Rejeté par ceux qu'il avait cru les siens, guillotiné en juillet 1794 (9 thermidor an II) Maximilien Robespierre revient tel un fantôme dans la Mémoire des Français. Plusieurs causes directes, indirectes ou latérales occasionnent cette marée.
Redescendant elle déjette sur la grève le visage d'un monstre.
La plus récente circonstance pourrait nous paraître anecdotique. Tout en provoquant un regain d'intérêt elle résulte d'une opération quelque peu macabre. Il s'agit de la reconstitution de son visage par les soins de M. Philippe Froesch spécialiste de la reconstruction faciale et du Dr Philippe Charlier, médecin légiste. Les deux scientifiques ont travaillé à partir d'un moulage en plâtre du visage de Maximilien Robespierre, effectué au moment de sa mort par Madame Tussaud. Lors de la Révolution française, cette dernière "avait échappé à la guillotine grâce à son talent de sculptrice, et avait été mise à contribution pour réaliser des masques mortuaires de têtes coupées." (1)⇓
Les représentations de l’époque nous montraient un personnage d'allure fort différente. Son portrait, peut-être tant soit peu flatté, correspond à un personnage légèrement guindé. Il demeura jusqu'au bout habillé et perruqué à la mode de l'Ancien Régime. Les témoignages soulignent que cette mise restait toujours cependant fort modeste. Les biographies sérieuses nous dépeignent, plus tôt, un jeune homme pauvre, traversé par le ressentiment, mais certainement pas vulgaire. Très proche du peuple par ses sentiments, il s'en distingue au point de passer, faussement, pour être né dans une famille réputée de petite noblesse. Adepte des idées de Jean-Jacques Rousseau, il s'indignait au voisinage d'alliés politiques voltairiens.
Un Lenôtre, historien injustement décrié, considère, sur la base d'une documentation parfaitement précise cependant, que cette alliance explose autour de la Fête de l'Être Suprême du 8 juin 1794 (20 prairial an II).
Le dictateur jacobin sembla ce jour-là, aux conventionnels montagnards, et à la Plaine, désireux de rétablir un ersatz de religion. Quoique bien connue, cette explication de sa chute ne saurait suffire. On ne saurait évacuer en regard un événement de taille survenu quelques jours plus tard. En effet le 26 juin 1794, les armées de la Révolution l'emportent à Fleurus.
Après des mois de défaites successives, d'une situation dramatique, aggravée par la guerre civile, et par un échec économique et monétaire retentissant, l'étau se desserre sur la république, proclamée par défaut en septembre 1792.
Le pouvoir totalitaire des comités, dont Robespierre, Saint-Just et une poignée de fanatiques assurent l'avant-garde, perd alors de sa justification. On sait que, maladroitement, à la Convention, la veille du jour fatidique, l'Incorruptible menace ses adversaires sans les nommer. Le lendemain, il sera dénoncé, saisi puis exécuté. On glosera encore très longtemps sur ces péripéties, en les tenant pour décisives quant aux destinées de l'héritage révolutionnaire de ce malheureux pays.
La Mémoire jacobine a donc soigneusement toujours tenu en réserve cette image controversée.
On peut aujourd'hui souscrire à une réserve vis-à-vis de la dérangeante représentation qui vient d'en apparaître. Sans nuancer l'horreur que le système de Terreur nous inspire légitimement, ce visage hideux, grêlé, violent et vulgaire semble inapproprié.
Monstruosité idéologique, donc : pas nécessairement physique. Pas la peine d'en rajouter, le compte suffit. Restons-en là.
Mais il faut toute la lourdeur fanatique d'un Mélenchon, jamais décevante, parfois surprenante, pour protester sottement, presque solitairement. Il crie au sacrilège au nom de l'admiration qu'il porte à l'archange de pureté. En mal de recrues, il chasse donc sur les terres de ceux qui voudraient organiser un musée Robespierre dans sa bonne ville d'Arras. Et l'on proteste même parce que, soigneusement à leur tour, les gestionnaires socialistes alliés aux communistes de la Ville de Paris n'ont pas profité des deux mandatures de Delanoë, depuis 2001, pour donner enfin à Maximilien sa petite rue, sa place ou son boulevard. La tradition républicaine, si indulgente pourtant pour les Thorez, Duclos, Frachon, Marcel Paul, etc. avait su l'éviter jusqu’ici. Pas sans raison : la figure du monstre doit être gérée discrètement.
En Union Soviétique, il est vrai, la restalinisation avait commencé très tôt, après les vagues d'accusations lancées par Khrouchtchev au cours des XXe et XXIIe congrès. Dès 1965 Brejnev organisait la réhabilitation rampante du défunt "Coryphée des Sciences et des Arts". Mais il prit soin, pour ce faire, de procéder par étapes, présentant Staline comme le génie militaire qu'il n'avait pourtant jamais été. Ayant accédé au titre de Maréchal par son propre caprice, il fallait que ses mérites stratégiques soient chantés, sans reculer devant les mensonges les plus éhontés. Pendant la période de son alliance avec Hitler, chacun peut savoir qu'il n'avait aucunement prévu d'être attaqué par l'armée allemande(2)⇓ et qu'aucune disposition n'était prise pour faire face à cette éventualité, qui pourtant s'est produite, et prouva par son succès initial combien le maître du Kremlin s'était trompé.
Depuis un demi-siècle, les historiens officiels, certains militaires russes, plus quelques naïfs, et quelques larbins, se sont employés à faire croire le contraire. Et malheur à ceux qui mettraient en doute cet aspect de ce dictateur-là.
Une question pourrait alors se poser : Pourquoi la symétrie ne fonctionne-t-elle pas dans ce domaine entre les continuateurs, héritiers et profiteurs de la révolution russe et ceux de sa sœur jacobine ? Pourquoi n'a-t-on jamais imaginé de faire de Robespierre un stratège aux fins du chauvinisme mémoriel ? La raison la plus simple repose sur le fait que le chef de guerre jacobin, dont l'imagerie d'Epinal assura la mémoire, s'appelait tout simplement Bonaparte. Pas la peine ici d'en inventer un autre.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. site du Monde le 17 décembre 2013 ⇑
- cf. "L'Alliance Staline Hitler" par JG Malliarakis ⇑
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