on pas dire cela de toute l'Europe, dont elle fait partie ?
JG Malliarakis
Apostilles
Pour notre conférence du 19 avril à l'Institut d'Histoire sociale "Revisiter Yalta"
→ télécharger l'invitation
→ télécharger le plan d'accès.
En attendant la nouvelle édition de "Yalta et la naissance des blocs" vous pouvez commander le livre sur "L'Alliance Staline Hitler 1939-1941" dans lequel est publiée la carte si rarement divulguée des conquêtes soviétiques effectuées dans le cadre du pacte de 1939, et entièrement avalisées en 1945, à Yalta.⇑
→ Pour être tenu au courant de nos chroniques, il suffit de s'inscrire à la liste de diffusion de L'Insolent en adressant un message à : <courrier.insolent-subscribe@europelibre.com>
L'abandon de toute revendication de l'Occident en faveur de la libération de la Crimée est absurde. C'est précisément dans la mesure où l'on ne voit pas la Russie y renoncer dans un futur proche, que nous devrions sans cesse lui rappeler sa violation du droit international en la matière.
Cela nous permet d'avoir sans cesse un fer au feu contre la Russie, et de la harceler en l'agitant, dans l'espoir d'obtenir moins sur des terrains où Poutine peut plus facilement reculer.
Et puis, même en admettant que la Crimée reste encore longtemps sous le joug russe, à l'instar de la partie nord de Chypre, il ne manque pas de sujets sur lesquels l'Occident pourrait exprimer des exigences plus limitées concernant ce territoire : les droits des Tatars qui font l'objet d'une véritable épuration ethnique en ce moment, la liberté d'opinion et d'expression, les droits des Criméens d'origine ukrainienne restés sur la péninsule ou réfugiés sur le continent, etc.
Passer la Crimée par pertes et profits est une stratégie stupide. A l'extrême rigueur (bien que je ne sois pas partisan d'une telle position), on pourrait réclamer l'évacuation de la Crimée pour finir par admettre la présence russe, en échange d'autre chose.
Mais concéder dès le départ à Poutine ce vol de territoire pur et simple, c'est idiot. A moins que les Ukrainiens eux-mêmes ne soient si défaitistes qu'ils y aient définitivement renoncé…
Petite réponse
Je ne crois pas que les Ukrainiens y aient renoncé.
Rédigé par : Robert Marchenoir | mardi 17 fév 2015 à 19:49