On considérait, à la fin des années 1960 que le développement des hypermarchés, grands magasins en libre-service, à dominante alimentaire, de plus de 2 500 m2 de vente, disposant de parcs de stationnement conséquents, risquait d'éliminer les boutiques traditionnelles du centre des villes.
Et les pouvoirs publics redoutaient alors de voir réapparaître électoralement le phénomène poujadiste (1954-1959). Recueillant 2,6 millions suffrages aux élections législatives de 1956 ce mouvement avait contribué à déstabiliser la IVe république.
Or en 1969 était apparu le Cidunati de Gérard Nicoud. Il se révélera, certes, un feu de paille selon l'habitude commune à tous les mouvements protestataires des classes moyennes en France depuis les années 1920. Auparavant, les poujadistes étaient ainsi devenus élus consulaires dans les chambres de commerce et de métiers ; leurs successeurs deviendront, en partie grâce à cette loi, administrateurs des caisses sociales monopolistes. Et ils le sont demeurés.
Les textes de 1973 et de 1996 se fixaient comme but explicite la limitation de l'implantation dans l'Hexagone des hypermarchés apparus dans les années 1960.
Ce phénomène commercial s'était en fait développé dans l'Hexagone du fait de l'évolution urbaine. La réalité s'était alourdie au gré de la carence de l'offre de distribution concurrentielle de supermarchés, et de la difficulté d'implanter et de développer un appareil de commerces indépendants dans les zones d'urbanisation planifiée.
La logique de l'aménagement du territoire repose, dans ces domaines, sur un concept pernicieux : celui d'un niveau "d'équipement suffisant", à ne pas outrepasser. Cette idée se trouve à l'origine même de la législation malthusienne française. La préhistoire de celle-ci comprend la circulaire du 27 août 1970, signée par MM. Giscard d’Estaing et Albin Chalandon. Celle-ci prévoyait qu'un comité consultatif de 15 membres, présidé par le préfet du département, serait habilité à se prononcer sur l’ouverture de toutes les surfaces de vente supérieures à 1 000 m2, et même des plus petites "si celles-ci constituent une menace pour les structures commerciales existantes."
On ne pouvait se prononcer plus clairement contre la libre concurrence. Les textes ultérieurs confieront aux chambres de commerce le soin d'établir, dans le même esprit, mais sous une apparence "scientifique" l'utilité des projets soumis aux commissions d'urbanisme commercial.
Les conséquences de ce système peuvent être analysées de plusieurs points de vue, après 40 ans de fonctionnement.
1° Par rapport à l'objectif affiché : échec total. Dans la décennie précédente, il s'ouvrait en France, en moyenne, environs 28 hypermarchés par an. De 1975 à 2013, le rythme annuel est passé au-dessus de 40 en moyenne. Le nombre de grandes surfaces s'est multiplié par 7 en 40 années.
2° Quelques enseignes de la grande distribution se sont ainsi trouvées à la tête de petits quasi-monopoles locaux. Quadrillant l'Hexagone elles agissent en tant que centrales d'achats toutes-puissantes auprès des petits fournisseurs qu'elles écrasent en imposant leurs conditions.
3° En transférant au Département et à l'État, le pouvoir de vie et de mort sur les projets commerciaux, le système de la loi Royer a puissamment fait reculer les libertés et responsabilités des municipalités théoriquement compétentes en matière de permis de construire, et intéressées à l'encaissement d'impôts locaux.
4° De leur côté, loin d'être sauvegardés, les travailleurs indépendants, de toutes catégories, ont été incorporés de force, par la loi de 1973, aux régimes sociaux dits "alignés". La dernière mouture s'appelle le RSI, régime social monopoliste des indépendants imposé en 2003 par la réforme Fillon, qui les fusionne tous. Or cet "alignement" constitue, par les charges qu'il impose aux petites entreprises, la cause essentielle de leurs difficultés et de leur mortalité.
5° Les conséquences perverses ne se sont pas seulement manifestées pour le commerce de détail, mais aussi pour l’administration et pour la classe politique.
Dans les années 1990, on s'est préoccupé de corriger les actes de corruption constatés pendant 20 ans, dans la mesure où la grande distribution assurait une partie du financement occulte de la vie politique. Le gel des implantations annoncé par le Premier ministre Édouard Balladur fin 1993 et la loi Raffarin en juillet 1996 étaient censés stopper ce phénomène.
En fait cette dernière réglementation, baissant le seuil d'intervention de la puissance publique et renforçant encore l'intervention de l'État central est surtout parvenue à aggraver la situation, toujours sous prétexte de protéger les petits et d'obtenir les votes de classes moyennes.
On a pu définir la politique comme l'art d'obtenir les suffrages des pauvres et l'argent des riches sous prétexte de les protéger les uns des autres. L'adage ne s'est jamais trouvé aussi proche de la réalité, résultant depuis 40 ans de la malencontreuse loi Royer, pavée, comme l'enfer, de bonnes intentions.
JG Malliarakis
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C'est remarquable car vous dégagez les véritables racines du mal. Il reste à les arracher.
Nous étions 1,5 millions dans les rues de Paris certainement pour cela aussi. Le pouvoir compris que le mécontentement dépasse largement le thème de LMPT : d'où sa main de fer pour que cela ne devienne un Tea Party
Mais ONLR :-)
Rédigé par : dominique | mercredi 02 oct 2013 à 10:57
Cher JG,
Je suis un lecteur assidu de l'Insolent, dont j'apprécie la verve et le talent restés chez vous inchangés.
Mais je suis aussi un ancien collaborateur de Jean Royer, et c'est à ce titre que je voudrais faire un commentaire.
Je n'entrerai pas dans le débat politique ou idéologique stricto sensu, chacun étant libre d'épouser un parti-pris dogmatique sanctifiant le "tout-libéral" pour assurer une revanche posthume à des luttes politiques passées qui avaient d'autres horizons et surtout, un autre souffle...
1) Une remarque sur la méthode : il est assez spécieux de juger la loi Royer 40 ans après, et la déclarer inepte, sous prétexte qu'elle est inadaptée au monde d'aujourd'hui. C'est une évidence que lui-même aurait acceptée. S'il y a des politiques à blâmer, ce sont ceux qui l'ont laissée perdurer, incapables de faire mieux, et trop content de profiter de ses effets pervers que, par ailleurs, vous avez rappelés avec beaucoup d'à propos.
2)La transition est donc facile : pour un citoyen soucieux comme vous de lutter contre la corruption des élus, et sensible à la valeur humaine, symbolique, des leaders (vous auriez sans doute usé d'un autre mot il y a 30 ans, Jean Royer ne devrait pas être un repoussoir mais un exemple. Je tiens à votre disposition bien des exemples concrets si votre intérêt pour lui ne se résume pas au rôle d'épouvantail.
Bref, vous l'aurez compris, c'est plus la défense de l'homme que de sa loi qui m'intéresse dans tout cela. Car, s'il lui est arrivé d'avoir tort, parfois avec entêtement, il avait conservé intactes au soir de sa vie ses illusions, dont certaines (De Gaulle, la France,et une certaine empathie pour l'Homme en difficulté) constituaient le fil rouge de son action politique. Le "Savonarole de Tours" avait préservé son aptitude au rêve, et à la poursuite honnête de ses idéaux de jeunesse. Cher JG, les soirs de grand vent, ne donnerions nous pas vous et moi cher pour retrouver sans amertume ni désarroi la vigueur et l'insouciance de nos engagements d'antan ?
Bien à vous;
OGE
Rédigé par : Ollivier GIMENEZ-ESPINOS | mercredi 02 oct 2013 à 11:09
Le commerce est comme le vent, le sable, et l'eau : il passe partout malgré les obstacle. Sa stratégie consiste à s'adapter en permanence : ce que des entrepreneurs modestes ne pouvaient plus réaliser étant donné les charges sociales et la législation, d'autres familles - fortunées celles là et soutenues par des banquiers - ont trouvé la parade en créant le concept de grandes surfaces. Rien ne pouvait et ne pourra arrêter cette solution, défensive finalement.
Rédigé par : Hermes | mercredi 02 oct 2013 à 18:45