Mieux vaut rouiller que dérouiller. À la faveur du vote du budget, on pourrait redécouvrir, ou comprendre enfin le sens profond d'une très vieille réplique. Quelque peu mystérieuse, elle était apparue en 1960 dans l'inoubliable "A bout de souffle" sous la direction de Jean-Luc Godard.
Prononcé par Jean-Paul Belmondo, l'apophtegme aura mis un demi-siècle à s'appliquer à l'échiquier politique de notre pays.
Car une gesticulation scandaleuse est ici à souligner. Elle émane d'une force que l'on croit "rouillée" alors qu'elle n'a jamais "dérouillé". Elle est donc venue, à nouveau, ce 18 novembre de l'appareil communiste. Les médias, y compris ceux du prétendu "service public", service public du bourrage de crânes serait-on tenté de le qualifier, y ont contribué. Ils l'ont évoquée à l'avance, comme un événement important. Une telle manifestation "des fonctionnaires", sans qu'on nous dise lesquels, devant l'assemblée nationale, était annoncée en boucle toute la matinée. Et on s'est bien gardé revenir, depuis, sur la minceur de son écho véritable.
Or cela s'accomplissait au nom des personnels de ce qu'on appelle la fonction publique.
Leurs délégués invoquent des sujets corporatifs de mécontentement. Certains thèmes les concernent, et eux seuls face à leurs diverses administrations. Ainsi on conçoit que la CGT des finances publiques se soit rassemblée devant la citadelle de Bercy. Ses porte-parole affirmaient au porte-voix, que la concertation ne sert à rien. Seule la grève leur semble efficace. On se doute qu'il en résulte la plus grande joie des hauts fonctionnaires de ce ministère.
Mais le symbole antidémocratique par excellence aura constitué dans l'autre rassemblement. Il était programmé contre le vote du budget par les bureaucrates subventionnaires de Montreuil. Il s'opérait donc au nom de ceux qui bénéficient de l'impôt, prétendant faire pression sur les députés supposés eux-mêmes représenter les contribuables qui le subissent.
Que leur mobilisation ait relevé de l'acte rituel ne peut échapper à personne. C'est donc au sein de cet espace mythique que l'on doit s'interroger, non sur la légitimité nulle, non même sur l'audience médiocre, mais sur l'obscénité du propos.
En théorie, en effet, la constitution de 1958 fait de la France une démocratie parlementaire. Dans un tel régime, le vote du budget de l'État représente l'acte constitutionnel majeur puisqu'il évalue la consistance de la majorité sur laquelle s'appuie le gouvernement.
Et, ce 18 novembre, intervenait en première lecture le vote de l'assemblée nationale sur l'ensemble de la loi de finances pour l'année 2015. L'aller-retour à venir avec le sénat, certes, ne doit pas être négligé. La chambre haute n'est plus acquise à l'équipe en place. Mais a priori son intervention ne peut porter que sur des questions plus ou moins secondaires.
Comment ne pas mesurer la force émotionnelle des revendications fonctionnariales qui se substituent désormais à la cause prolétarienne d'autrefois. Dans un pays qui compte 5 millions de chômeurs, il s'agit d'une population qui se trouve à l'abri de ce risque. Dans un pays où l'équilibre des caisses retraites se trouve à la merci de la capacité d'emprunt d'un État exsangue surendetté et irréformable auprès des marchés financiers, les pensions des intéressés sont payées directement par le Trésor public. On pourrait continuer longtemps sur le scandaleux décalage.
Rappelons que le statut de la fonction publique d'État en France a été institué par Maurice Thorez, son ministre en 1946. Les post-gaullistes d'aujourd'hui contribuent par leur ignorance à une approximation fâcheuse : on accole le nom de De Gaulle à cette période, alors que celui-ci avait démissionné en janvier, et qu'il ne porte donc aucune responsabilité dans les actes législatifs de cette année funeste. Une partie du statut de 1946 a été, faussement et partiellement, étendue, lors des années 1980, aux personnels des hôpitaux et aux salariés des collectivités locales. Depuis le passage d'Anicet Le Pors, successeur de Thorez dans les deux gouvernements Mauroy, cette population est ainsi assimilée à la fonction publique.
Leur public était donc appelé à se rassembler de façon symbolique devant le Palais Bourbon. Par cette présence, nos bons vieux "stals" prétendaient dicter le vote, sinon celui, comme aux temps de la Convention et de la Terreur, de la représentation nationale dans sa globalité, du moins celui de la frange la plus sensible à la survivance d'union de la gauche, et au reliquat marxiste de ses réflexes pavloviens.
Or, si l'on veut bien analyser le résultat du scrutin, malgré la "rouille", en dépit du recul, et parfois même du ridicule, la mission de ce qui pourrait ne paraître qu'une misérable agitation a été en partie remplie.
"L'Humanité" du 18 novembre, présentait ce scrutin, n° 955, comme "le vote le plus contesté depuis 2012". Or, son résultat ne fait apparaître désormais de façon stable qu'une majorité assez courte. Elle est devenue tributaire du soutien des radicaux dits de gauche car, sur un nombre de votants de 569, si 266 députés ont voté pour, 247 députés ont voté contre et 56 députés se sont abstenus.
Les abstentions représentent une force de bascule appelée à se détacher de la gauche proprement dite, et à constituer à partir de 37 supposés "frondeurs" et de 14 prétendus "écologistes", – ces deux impostures nous imposant l'usage de guillemets – l'enjeu des prochaines batailles politiques qui seront menées par l'extrême gauche. Celle-ci est actuellement assumée par les 12 députés communistes qui ont voté "contre" . Si "rouillés" soient-ils, mais n'ayant jamais "dérouillé", ils peuvent en être considérés comme l'avant-garde.
Aujourd'hui ils agissent sans doute en fonction d'une urgence. Elle est essentielle pour eux car ils se préoccupent des élections syndicales chez les fonctionnaires du 4 décembre, par les deux centrales d'obédience communistes, c'est-à-dire dans la pratique par les deux principales forces syndicales de notre pays, par la CGT que l'on ne présente plus et par la FSU majoritaire depuis 20 ans dans l'éducation nationale. Le PCF, la CGT, la FSU et le lectorat de "L'Humanité" constituent, faut-il le répéter une fois encore, une seule et même force politique.
Comme pour les manifestations de rue, une erreur de parallaxe consiste à ne mesurer l'audience de celle-ci que dans le temps. Si on la compare avec les masses que le PCF et la CGT pouvaient mobiliser autrefois, dans des circonstances très différentes, certes on peut considérer que, même dans notre pays, le stalinisme semble déclinant.
Il dispose encore pourtant, et de loin, comparée à celle des autres, de la plus solide capacité d'organisation. Et, à cet égard, il reste fort dangereux de ne pas en voir la menace permanente pour la majorité, désormais relative, dont dispose encore le pouvoir d'État.
blockquote>JG Malliarakis
Arrêter de gesticuler certes mais aussi à l'autre bord, cesser d'être hystérique!
Giscard nous a appris que nous sommes une puissance moyenne et j'ai bien peur que nous soyons encore en dessous. Pourquoi je dis çà? Parce que c'est le lot des petites puissances d'être sur- administrée. C'est la pratique du parrainage instituée, nationalisée ( c'est le cas de le dire )Je crois que c'est un phénomène sociétal typique à 2 versants : celui-ci et celui des "beaufs" des petits commerçants et artisans, des classes moyennes bref des gens qui gagnent petit et qui pensent creux! L'addition des 2 donne une puissance très moyenne. Celle qui est la notre.
Rédigé par : mersenne | mercredi 19 nov 2014 à 18:21
Maurice Thorez, qui a donné son nom à la ville de Torez en Ukraine de l'est... actuellement envahie par les chars russes... au moment même où les dirigeants du Front national, héritier contemporain du parti communiste, se pressent en rangs serrés à Moscou pour approuver cette invasion...
Rédigé par : Robert Marchenoir | jeudi 20 nov 2014 à 02:18
J'apprécie, non sans sourire, la contribution de Robert Marchenoir.
Bah, vous donnez une importance considérable à des gesticulations qui cachent le vide! Ce fameux PCF n'était pas à gauche mais à l'est selon l'excellence formule du fondateur du PSU ( et non à Guy Mollet )formule qui dit tout car à droite ce fut et c'est la même chose avec tous ces courants atlantistes divers et variés. Tout ce joli petit monde vient grenouiller à l'assemblée pour nous donner l'illusion de la démocratie...Aux USA ils ont des lobbies. Nous, nous avons les délégués des puissances étrangères. Comprenons bien qu'un lobby n'a rien à cacher mais pour les puissances étrangères bien sûr c'est autre chose, il y a la bienséance à respecter sinon c'est la canonnière!
Rédigé par : mersenne | jeudi 20 nov 2014 à 10:25
Un panorama du poids respectif des syndicats français, dans l'article de Gérard ADAM: Syndicats de salariés, un avenir inconnu. CONSTRUCTIF numéro 30 de novembre 2011. Collection: Les corps intermédiaires en perspactive.
- Histoire et Liberté numéro 33. L'indispensable mutation du syndicalisme français. Institut d'Histoire Sociale.
Rédigé par : Coriolan | samedi 13 déc 2014 à 20:42