Place Stalingrad, à Paris, ce 2 novembre 2014, les "amis" de feu Rémi Fraisse ne sont plus sur Facebook. La veille ils étaient à l'avant-garde des affrontements qui se sont déroulés à Nantes, Toulouse et Dijon. En même temps, à Sivens, dans le département du Tarn, où s'était déroulé l'incident dramatique du 26 octobre, plusieurs milliers de personnes déposaient des fleurs.
La scission n'est pas encore totale entre gauchistes et écolos de toutes tendances et de toutes provenances, adversaires sincères du projet de barrage, comme d'autres qui voudraient s'opposer sans violence au nouvel aéroport prévu à Notre-Dame de Landes.
À Paris, toutefois, deux manifs de style très différents se déroulaient en ce même dimanche.
La couverture des deux était regroupée par Le Monde sous un titre d'ensemble volontairement rassurant : "A Paris et à Sivens, des hommages à Rémi Fraisse sans incidents." (1)⇓
Pourtant, on lira un peu plus bas dans le même article du même journal cet assez bon descriptif de ce qui se passait du côté de Stalingrad. Beaucoup moins pacifique… Qu'on en juge :
"75 interpellations à Stalingrad"
"À Stalingrad, quelque trois cents manifestants se sont retrouvés vers 15 heures sur la place pour un rassemblement non autorisé (…). L'imposant dispositif policier déployé par la Préfecture de police a permis la dispersion des participants vers 17 h 30 sans incident majeur ni débordements. Les forces de l'ordre ont procédé à 75 interpellations en amont du rassemblement, contribuant à expurger le cortège de ses éléments les plus vindicatifs.
Dix-neuf personnes ont été placées en garde à vue : trois pour port d'armes prohibées (marteaux, poings américains ou projectiles), quatorze pour attroupement en vue de commettre des violences et deux pour refus de se soumettre à des vérifications, selon la Préfecture de police de Paris. L'essentiel des gardés à vue appartient à la mouvance contestataire radicale, aux courants anarchiste ou autonome.
"Une poignée d'éléments radicaux sont néanmoins parvenus à déjouer les barrages filtrant pour se glisser parmi les dizaines de manifestants pacifistes réunis sur la place..
"Parmi eux, Martin (le prénom a été modifié), explique qu'il a boudé le sit-in du Champ-de-Mars car il le trouve 'trop pacifiste'. 'Zadiste énervé', comme il se définit lui-même, il ne manifeste pas uniquement à la mémoire de Rémi Fraisse, mais contre 'ce qui se passe à Sivens et les violences policières en général'. Profitant d'un mouvement de flottement consécutif à un usage - le seul de la journée - de bombe lacrymogène par les CRS, il sort de son sac une bouteille d'acide chlorhydrique et un bâton de papier d'aluminium. 'Tu mets l'alu dans la bouteille, tu refermes bien, tu attends et ça pète', explique-t-il."
Ce compte rendu de Soren Seelow est ainsi conclu : "Il n'aura pas l'occasion de s'en servir." Allons, n'en doutons pas : il en trouvera une autre
La deuxième, celle des pacifistes loin de Stalingrad, avait choisi au contraire la routine et une sorte d'insignifiance. Elle se déroulait en effet sur le Champ-de-Mars. Un rassemblement assis y était organisé devant le mur de la Paix, à l'appel de France Nature Environnement, dont l'appel avait été relayé par les grandes associations écologistes et certains syndicats. Y participaient Emmanuelle Cosse, en qualité de secrétaire nationale d'Europe Ecologie-Les Verts, et deux autres politiciens écolos Yves Cochet et Pascal Durand. L'extrême gauche institutionnelle, aussi bien le NPA que le collectif Notre-Dame-des-Landes d'Ile-de-France, s'était rallié au projet pacifiste. Le camarade Melenchon plastronnait péremptoirement, à son habitude : "L'État doit assumer ses responsabilités, Cazeneuve doit démissionner."
Tout se beau monde s'engouffre donc encore dans la dénonciation des gendarmes, des pouvoirs publics et du ministre de l'Intérieur.
La césure entre cette gauche politicienne et les extrémistes de Stalingrad n'est pas encore entièrement assumée.
Cécile Duflot ose parler de "tache indélébile sur l'action du gouvernement". Le pays tout entier a pu l'entendre en boucle le 28 octobre sur France Info. (2)⇓
De tous les politiciens irresponsables, elle n'est pas la seule à prendre partie pour la nouvelle extrême gauche, sans doute en vue de sa candidature projetée en 2017. Plus à gauche qu'elle, tu meurs. Même posture chez Noël Mamers, coutumier du fait. Significatif aussi l'espèce de débat bidonné organisé, sur France 2, par le crocodile très professionnel Taddeï en présence de Corinne Lepage, Philippe Raynaud Reynaud, Pascal Brückner, "débattant de l’écologie suite au décès de Rémi Fraisse" (en toute sérénité par conséquent). Ces gens sérieux et compétents se virent copieusement insultés par Mathieu Burnel, extrémiste de plateau. Celui-ci gagna donc les applaudissements de Mediapart.
Sur le site de son journal Edwy Plenel avait évidemment repris aussi sa chronique de la veille sur France Culture "En mémoire de Rémi Fraisse", consacrée, en fait, à la rencontre des mineurs, des gays, des lesbiennes "solidaires" contre l'Angleterre de Margaret Thatcher.
Rien ne se perd, par conséquent, dans une telle alchimie et rien ne se crée : tout se récupère. Et, la véritable intention de tous ces récupérateurs s'affichait sans périphrase, toujours dans Médiapart. Ce 31 octobre un article du site dénonce le "Barrage de Sivens : les dérives d'un socialisme de notables." (3)⇓
Le 1er novembre à Tunis Attac-France, CADTM-Maroc, la Fondation Franz Fanon et la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, exprimaient de leur côté "leur solidarité avec les éco-activistes français et les organisations de la société civile dans leur lutte contre le projet de construction d’un barrage inutile, à Sivens (…) Nous demandons au gouvernement français d’arrêter les projets qui détruisent la nature et aggravent le changement climatique."
Le pouvoir d'État, lui, pour une fois conscient du danger en germe, s'exprime clairement. Et il en dément du flot de sottises et de mensonges.
Les déclarations très claires et très courageuses du général Favier au micro de Ruth Elkrief, sur BFM avaient donné le 29 octobre le signal d'un premier coup d'arrêt au délire. En particulier quant aux grenades dites "offensives"...
Un fort intéressant entretien de Bernard Cazeneuve était publié ce 2 novembre dans le Journal du Dimanche, qui le complétait, le confirmait et le confortait utilement.
Car il résulte de ces deux interventions que la violence n'est pas venue des forces de l'ordre mais des groupuscules d'extrême gauche : 56 gendarmes et policiers blessés depuis septembre à Sivens, 81 procédures judiciaires ouvertes, 33 procédures d'agression sur les forces de l'ordre.
Nous n'en somme pas encore à Jules Moch et à 1947 se retournant contre les communistes qui venaient de quitter le gouvernement Ramadier, contre la CGT et ses grèves à répétitions. Mais pas mal d'ingrédients se rassemblent en petit, et y ressemblent à de nombreux égards, y compris sur le plan international, dans le contexte actuel de nouvelle guerre froide.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. sur Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 02.11.2014 à 16h54 • Mis à jour le 03.11.2014 à 05h26 (à noter le décalage) ⇑
- au micro de Fabienne Sintes. ⇑
- sur Médiapart le 31 octobre. ⇑
A ne jamais associer le peuple aux décisions et lui imposer des bétonnages parfois colossaux et dispendieux, les politiques commettent la première violence : contre la Vie. Sans compter que ces décisions de l'Etat se révélent souvent être des échecs : centrales nucléaires, Tgv, Disney Land, etc. Que je sache ces manifestations n'existent pas en Suisse, pays démocratique qui pratique le référendum.
Que des anarchistes - que les socialistes chouchoutaient d'ailleurs à Paris lors d'événements récents - en profitent pour affronter violemment des gendarmes est une autre chose.
Et n'y aurait il eu pas parmi les manifestants des policiers en civil qui auraient caillassé les militaires, comme ils le firent sur les Crs le 25 mai 2013, aux Invalides en fin de journée ?
Quoi qu'il en soit ce gouvernement est violent et il use et abuse des coups de force, comme de la force des coups ; et là il y a mort d'homme, accidentelle vraisemblablement : étudiant, réellement écolo et qui s'occupait de préservation d'oiseaux. Le gendarme qui est à l'origine de ce drame ne sait il pas qu'une grenade offensive qui explose sur les centres vitaux d'un homme peut le tuer ?
Visiblement le manifestant tué à Creys Malville est mort pour rien. Prions
Rédigé par : Dominique | mardi 04 nov 2014 à 15:21