Les données dominantes dont on disposait il y 30 ans renvoyaient encore à l'idée d'un "partage mondial" entre Américains et Soviétiques. Les deux hyperpuissances paraissaient plus ou moins égales. On recevait souvent des informations tendant même à prouver, au-delà de l'équilibre de la terreur nucléaire, la supériorité militaire de l'URSS, menaçante par le nombre de ses blindés, la puissance de ses divisions classiques, l'omniprésence de services spéciaux, KGB, GRU, etc.
Le sujet des négociations et accords interalliés de l'immédiat après-guerre m'avait passionné depuis longtemps. Le nom de "Yalta", le plus connu, les englobait toutes, comme de manière métaphorique. J'y avais consacré un certain nombre d'articles, de conférences, de brochures. Ce qui me semblait scandaleux, au départ, accusait la complaisance du Département d'État américain vis-à-vis du phénomène communiste. En 1982, la commande d'un ami éditeur m'amena à travailler plus particulièrement l'origine historique de ces deux blocs supposés symétriques.
Cette étude remonte à plus de trente années. Or, dès cette époque, elle me confirmait dans la suggestion, alors hérétique, aujourd'hui faussement évidente, que les États-Unis avaient tiré le meilleur profit de ce système. Les dirigeants de Washington n'avaient laissé à l'abominable régime stalinien que des gains territoriaux par nature illusoires et archaïques.
Ceux-ci reviennent , aujourd'hui, comme une préoccupation évidente et centrale du régime poutinien. Ce phénomène s'explique tout simplement parce que les maîtres du pouvoir moscovite, dont le président russe n'est que la tête de proue, sont demeurés identiques. Au-delà même du profitariat des fameux "oligarques", les grands serviteurs de cet État sortent des mêmes fabriques. Les anciens du KGB, "leur ENA" (sic !) adossés aux produits du MGIMO, - l'institut d'État des relations internationales de Moscou, créé en 1944, et jamais réformé, - ont ainsi pris le relais des anciens apparatchiks du défunt Parti. Dans ces cercles, on distille la même conception "géopolitique", peut-être plus perverse encore que l'idéologie matérialiste dialectique dérivée du marxisme. L'occident reste l'objet de leur exécration.
Les témoignages les plus significatifs à cet égard, qu'il s'agisse des époques stalinienne, khrouchtchévienne ou brejnevienne ne doivent pas être cherché parmi les œuvres d'écrivains, aussi talentueux et géniaux que Pasternak, Arthur Koestler, dont on faisait grand cas dans ma jeunesse, ou Soljénitsyne, mais plutôt chez les rares dissidents issus de la couche dirigeante proprement dite. Ainsi le général Krivistky. (1)⇓ Ainsi Arcady Chevchenko. (2)⇓ Dans ce registre la liste, englobant évidemment Kravchenko, énorme succès de librairie en son temps, est assez courte.
Tous confirment cette boulimie territoriale dont, seul ou presque parmi les dirigeants communistes, Lénine cherchait à se prémunir, qui posa, en 1922, le principe – principe qui ne fut évidemment jamais appliqué – d'une égalité absolue entre les nations invitées à constituer l'Union soviétique, l'Ukraine, la Russie, la Transcaucasie. Dès cette époque Staline s'oppose à lui, ce qui lui vaudra d'être qualifié par Lénine, à très juste titre, de "grossier argousin grand-russe". (3)⇓
Le grossier argousin a fait la carrière que l'on sait.
En 1922, Staline n'est que Commissaire du peuple chargé des nationalités et l'URSS n'est qu'en gestation.
En 1931 il exerce sur l'empire des Tsars reconstitué une dictature totale probablement la plus meurtrière en nombre de victimes que le monde ait jamais connu.
En 1939 il noue avec Hitler une alliance fort profitable en termes de gains territoriaux qui ne sera rompue en 1941 que par le caprice de Berlin. (4)⇓
En 1945 ses conquêtes de l'époque seront intégralement confirmées lors des conférences de Yalta et de Potsdam.
Il faut avoir le courage de prendre acte et conscience que les régimes de Staline, Hitler et Mao méritent exactement le même traitement mémoriel. Ajoutons que l'islamo-terrorisme est actuellement un candidat pour rejoindre ce club. Tant que cela ne sera pas intériorisé nous continuerons à avoir affaire à une conscience universelle complètement hémiplégique.
Or, c'est ainsi que cela fonctionne depuis 1945. Ceci aboutit à ne frapper et condamner qu'à "droite", c'est-à-dire à englober toujours la droite, comme victime collatérale du concept "antifasciste". Et il faut rappeler que ce concept lui-même fut inventé par le Komintern pour stigmatiser tous ceux qui s'opposent ou se sont opposés un jour ou l'autre au communisme.
Et ceci produit l'aberrante dérive de la Russie poutinienne qui me permet d'emprunter au Monde la conclusion suivante :
"en Russie, où le pouvoir ne cesse d’entretenir la nostalgie d’une grande puissance capable d’imposer par la force ses vues, le travail de mémoire reste encore et toujours une bataille. Un sondage réalisé fin 2014 par l’institut indépendant Levada révélait que 52 % des Russes conservaient une « image positive ou plutôt positive » de Staline." (5)⇓
JG Malliarakis
Apostilles
- auteur en 1939 de "J'étais un agent de Staline" réédité au Trident.⇑
- diplomate de haut niveau, il fit défection en 1978, alors qu'il était en poste à New York en qualité de secrétaire général adjoint de l'ONU. Il publia, aux États-Unis, un témoignage capital, qui fut édité en 1985 en français, chez Payot, sous le titre de "Rupture avec Moscou".⇑
- notes de Lénine dictées à ses secrétaires les 30 et 31 décembre 1922. ⇑
- cf. "L'Alliance Staline Hitler (1939-1941)" présentation par JG Malliarakis des cartes et documents du pacte germano-soviétique.⇑
- cf. "Le Monde" le 16 février 2015.⇑ <
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Voudriez-vous bien, svp, expliciter votre phrase:
"....Et ceci produit l'aberrante dérive de la Russie poutinienne....."
Qu'est-ce que " l'aberrante dérive de la Russie poutinienne " ?
Merci d'avance. Pour ma part je préfère cette "dérive" à celle d'Obama!Courtoisement vôtre.
Rédigé par : JC GAY | jeudi 19 fév 2015 à 11:41
@ JC Gay
Vous préférez la Russie à l'Amérique ? De loin, alors, je suppose.
A moins que vous n'aimiez le thé au polonium, les immeubles qui vous ensevelissent grâce aux artificiers du gouvernement, les salaires d'officiers supérieurs qui ne permettent même pas de se nourrir...
Combien d'Américains émigrent en Russie, et combien de Russes émigrent en Amérique ? Et tant qu'on y est, combien de Français émigrent en Russie ?
Je vois que pour certains, rien n'a changé depuis le PC"F". On fait l'éloge de la Russie, mais bien au chaud en France, grâce aux bienfaits du capitalisme libéral.
Rédigé par : Robert Marchenoir | vendredi 20 fév 2015 à 16:37