On continue en France de célébrer chaque année comme une fête nationale l'anniversaire de l'armistice de 1918.
Or, le respect que nous devons et, pour certains d'entre nous, la fidélité que nous avons porté, aux anciens de la Grande Guerre devraient nous imposer, aujourd’hui encore, une certaine réserve du fait du gaspillage de cette si coûteuse victoire.
Les erreurs monstrueuses du traité de Versailles ont été largement analysées : à la fois trop fragile, du point de vue des puissances supposées bénéficiaires, et trop dur pour être accepté de façon durable par l'Allemagne vaincue, qui, d'ailleurs se sentait trahie et n'eut aucune latitude pour le négocier.
En relisant les examens critiques de cette "sortie de guerre", aussi bien celui d'un Bainville, que celui d'un Keynes, et leurs thèses supposées contradictoires, il me semble en fait, renforcés par le recul du temps, que leurs travaux se complètent.
Aussi bien les conséquences économiques, vues par Keynes, que les conséquences politiques de cette paix, vues par Bainville, ne pouvaient se révéler que catastrophiques. Et les prévisions de l'historien nationaliste français comme celles de l'économiste britannique, – si souvent dans l'erreur pourtant par ailleurs, – se sont vérifiées. Ceci prouve qu'il était aberrant de ne pas écouter leurs arguments. Ils nous paraissent aujourd'hui évidents. À l’époque malheureusement on les considérait comme des esprits polémiques, purement marginaux. Des insolents, en quelque sorte.
Or, l'architecte de cette mauvaise paix porte un nom : il s'appelait Clemenceau. Et, il a été glorifié, plus que jamais cette année par Hollande, et sans doute par Valls qui se croit la réincarnation du "Tigre". On continue à l'encenser malgré la somme invraisemblable de fautes qu'il aura commises pendant toute sa carrière. On s'efforce d'oublier son rôle belliciste tout particulièrement à la fin de la guerre. On veut effacer des mémoires son incompétence lors de la négociation des traités de Versailles, imposé à l'Allemagne, de Saint-Germain-en-Laye infligé à l'Autriche, de Trianon à la Hongrie, de Neuilly à la Bulgarie, et celui de Sèvres enfin supposé soumettre, de façon définitive, la Sublime Porte.
Or, signé en 1920, cet instrument diplomatique ne fut pratiquement pas exécuté. Le gouvernement d'Athènes commit la folie de croire, pratiquement seul, les promesses de ce qu'on n'appelait pas encore la communauté internationale. Le peuple grec paya cette naïve confiance du prix de la catastrophe d'Asie mineure de 1922. Celle-ci se solda par l'élimination des autochtones chrétiens, de Smyrne à Trébizonde, et la fin d'une présence plusieurs fois millénaire. Cette cruelle leçon de l'histoire n'a pas été retenue.
En janvier 1918 avait été affirmée la doctrine du président Wilson. Sans son intervention, et sans ses financements, les Alliés n'auraient pu ni continuer, ni encore moins gagner la guerre.
Ses 14 points allaient donc s'imposer, du moins en tant que théorie.
Ainsi la carte du démantèlement de l'empire Ottoman fut d'abord dessinée sur une base plus ou moins ethnographique au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Ainsi imaginait-on, notamment, de faire une petite place pour les chrétiens sur les terres où le christianisme est apparu.
Ainsi fut-il prévu à Sèvres en 1920 que le peuple kurde se verrait reconnaître le droit à l'existence d'un Kurdistan indépendant.
Il se trouve qu'entre 1920 et 1926 les frontières prévues ont été redécoupées, au gré des insouciances parisiennes et des intérêts pétroliers : l'hypothèse chrétienne fut rayée de la carte. Quant aux Kurdes, ils furent alors artificiellement divisés entre quatre États (principaux) : Turquie, Irak, Iran et Syrie. Ils constituent de ce fait, aujourd'hui encore, la plus importante population dans le monde dont l'existence nationale n'est pas reconnue.
Or, le vent a repris ses tours.
Le partage du pétrole de l'État irakien, accorde aux Kurdes une réserve constitutionnelle de 17 %. Jusqu'ici elle était soumise au monopole d'exportation de l'État central. Mais cet archaïsme est en train d'exploser. Certes un contentieux opposer bien entendu les autorités locales kurdes au gouvernement de Bagdad. Mais, si le Premier ministre est un chiite du sud, Haïder al-Abadi, la présidence de la république est attribuée à un kurde, en l'occurrence Fouad Massoum. Le contrôle complet sur les ressources du sous-sol ne pourra plus longtemps demeurer sous le contrôle des chiites. Et cela va servira à l'embryon d'un nouvel État qui se développe à Erbil, a déjà repris Kirkouk et pourrait bien viser la reconquête de l'ancien vilayet de Mossoul.
Le 7 novembre, Ashti Hawrami, ministre des Ressources naturelles annonçait que les exportations de pétrole brut par oléoduc avaient atteint dès cette année le niveau de 34,5 millions de barils pour une valeur de quelque 3 milliards de dollars. Cette quantité dépasse de quelque 60 % les estimations précédentes. Et les perspectives des cinq prochaines années semblent dès maintenant très favorable, avec l'appui des Occidentaux. Les réserves de la région autonome kurde sont estimées à 45 milliards de barils. Les plus grosses compagnies mondiales, Exxon, Total, Chevron et Gazprom viennent donc de signer des accords d'exploration. Ici, d'ailleurs, pétrole et droits de l'Homme paraissent faire bon ménage.
Le quotidien catholique "Présent" rappelle à ce sujet : "Naguère le ' sultan rouge' Abd-ül Hamid II se servit des chefs de certaines tribus kurdes, qu'il incorpora dans sa sinistre milice 'Hamidiyé' pour massacrer les Arméniens et prendre leurs terres dans l'est anatolien, autour de 1895, prélude au génocide organisé par les jeunes-turcs en 1915. Aujourd'hui les Kurdes apparaissent comme le dernier rempart de la survie des chrétiens." (1)⇓
Ce retournement dialectique de l'Histoire ne doit être considéré ni comme le premier, ni comme le dernier. Face aux crimes de l'islamo-terrorisme en général, et ceux commis au nom du Néo Califat en particulier, on ne pourra que s'en féliciter.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. sur
- N° 8228 du 11 novembre 2014.
Permettez moi de ne pas être d'accord en ce qui concerne "l'incompétence" de Clémenceau pour ce qui concerne le traité de Versailles. En digne franc maçon qu'il était, Clémenceau a voulu profiter de la défaite des empires centraux pour mettre à bas les Habsbourg, catholiques stricts et donc cible idéale pour cet anticlérical notoire.Je renvoie au livre, et pour cause maintenant introuvable de F. Fejtö, Requiem pour un empire défunt, sur ce sujet.On a vu le résultat, avec la "rebalkanisation" des Balkans, au prix de massacres perpétrés avec le consentement plus que tacite des "démocraties"
Rédigé par : Brun | mercredi 12 nov 2014 à 16:45
C'est une bénédiction que de pouvoir lire votre exposé! Ces phrases où la beauté et l'intelligence se ressemblent m'émeuvent et je vous en remercie!
Rédigé par : mersenne | mercredi 12 nov 2014 à 17:21
Clemenceau, la nausée. Oui, il convient de ne pas oublier le livre de François Fejtö, "Requiem pour un empire défunt".
Et,refuser de souscrire à cette adulation pour Clemenceau le malfaisant. Voir le portrait qu'en a donné l'excellent Arthur Conan Doyle dans "Visite sur les trois fronts" (Les Belles Lettres, Paris, 2014).
Doyle relate sa rencontre en ces termes : "Hier, j'ai rencontré l'un de ces hommes de pouvoir - M. Clemenceau, jadis président du Conseil des ministres, à présent destructeur de gouvernements. C'est par nature un destructeur, incapable de rebâtir ce qu'il a démoli. Avec sa force personnelle, son éloquence, sa voix de stentor; sa plume acerbe, il pourrait aénantir toute politique, mais il ne prendrait pas même la peine de suggérer une alternative. Alors que j'avais devant moi son visage de vieux boxeur 'il ressemble remarquablement à Jem Mece Mace (célèbre champion de boxe bitannique) tel que je me souviens de lui, vers la fin de sa vie); ses yeux gris pleins de colère et son sourire malfaisant, brutal, je lui ai trouvé l'air d'un homme très dangereux. Ma conversation avec lui, si on peut appeler conversation le rapprochement d'un ruisseau et du Niagara, portait sur l'injustice du taux de change anglais; selon moi, cela ressemblait fort à se plaindre du baromètre. Mon compagnon qui a oublie davantage d'economie que Clemenceau n'en a jamais connu, était sur le point de demander si la France était prête à accepter le rouble à sa valeur faciale, mais la voix rugissante, comme un phonographe sonore à l'aiguille émoussée, submergea tout raisonnement. Nous avons nous aussi nos hommes danger eux, mais aucun qui soit de la même catégorie que Clemenceau. Ces hommes mettent en rage ceux qui les connaissent, inquiètent ceux qui ne les connaissent pas, font se quereller tout le monde, sont de sains irritants en temps de paix et des dangers publics en temps de guerre."
Un peu long, mais édifiant.
A méditer par les admirateurs du Tigre aux dents jaunes. LOTHAR
Rédigé par : LOTHAR | jeudi 13 nov 2014 à 11:23
"Les erreurs monstrueuses du traité de Versailles(...) trop dur pour être accepté de façon durable par l'Allemagne vaincue, qui, d'ailleurs se sentait trahie et n'eut aucune latitude pour le négocier."
Pas moins de latitude que celle que la Prusse victorieuse laissait à ses adversaires (Danemark 1863, Autriche-Hongrie 1866, France 1870) quand elle les avait battu.
Quant au sentiment de trahison, il est partagé par tous les peuples vaincus, sans aucune exception.
Après avoir la plupart du temps soutenu jusqu'au bout les politiques aventureuses de leurs états (les bonnes politiques ne perdent pas de guerre...) ces mêmes peuples crient à la trahison, une fois la facture posée sur la table.
Tout autre résultat qu'une victoire complète de l'Allemagne en 1914-1918 eut amené le même résultat : quand un peuple se prend à rêver sur lui-même, comme les français le firent entre 1792
et 1815, la réalité le rattrape toujours, à ses dépends.
Tant qu'à imputer tous les malheurs de monde à Clémenceau, associez-lui donc son meilleur modèle dans la voie du nationalisme borné et cynique : Le Prince de Bismarck.
Rédigé par : MP | dimanche 16 nov 2014 à 13:04