Il sert encore de socle au monopole de la sécurité sociale. Enfonçons donc le clou aujourd'hui encore de ce mensonge communiste, que nous évoquions dans notre précédente chronique. (1)⇓
Vu en effet sous l'angle de l'Histoire on ferait injure au souvenir des patriotes de la résistance en présentant le document "Les Jours Heureux", pompeusement et tardivement appelé "programme du CNR", comme l'émanation de leur volonté, représentant effectivement leur combat commun.
Ce texte, gros tract de 6 pages, est daté de mars 1944. Il ne reflète certainement pas l'intention de Jean Moulin, arrêté en juin 1943. Il s'écarte très largement, et plus encore il rejette, les conclusions libérales des travaux très sérieux du Comité général d'études de 9 membres que l'unificateur de la résistance intérieure avait mis en place. Il n'exprime donc en aucun cas le point de vue d'ensemble des combattants et des réseaux clandestins luttant contre l'occupant sur le territoire français.
La première, la plus éclatante raison devrait sauter aux yeux.
Quelque 3 à 5 % de la population de l'Hexagone sur les quatre années noires peuvent être considérés comme ayant participé à cet immense combat. (2)⇓ Ces hommes et ces femmes se réclamaient pour la plupart d'une aspiration nationale et non partisane. (3)⇓
Il s'agissait donc pour eux de libérer leur pays tout entier. Comment le mettre en doute ? À leurs yeux n'en étaient écartées qu'une poignée de traîtres et une très petite minorité d'égarés. Cette perspective ne pouvait donc coïncider avec ce que les politiques désignent sous le nom de "programme". (4)⇓
La deuxième objection regarde bien évidemment l'expression du débat interne, au moment considéré, entre les divers réseaux, de toutes obédiences, au-delà même de leur unification dans l'action.
On a beaucoup évoqué, dans les 25 dernières années encore, et notamment depuis le procès de Lyon en 1987 (5)⇓ le tragique rendez-vous de Caluire de juin 1943. Sans insister inutilement sur le rôle très suspects du couple des militants staliniens Aubrac (6)⇓ on admettra que le secret en fut partagé par trop de gens. Dès lors la fuite de son information au bénéfice des structures de répression ne saurait surprendre quiconque a pu mesurer les difficultés inhérentes à toute action clandestine, et les règles de sécurité qu'elles impliquent. Un réseau urbain tient ainsi rarement plus de six mois.
À débattre sur un programme dans un tel contexte on risque de se diviser gravement. On doit aussi malheureusement évoquer le développement d'une sordide guerre civile qui se radicalisera progressivement, à partir de janvier 1943 et des chaînes de représailles locales. En ce sens le document "Les Jours Heureux" s'inscrit de façon très réaliste dans cette atmosphère. On ne doit pas s'étonner ce soi-disant "programme du CNR" de 6 pages accorde plus d'importance à la vengeance qu'à ce qu'on appelle aujourd’hui la retraite par répartition. Le terme, qui ne veut rien dire, n'est pas employé en ce temps-là. Et le mécanisme lui-même remonte au gouvernement de l'amiral Darlan et à la charte du travail de 1941. Il sera simplement confirmé par les fameuses ordonnances de 1945, dont on prétend aujourd'hui qu'elles auraient fondé un modèle social français intangible et indépassable. Soulignons d'ailleurs que ni en 1941 ni en 1945 on n'envisage la "généralisation de la sécurité sociale" (7)⇓ mais simplement une protection accordée aux travailleurs les plus démunis. Cette idée de généralisation remonte à la loi d'Ambroise Croizat de 1946. Supposée entrer en en vigueur le 1er juillet elle se heurtera dès le 11 juillet à la grève des cadres Elle ne s'imposera dans la pratique qu'avec le plan Juppé de 1995-1997, soit un demi-siècle plus tard. (8)⇓
On ne peut pas confondre par conséquent un texte de combat, très court et très vague avec un projet de société.
Les rédacteurs du texte étaient quatre communistes (9)⇓ et non seize représentants de toutes les tendances de la résistance.
Ces gens n'ont pas pu consulter les réseaux, et ils se sont évidemment gardés d'une telle démarche, se contentant de deux ou trois réunions dans une ferme de la région parisienne entre janvier et mars, autour d'un brouillon rédigé par Villon. Dans la plus pure tradition marxiste, léniniste et stalinienne ils appellent à l'action concrète, "dialectique", contre l'ennemi qu'ils désignent à ce moment précis. Il faut lire la presse communiste pour le comprendre. Quand L'Huma parle en 1944 de "la haine devoir national", "à chaque Parisien son Boche", il ne s'agit pas d'une figure de style. Le financement public de la protection sociale passe, pour le moins, au second rang. Il n'en sera question que beaucoup plus tard, de manière toujours superficielle et démagogique du reste.
Thorez l'a dit une fois pour toutes, il suffit de "faire payer les riches".
Que ferait-on sans eux n'est-il pas vrai ?
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. L' Insolent du 21 novembre ."Les jours heureux du parti communiste" ⇑
- Le rapport Kaltenbrunner de 1943 évalue à 80 000 personnes en zone sud et 25 000 en zone nord les effectifs de l'Armée secrète. Il la prend très au sérieux et lui accorde une importance très supérieure à la place qu'elle occupe dans L'Histoire de la seconde guerre mondiale de sir Basil Lidell Hart qui fait ordinairement référence. ⇑
- Ainsi, quand Daniel Cordier rencontre Jean Moulin, dont il va devenir le plus proche collaborateur, il vient lui-même de l'Action française, et ne s'en cache pas, cependant que le créateur des Mouvements unis de résistance, fondateur et premier président du CNR appartenait au grand orient et avait soutenu le front populaire. ⇑
- Rappelons ainsi, à l'intention des quelques personnes sincères qui s'en réclament aujourd'hui encore, que le général De Gaulle a toujours exprimé sa propre réticence sinon son évident mépris pour ce concept qu'il jugeait, à juste titre, politicien.⇑
- Compte tenu de son importance historique exceptionnelle la chaîne franco-allemande Arte fut autorisée à en diffuser les images.⇑
- cf. dans L'Insolent du 17 avril 2012⇑
- c'est cela et pas autre chose que dénoncent les adversaires du monopole. ⇑
- cf. L'Insolent du 6 novembre "Un combat de trop de la Sécu monopoliste ?"⇑
- cf. L'Humanité le 19 novembre. ⇑
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Cher J G Malliarakis,
Dans votre note n°3, il s'agit bien sûr de Daniel
Cordier, le plus proche collaborateur de Jean Moulin (et non Gabriel).
Amicalement.
Jacques Carbou
Petite réponse
Merci de votre vigilante attention : corrigé.
Rédigé par : Jacques Carbou | samedi 23 nov 2013 à 15:54
Evidement, lorsqu' on sait qu' il suffisait de deux témoins, pour ètre déclaré résistanr !
Rédigé par : Henri GRUET | dimanche 24 nov 2013 à 06:53
Apostille (2) : L'Histoire de la seconde guerre mondiale de Hart est hyperbritannocentrée comme lui dit son préfacier et postfacier et néanmoins ami,André Beaufre.
Rédigé par : GnlAB | dimanche 24 nov 2013 à 11:07
Sur le programme du CNR, rapidement : l'influence du parti communiste est indéniable, de même qu'un éloignement réciproque de De Gaulle et du CNR après la chute de Jean Moulin. Pour autant il est sot et primaire de réduire le travail de l'organisme présidé par le démocrate-chrétien Georges Bidault à une conspiration d'une poignée de bureaucrates. Le comptage des résistants est à l'avenant. On peut ne compter que les encartés et les médaillés, une poignée en effet, et réduire la Libération à une guerre civile entre les "extrêmes" (surtout aujourd'hui où le schéma revient à la mode), les choses sérieuses étant militaires et américaines. On peut aussi y voir une vague qui s'enrichit de jour en jour de nouveaux apports, intégrer comme Jésus l'aurait fait et comme de Gaulle le fit les "ouvriers de la onzième heure" à condition qu'ils aient pris des risques en présence de l'occupant, et saluer l'ordre, bien sûr relatif, que le CNR et les organisations subordonnées rétablirent partout en quelques heures ou quelques jours après le vide laissé par ledit occupant en déroute et les administrations pétainistes qui se terraient.
Economiquement intelligentes ou non, la généralisation de la Sécu et la retraite par répartition étaient un ingrédient indispensable de cet équilibre politique. Un compromis. Un vrai, pour une fois, pas un bricolage anti-syndical bâclé dans un coin par Fillon ou Valls et la CFDT pour casser un mouvement !
Rédigé par : François Delpla | mercredi 28 juin 2017 à 05:58
Jean Moulin rencontre Pierre Cot en 25 pour ne plus le quitter jusqu'en 40. A partir de 33, chaque fois où Cot occupera le ministère de l'Air - et notamment lors du gouvernement de Front Populaire - il choisira Moulin comme chef de cabinet. Or Cot a fréquenté Louis Dolivet, ancien agent du Komintern et André Labarthe, agent soviétique depuis 1935. Plus les révélations de Walter Krivitsky, etc . Des biscuits aux thèses de Wolton et Courtois.
Rédigé par : Dubitatif | mercredi 28 juin 2017 à 20:18
Le "programme du CNR" est précédé (chrono)logiquement par "l'héritage de Vichy et ces 100 mesures [sociales] toujours en vigueur" de Cécile Desprairies.
Rédigé par : Dubitatif | jeudi 29 juin 2017 à 09:18