Ce 13 décembre plusieurs milliers de nos concitoyens et co-contribuables défilaient à Strasbourg. Ils manifestaient pour le droit de vivre de leur région, et contre sa dilution arbitraire dans un ensemble privé de racines et d'identité.
Or, l'Alsace ne se mobilise plus désormais contre son seul effacement nominal. Celui-ci a été voulu, sans consultation des intéressés. Il hérisse toute l'opinion locale. Le pouvoir de l'État central parisien ne semble pas mesurer la montée en puissance d'une nouvelle volonté, ancrée dans la population. Elle va très au-delà des notables traditionnels qui, malgré tout, ne peuvent que s'associer, ce que certains font sans doute de bonne grâce, à ce mouvement. Celui-ci les dépasse et donne le champ libre à un courant de revendications de plus en plus orientées vers l'autonomie.
La lutte essentielle de l'Alsace porte, en effet, sur son existence en tant que telle. Elle s'attache aussi à la sauvegarde de son droit local. Reconnu officiellement en 1919, il s'est vu constamment menacé depuis. Il comporte de nombreux avantages, qui ne coûtent rien à l'État central, en matière de sécurité sociale, de formation professionnelle, de régime des associations et, bien entendu d'enseignement religieux, ce qui irrite évidemment nos laïcistes, puisque les départements "réannexés" bénéficient toujours du régime concordataire 1801.
Parmi les raisons qui ont mobilisé les manifestants, la défense de l'identité alsacienne vient évidemment en tête. Ils la savent menacée. À noter que d'autres luttes régionales s'y sont associées.
Au départ, le 11 octobre à Strasbourg une immense foule était rassemblée. Ouverte à tous par-delà les clivages idéologiques et les sensibilités partisanes, elle donnait largement la vedette au président du conseil régional d'Alsace Philippe Richert. (1)⇓
Unique survivant UMP de la vague rose des élections régionales de 2010, il pouvait être considéré comme le symbole d'une opposition de type "politique" comme peut sembler "politique" l'atteinte violente opérée par le pouvoir à la seule région métropolitaine dont l'exécutif échappe au contrôle de la gauche.
Dans le même esprit, et dans la foulée de ce succès, le 19 novembre Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de l'UMP prenait la parole à Mulhouse. Sur la photo une gentille petite Alsacienne en coiffe noire traditionnelle. Tout le monde chante La Marseillaise et il déclare : "Je conteste la carte de la réforme territoriale, l'Alsace a été touchée. C'est incroyable que ce gouvernement puisse prétendre mieux connaître les Alsaciens que les Alsaciens eux-mêmes. L'Alsace est la région la plus ouverte de France au cœur de l'Europe." (2)⇓
Le 30 novembre le rassemblement de Colmar renforçait le mouvement, avec la participation de Charles Buttner président du Conseil général du Haut-Rhin lequel s'engage en faveur du bilinguisme. Il mobilise à cet égard des arguments forts : défenseur d'une "trinationalité" alsacienne il adressait le 11 décembre une lettre ouverte "à nos voisins allemands et suisses", défendant un espace rhénan effectivement trinational au sein duquel se situe l'Alsace depuis toujours, et qui ne s'encombre ni de la Champagne ni même de la Lorraine... (3)⇓
Et il appelle les maires de son département à faire retentir le tocsin ou la sirène ce 16 décembre, veille du vote par l’Assemblée nationale du projet de loi sur la délimitation des régions. (4)⇓
Le 7 décembre à Mulhouse Andrée Munchenbach donnait un ton nouveau. Citons son discours : "Les Alsaciens sont tolérants, endurants, dociles… Mais faut pas pousser ! Ils ne descendent pas souvent dans la rue. En 1924, face au cartel des gauches, c’est la rue qui a fait respecter le Concordat. En 1953, pendant le procès de Bordeaux. La France, qui n’avait rien compris à l’Histoire de l’Alsace, qui avait laissé faire l’annexion par les nazis et l’incorporation de force, allait condamner des Malgré-nous. Les Alsaciens se sont mobilisés. Ils ont eu gain de cause." (5)⇓
Le 13 décembre, dans la rue on entendit certes murmurer contre des notables considérés comme assis tel un Phlippe Richert ou un Guy-Dominique Kennel, président du Bas-Rhin qui aussi UMP. Quelques gros mots ont également fusé, à ne pas répéter aux Parisiens. On peut quand même leur délivrer le message. Il semble assez clair : "Paris nous n'avons pas besoin de toi" (6)⇓
Mais on doit considérer comme beaucoup plus significative encore la radicalisation des symboles. Partout est désormais brandi le drapeau Rot un Wiss remontant au XIe siècle. Enfin, il supplante, et sans difficulté, les écussons officiels et artificiels fabriqués pour complaire aux "républicains". Il voisinait même dans la foule avec quelques Gwen ha Du bretons. Cet étendard quoique plus récent mais bien symboliques. Le slogan "Alsace libre", "Elsaß frei" disait bien, lui aussi ce qu'il veut dire. Oui, vive l'Alsace libre, dans une France libre et une Europe libre
De telles manifestations ne se limiteront certainement pas à l'Alsace. De la Savoie au pays Basque, de la Corse à la Bretagne, d'autres régions grondent. Cela devrait faire réfléchir tous ceux qui confondraient encore le vrai patriotisme et sa caricature jacobine. Avant qu'il soit trop tard.
JG Malliarakis
Apostilles
Pour obtenir leur TGV, les alsaciens n'ont pas eu trop de mal avec la tutelle jacobine des "welsche", pardon, des "français de l'intérieur" ? (car les alsaciens croient manifestement que seule leur région est frontalière avec un autre pays, pour appeler ainsi leur compatriotes)
Ayant une partie de mon entreprise dans cette région, j'appelle de mes voeux l'indépendance alsacienne : salaires plus bas, droit du travail moins contraignant, etc...
De même pour "Breizh" où je passe toutes mes vacances : une monnaie locale, avec un taux de change bien favorable, ne serait pas pour me déplaire.
Le bateau coule, les rats quittent le navire..bon vent à eux !
La France est trop grande, depuis trop longtemps.
La mienne se limite à ses frontières historiques : la Seine, la Marne, l'Ourcq, l'Aisne et l'Oise.
Que le reste devienne, au choix, espagnol, italien, allemand, ou britannique, peu m'importe !
Rédigé par : MP | lundi 15 déc 2014 à 23:16
"France, [...], qui avait laissé faire l’annexion par les nazis et l’incorporation de force,..."
Le crooner du Carlton n'avait rien pu faire ?
Pour la Savoie, diminué par l'immigration intra-française et européenne, le désir d'autonomie est faible, (1%).
Petite réponse
1. Sur ce que dit Mme Munchenbarr, c'est à elle qu'il faut répondre et adresser vos commentaires. J'ai souvent entendu ce reproche dans les propos des Alsaciens que je connais. Je vous rappelle ce que j'écris dans mon livre sur l'Alliance Staline Hitler, et que les historiens passent sous silence : Strasbourg avait été évacué de ses habitants pendant la "drôle de guerre". Les Alsaciens "évacués" en ont gardé un très mauvais souvenir.
2. Les revendications identitaires régionales ne se résument pas à "l'autonomisme", programme du seul parti "Unser Land", forme la plus radicale du mécontentement en Alsace [le "séparatisme" ne s'exprime qu'en Corse sous l'étiquette "nationaliste"]. En Savoie il s'agit de la reconnaître comme région.
Rédigé par : Dubitatif | mardi 16 déc 2014 à 09:07
quel est donc cet énigmatique "crooner du Carlton"?
j'apprécie, encore une fois, la prose de MP.
De grâce cessez d'évoquer Sarkozy qui sur ce sujet comme sur tous est un clown!
Pour ce qui est du fond,je crois que "l'affaire alsacienne" n'est qu'un montage qui dure depuis plus d'un siècle. Actuellement je crois qu'elle sert de monnaie d'échange : tu me donnes tes sous et je te rends tes territoires. Sachant que les allemands sont beaucoup plus attachés à l'Alsace que les français dont l'attachement est très artificiel, très fabriqué, montage d'après 70...
De tout temps, la femme s'est livrée à la prostitution quand elle ne pouvait rien faire d'autre. Et les allemands aussi patauds soient-ils n'ignorent pas cela!
La perfidie des femmes rend les hommes brutaux, tout le monde sait çà!
Rédigé par : mersenne | mardi 16 déc 2014 à 10:04
Charles Buttner : "il adressait le 21 décembre (?!) une lettre ouverte".
Un petit développement sur cet espace rhénan ?
Cela me rappelle votre excellente étude sur l'Arc Alpin : Padanie, Suisse rhodanienne, Savoies, Croatie, Slovénie etc.
Rédigé par : Dubitatif | mardi 16 déc 2014 à 10:20
Lorsque je vais en Alsace je ne manque pas de me recueillir devant les Monuments aux Morts : autant pour le souvenir des hommes qui ont donné leur vie de gré (ou de force pour les "Malgré-Nous"), que par la stupéfaction qui est mienne lorsque je compte - je ne peux m'en empêcher et cela n'a rien de morbide - le nombre des Alsaciens tombés pendant la campagne de France, et de ceux tombés sur le front soviétique. Il y a les Morts d'avant l'armistice et Ceux d'après ! Souvent il y a deux chapitres distincts gravés. Les chiffres sont effrayants ramenés à la population des villes et villages.
Cela on ne l'apprend pas dans nos manuels d'histoire.
Et l'on voudrait mépriser les Alsaciens, et araser les particularités juridiques, économique et religieuses de leurs départements (j'ignore d'ailleurs ce qu'il en est de la Lorraine) ? Les Lorrains ont eux aussi beaucoup donné, de leur sang.
Cette république parisienne, jacobine, et gauchiste est vraiment méprisable.
Rédigé par : Sparte | mardi 16 déc 2014 à 17:33
Que la concertation des zélites n'aboutisse à grand chose en matière de régionalisation ne surprend pas, la déconcentration de l'Etat ayant fait naître des satrapies républicaines où mettre la division II de notre trop nombreuse classe politique.
Le seul outil de réorganisation est le référendum sur une carte dessinée au crayon du bon sens. On en est loin.
Qu'attend encore l'Alsace de la France ?
Rédigé par : Catoneo | mercredi 17 déc 2014 à 18:51
- "Des fiefs aux régions", Nouvelle Revue d'Histoire numéro 11, Mars 2004.
- Ronan Larvor et Erwan Chartier Le Floch, "La France éclatée?" Régionalisme, autonomisme, indépendantisme. Coop Breizh, 2004.
Rédigé par : Coriolan | samedi 20 déc 2014 à 01:59
Il faut voir comment Louis XIV s'y est pris pour "rattacher" l'Alsace. Chose intéressante et mal connue: à cause de ce comportement brutal, démontrant une totale absence de sensibilité pour les coutumes d'une vieille terre d'empire, cette annexion a fait rater à Louis XIV son élection impériale. Eh oui! Vous avez bien lu: empereur romain, du saint empire romain, et germanique. Car il faut savoir que Louis XIV ambitionnait cette couronne impériale pour lui-même ou le dauphin, et dans ce but il avait déjà acheté la plupart des princes électeurs allemands. Colbert avait négocié ça avec Leibniz du côté allemand. Mais quand les princes allemands ont vu comment Louis XIV en usait avec l'Alsace, ça a ruiné toutes ses chances d'un seul coup. La révocation de l'édit de Nantes a aussi pas mal défrisé les princes protestants, mais c'est l'occupation de Strasbourg qui a pesé le plus lourd pour faire échouer le projet. En janvier 1690 l'archiduc Joseph, fils de Leopold, Habsbourg, devint roi de Rome alors que ce titre était prévu pour le dauphin.
Dommage, car un roi de France empereur allemand, cela aurait pu permettre de faire l'Europe déjà à l'époque.
(Si quelqu'un est intéressé je tiens à sa disposition une documentation sur cet épisode historique dont Malet et Isaac ne parlent pas. Ah... l'historiographie franco-française...!)
L'Alsace n'est ni française ni allemande. Elle est alsacienne et terre d'empire. Si j'étais alsacien je serais séparatiste et, puisque l'Europe de Bruxelles est définitivement un fiasco, je serais pour le rattachement à la Suisse. Une idée qui fait son chemin aussi dans le Vorarlberg (petite province autrichienne de langue alémanique aux bords du lac de Constance), la vallée D'Aoste, la Haute-Savoie, et même la Forêt noire (sud du Land de Bade Württemberg).
Mais je ne pense pas que l'Alsace pourra se débarrasser de la domination française (qui lui suce sa substance fiscale pour engraisser la kleptocratie parisienne). Car Marine Le Pen sera bientôt présidente, j'en suis certain. Jacobine comme elle, ce sera la fin des beaux espoirs de régionalisme européen pour les provinces comme l'Alsace, la Savoie, la Bretagne, etc.
Rédigé par : Zwingli | samedi 20 déc 2014 à 17:03
Les liens dans les apostilles ne fonctionnent pas ?
Petite réponse
Merci de votre vigilance. Ils sont rétablis. Bon dimanche.
Rédigé par : dominique | dimanche 21 déc 2014 à 00:27