I. Rendre hommage à un Père jésuite expose toujours à quelques critiques. Ne les craignons pas : elles viennent du laïcisme sectaire. À la différence, en effet, de la liberté religieuse américaine ou, au contraire, de l'encadrement par l'État de l'islam sunnite, ce que nous appelons en France "laïcité" n'a jamais poursuivi, en vérité, qu'un seul objectif : celui de détacher ce pays de l'influence du catholicisme. Et ceci visait principalement et d'abord les jésuites.
La célèbre et glorieuse compagnie était née dans la France du XVIe siècle. Elle y avait été combattue, depuis le XVIIe siècle, aussi bien par les jansénistes que par les libertins et les trafiquants d'esclaves. Le jacobinisme, sous la Constituante comme sous la Convention, légiféra donc sous l'influence de la même alliance. Tout ce beau monde profana, massacra et pilla dans le même esprit.
II. Les jésuites manifestent en effet un défaut impardonnable : ils prennent le christianisme au sérieux. Et leur aventure intellectuelle et spirituelle tend à mettre la raison au service de la foi.
En France on vit beaucoup sur des contresens. On les dissèque parfois même avec intelligence et géométrie, cet art de raisonner juste sur des figures fausses. Le parcours de l'œuvre de Henri Lammens, au contraire, nous offre à cet égard un exemple frappant de la démarche de vérité, recherchée et vécue sous le regard de la foi.
Il s'agit, au bout du compte, d'un respect absolu des faits objectifs, du sens de l'exactitude, sans complaisance vis-à-vis de l'erreur, et de la bienveillance vis-à-vis des hommes, même quand ils manifestent de l'hostilité. On a beaucoup insisté aussi sur la notion d'inculturation. On doit certes la savoir fondamentale dans l'approche dont la compagnie de Jésus a toujours imprégné sa conception de la mission. Quand il parle des origines de l'islam, ou de la personnalité de Mahomet, notre auteur ne manque donc pas de les situer dans leur contexte.
III. Une fois posées ces généralités introductrices, comment ne pas en voir l'application particulière, éclatante, dans l'œuvre même d’Henri Lammens (1862-1937).
Un travail personnel d'édition, plus enrichissant, – dois-je le dire, – intellectuellement que commercialement, m'avait permis de la découvrir. C'était il y a un quart de siècle. À l'époque, avant d'entreprendre ma première et douloureuse scanographie, avant d'être à certains égards transformé par cette tâche, il me semblait au départ prioritaire et légitime de penser à un front commun des religions et des traditions contre le communisme totalitaire intrinsèquement pervers, – et aussi contre une certaine ploutocratie matérialiste, destructrice plus subtile, des libertés humaines.
Ce livre me donna à comprendre que notre identité a été façonnée, y compris pour ceux d'entre nous qui s'en sont éloignés, par le christianisme. Il n'est hostile ni aux Orientaux en général, ni aux musulmans eux-mêmes. Il se réserve le droit, en revanche de cerner l'essence de l'islam, et par conséquent aussi ce qui nous en sépare.
Je l'ai depuis revisité, trop brièvement mais toujours avec plus de passion et d'admiration.
Disons ici les deux ou trois choses que je sais de l'auteur.
Fils de la Flandre belge, alors bilingue, né à Gand en 1862, dans une famille très modeste, il manifesta très tôt, vers l'âge de 16 ans sa vocation d'orientaliste, et de missionnaire. Il fait alors part de son désir de se consacrer aux missions jésuites.
Dès 1878, avec 6 compagnons il part pour l’Orient. Il y entreprend l'étude de l’arabe. En 1893, il est ordonné prêtre. En 1894, il prend la direction du premier journal catholique arabe "al-Bachir" [le Messager]. En 1897, il prononcera ses vœux religieux définitifs.
En 1898 une année d'étude théologique le ramène en Belgique, à Louvain. En 1899 il commence à écrire sur la langue arabe. Il l'enseignera pendant trois ans à Rome, ainsi que l’histoire orientale à l’Institut biblique (1911-1914). Puis, il retournera en Égypte au temps de la guerre (1915-1919).
De 1919 jusqu'à sa mort il enseignera à la Faculté orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il y fera autorité comme professeur, comme écrivain, comme historien de l’Islam et du Proche Orient. Sa bibliographie, immense, recense 185 publications en langue française et 127 en langue arabe.
Il est alors universellement considéré, y compris par les musulmans, comme l’un des grands orientalistes de son époque. Soulignons qu'alors l'idée d'une confrontation directe entre le christianisme et la Salafiya, cet islamisme radical qui existait déjà, ne semblait pas à l'ordre du jour.
Mais à partir des années 1930 une certaine conception "pastorale", celle du P. Marchal et des Pères blancs par exemple, tendra à occulter ses travaux. Aux yeux de certaines autorités politiques et ecclésiastiques, l'enseignement du P. Lammens devient dérangeant, car il faut à tout prix écarter les points de divergences entre chrétiens et musulmans. Ce qui amène à ne pas vouloir voir la réalité de l'islam.
Certes sa démarche continuera d'inspirer les islamologues de qualité (1)⇓ , mais pendant plus d'un demi-siècle on a préféré l'ignorer. L'accès à ses travaux eux-mêmes est resté en partie censuré, pendant des années, par le désir de complaire à l'illusion d'un faux dialogue
Le conflit en cours nous oppose au "salafisme": il nous imposera de plus en plus de connaître l'islam en général et ses origines en particulier.
L'œuvre de Henri Lammens (2)⇓ est sans doute une des voix royales pour y parvenir.
JG Malliarakis
Apostilles
- citons ici et rendons hommage à Dominique et Marie-Thérèse Urvoy. Mais ne perdons pas de vue la renaissance de l'islamologie de langue allemande, aujourd'hui très attachée à la question des origines du Coran. ⇑
- Les Éditions du Trident vous proposent de découvrir deux livres :
- "L’Islam Croyances et institutions" par Henri Lammens... Un livre de base, aux antipodes de toute polémique inutile, où sont expliquées clairement les notions nécessaires à la connaissance objective et réaliste de l’islam. 222 pages 20 euros et
- "Qui était Mahomet ?" par Henri Lammens ("Mahomet fut-il sincère ?" avec, en introduction "Actualité d'une Antiquité") 128 pages 15 euros.
Jusqu'au 3 novembre les lecteurs de L'Insolent pourront bénéficier d'un prix de lancement fixé à 28 euros pour les deux volumes à commander par internet sur le catalogue des Éditions du Trident. ⇑
quelques remarques préliminaires de petite importance :
A travers votre "chouchou" vous faites l'éloge des jésuites dont nous avons un membre à notre tête. Je me demande si après lui l'église catholique existera encore? Et ce n'est pas une vaine réflexion si, ajoutant à son action délétère on y juxtapose la fameuse prophétie de Malachie où il doit siéger à la dernière place. Tout concorde...
En écrivant Al Bachir vous dévoilez votre tropisme anglais. Al Bachir est une translittération anglaise. En français çà donne El Béchir!!! Béchir est un prénom qui fut très courant autrefois et qui signifie, dans un contexte chrétien, évangile, bonne nouvelle, avec son annonciation implicite. Mais pas du tout messager.
Rédigé par : mersenne | jeudi 30 oct 2014 à 17:15
Je pense que la question des origines du Coran est beaucoup plus importante que tout le reste. La question transcende toute pastorale possible que vous récusez très légitimement. Et Il est formidable de constater jusqu'où peut mener une étude de texte bien conduite! C'est incroyable!
Petite réponse
C'est largement le sujet de "Qui était Mahomet".
Je me permets de donner dans l'introduction [Actualité d'une Antiquité] quelques indications sur le débat tel qu'il se déroule en Allemagne, autour de la publication du livre signé Christoph Luxenberg.
Mais en fait les travaux de Lammens lui-même (jésuite d'autrefois et non … d'aujourd'hui) donnent eux aussi d'importants repères.
Rédigé par : mersenne | jeudi 30 oct 2014 à 19:55
L'œuvre du Père Lammens n'était pas parfaite, mais elle a eu le mérite de mettre nombre de choses en lumière. Ces livres sont encore une mine de précieux renseignements aujourd'hui.
Rédigé par : Lina Murr Nehmé | dimanche 02 nov 2014 à 12:01
Le commentaire parlant des jésuites est raciste. Le fait que Lammens ait été jésuite n'a rien à voir avec son œuvre. On a des jésuites qui ont fait du bon travail, d'autres qui ont fait du mauvais travail, et d'autres encore qui n'ont rien fait. Je vis dans la ville où vivait le P. Lammens et où il a écrit ses livres les plus importants. Ici, à Beyrouth, les jésuites sont identifiés avec l'instruction scolaire et universitaire, et non avec l'obstruction, comme c'est le cas en France. En tout cas, les Ottomans, voulant perpétrer le génocide des Beyrouthins et des Libanais durant la première guerre mondiale, ont jugé utile de fermer l'université des jésuites à Beyrouth.
Rédigé par : Lina Murr Nehmé | dimanche 02 nov 2014 à 12:09
http://fr.wikipedia.org/wiki/Christoph_Luxenberg
bon article de Wikipedia sur ce chercheur ( que vous signalez dans votre réponse ) et qui trouve lui! Mais le politiquement correct veille...
Merci.
Rédigé par : mersenne | mercredi 05 nov 2014 à 14:23